15 mai 2023 1 15 /05 /mai /2023 08:05

 

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  Le 22 avril 2011

 

 

    Qu'est-ce que la spiritualité laïque ?

 

   Beaucoup en parlent, et décrivent leurs points de vus, certains font la différence entre la religion, les religions et cela. Mais qu'est-ce que cela veut dire, cela a-t-il même un sens, qu'est-ce donc que la spiritualité laïque ? Pourrions-nous essayer de voir un peu plus clair dans cette "nouvelle" approche ?

    En premier lieu il paraît surprenant et peu opportun de mettre ensemble les mots "spiritualité" et "laïcité". Nous avons ce sentiment car la laïcité c'est justement la séparation entre le religieux et la société civile, plus exactement entre le pouvoir politique et les religions organisées.

  Le monde politique n'est pas affilié (dans la théorie) au monde religieux, et une société laïque n'intervient pas dans le domaine de la foi ou de la croyance. Par contre elle veille à ce que l'expression de toutes les religions puisse se faire, sans normalement favoriser l'une ou l'autre de ces expressions. Il est évident que dans la réalité, il en est tout autrement, et chaque individu a ses tendances, sa culture, et parfois sa croyance. Mais l'idée principale, c'est la séparation des pouvoirs, la politique d'un côté et les religions de l'autre, sans connivence possible et sans mélange des genres.



  Donc la laïcité c'est en quelque sorte, un système qui veut garantir l'égalité entre les religions, avec une volonté de non ingérence de part et d'autre. Si nous regardons bien tout cela, nous voyons que lorsqu'on parle de religions, nous parlons naturellement des religions organisées : le catholicisme, le judaïsme, l'islam ou le bouddhisme, et bien d'autres encore... Par religions organisées, nous entendons une structure avec des préceptes, une hiérarchie, des rîtes et des symboles ; c'est un système avec une orthodoxie officielle. On peut simplifier en disant, que ces mouvements proposent des méthodes, des voies à suivre, avec tout un système basé sur des récompenses, le paradis ou la félicité, et sur des châtiments, l'enfer et la damnation.

  Cela se traduit dans les faits, par une pression sociale et culturelle, qui tend à imposer la conformité et la soumission à la religion prédominante. La laïcité vise à neutraliser cette pression, et à créer un contre pouvoir face à l'éventuelle domination d'un mouvement religieux particulier.



    Maintenant, pourrions-nous examiner ce que veut dire le mot "spirituel" ? Cela vient, comme chacun le sait, du mot esprit, qui lui-même vient du mot souffle. Par esprit, on comprend tout ce qui à trait à la pensée, la mémoire, les sentiments, les émotions, les jugements, qui sont liés aux perceptions, aux théories, aux idées, bref à toute notre vie d'être humain. Sans "esprit", que serions-nous ? Des automates, des machines ou des animaux régis par leurs seuls instincts ? Le raffinement de la culture vient de cette vie intérieure, de la vie de l'esprit. On peut dire aussi que la véritable intelligence naît de cela.

    Mais ce tableau est-il exact, réel et complet ? Certes les hommes ont créés des choses magnifiques : des tableaux, des sculptures et des cathédrales grandioses ; le monde médical invente des outils merveilleux, l'homme va dans l'espace. Mais n'oublions pas les guerres, les tueries, les massacres au nom de la patrie ou de Dieu. La barbarie semble toujours sous-jacente aux activités humaines ; la compétition, la loi du plus fort, le faible méprisé et écrasé, le frère contre le frère. Partout cette violence, cette lutte et cette cruauté.

    Donc l'esprit crée la culture et son raffinement, mais il crée aussi les guerres et la violence qui ronge le monde. Et nous voyons que cette violence, qui peut être aussi économique, domine et mène le monde. C'est un fait incontournable. L'être humain vit dans une société qui crée des conflits et le brutalise sans cesse. Mais qu'est-ce que la société ? Est-ce une chose séparée de nous, est-ce une entité autonome, un organisme qui vit par lui-même ? Qu'elle est notre relation avec cette société ? Nous en sommes issus, nous en sommes les produits, culturellement, religieusement et politiquement. Étant les enfants de ce monde, notre comportement et notre manière de vivre viennent des valeurs inculquées par ce monde. Nous représentons cette société et en vivant nous prolongeons cette société avec son cortège de malheurs et de misère. L'homme est un produit conditionné de cette société ; il en est le fruit, et par son action il prolonge et accentue le désordre de cette même société. L'environnement conditionne l'homme, et l'homme conditionne la société ; cela est un cercle fermé, et c'est un cercle de souffrances et de peines sans fin.

    L'homme peut-il briser cette souffrance, peut-il se déconditionner ? On peut admettre la souffrance et aménager sa vie avec, en se satisfaisant de temps à autre d'un peu de joie, d'affection et de plaisir partagés. Certains pensent même que la souffrance est nécessaire à la création, mais d'où vient cette attitude ? L'homme accepte cette souffrance, dans le sens où il pense que : "c'est inévitable, qu'il n'y a rien à faire". Autant bien le prendre et voir si il n'y a pas des avantages à cela, alors un artiste dit "quand je souffre, c'est là ou je crée le mieux...". Les Chrétiens disent, "Jésus, par sa mort et sa souffrance sur la croix a racheté les péchés du monde..." Bref on accepte la souffrance, puis on la sanctifie et ensuite on lui donne une grande valeur morale. Mais voyons-nous ce que nous faisons ? Voyons-nous toute l'immoralité d'une telle attitude ? C'est une réelle folie, un poison que l'on met dans le cœur des gens. Ce type d'attitude est typique du conditionnement de notre société ! Il y a quelque chose est anormal, puis avec des arguments on rend cela acceptable et on en vient même à dire que c'est très utile, voir souhaitable. On ne veut plus mettre un terme à la souffrance, on lui trouve même des qualités, puis on recommande pratiquement de souffrir. Voyons-nous ce revirement de situation ? Le problème est valorisé, au lieu d'être résolu...



    Disons le fermement : "la souffrance est inacceptable, de même la violence et la barbarie humaine". Ces choses doivent et peuvent finir ; cela est impératif, tout autre attitude relève de la folie et de la propagande du siècle. Donc devant ce constat, l'homme devient responsable et il ne rejette plus la faute sur la société. Chacun crée cette société, nous sommes cela. Donc qu'elle action reste-il pour l'homme qui vit dans cette société, qui doit travailler, nourrir sa famille, payer ses impôts ? S'il agit superficiellement, comme nous l'avons vu, son action serra uniquement la suite et la continuité de ce monde, et donc la souffrance perdurera. L'homme alors s'interroge sur sa manière d'agir, de voir et de concevoir la vie ; il regarde ce que sont ses valeurs propres. Il examine donc ce qu'est son esprit, avec ses pensées, ses sentiments, ses idées, ses théories ; il les examine non pas pour s'auto-sanctifier, mais il les examine, il les regarde pour voir si elles sont justes, si elles sont vraies. Voilà comment naît ce que l'on nomme "la connaissance de soi", c'est à dire l'étude des mécanismes de la pensée et de l'esprit.

    Si on veut approfondir tout cela, on voit qu'il ne s'agit pas de rejeter superficiellement les religions (par exemple), tout en gardant leurs outils : prières, méditations, mantras et autre techniques. Beaucoup de personnes qui s'intéressent à la spiritualité, disent ne pas dépendre des religions, mais elles fonctionnent sur les valeurs établies par celles-ci. Si on considère que les religions organisées ont fait fausse route, si on s'en écarte, il faut remettre à plat leurs moyens d'investigation du réel. Et la toute première chose dont on se rend compte, c'est que toutes disent avoir découvert le chemin vers la vérité (pour ne pas dire vers Dieu). Elles proposent toutes un ensemble de systèmes qui permettent à l'adepte, petit à petit, de s'approcher du but fixé. Elles possèdent toutes des méthodes progressives, avec différentes étapes, des expériences vécues et de nombreuses croyances. Partout il y a des dogmes infaillibles que l'on ne peut contester. Le questionnement dans les religions orientales, bouddhisme ou hindouisme, est devenu purement formel et ne concerne, plus du tout, les fondements même de la religion. On parle et l'on questionne, mais juste pour avoir des informations par rapport au culte ou aux écritures, on ne cherche pas véritablement par soi-même.

    Les techniques visent en fait à avoir des expériences, à vivre certaines choses ; mais qu'est-ce donc que ces découvertes, sont-elles l'expression de la vérité ? Ou bien ne sont-elles pas l'expression de l'avidité de l'esprit qui se veut extraordinaire ? Une expérience extatique, ou autre, donne un sentiment de "différence" à l'esprit, et très vite après la "différence", vient le sentiment de "supériorité". Quel vécu extraordinaire ! Alors l'esprit se sent extraordinaire, en fait il se sent supérieur aux pauvres êtres humains qui ne vivent pas tout cela.

    Mais si on regarde attentivement tout ce processus, on voit bien que ces "expériences" correspondent à ce qui est attendu dans la tradition. Elles servent à valider la progression de l'adepte sur la voie, en fait elles confirment que tel homme est bien conforme à ce qui a été défini par d'autres, par ceux qui savent : les prêtes ou bien les maîtres. Donc celui qui fait ces expériences rentre dans le moule de la tradition ; en fait il se soumet à l'autorité. Excusez-moi, mais ne serait-ce pas ce que l'on nomme un "lavage de cerveau" ? On accepte un conditionnement, puis on expérimente par le vécu le réel de cette foi. Mais le réel n'est pas la vérité. Les religions sont très réelles et nombreuses, mais sont-elles l'expression de la vérité ?



    Donc l'homme se met en mouvement, il n'accepte rien de ce qu'on lui dit, il regarde et examine par lui-même toute chose. Existe-t-il dans l'être humain une capacité à découvrir ce qui est vrai, à séparer le vrai du faux, et à voir le faux pour le faux ? Pour savoir si cela existe, il faut bien comprendre comment nous fonctionnons, quel est le mécanisme de la pensée, de la mémoire ? Comment naissent les émotions, les sentiments ? Si nous ne percevons pas clairement les choses, qu'est-ce qui brouille notre vision ? Quel est ce voile qui opacifie l'esprit ?

    Il faut donc saisir par soi-même, ce qui nous empêche de voir directement et simplement les choses. Par cela on commence à apprendre véritablement, pas dans le sens d'accumuler des informations sans fin, mais on apprend à voir par soi-même, à démonter et mettre fin aux conditionnements de l'esprit. C'est juste le tout début d'une démarche spirituelle ; on regarde ce que sont les pensées, la mémoire, les instincts, et aussi la création d'idéaux, d'opinions personnelles. Puis à un moment donné, après quelques temps d'étude et d'observation, on découvre autre chose que le mouvement de la pensée ou de la mémoire. Ce n'est pas en opposition, c'est un autre aspect de la vie, cela n'est pas du domaine de la pensée et de l'expérience, c'est comme un silence immense qui entre en existence. Au-delà de la mémoire qui se perd dans la nuit des temps, existe un mystère qui semble préexister à l'homme et à la vie, c'est comme un souffle, comme l'essence même de la vie.



    Une démarche spirituelle authentique se doit d'être purement laïque, c'est à dire libre de toutes organisations ou obédiences religieuses. C'est un mouvement de découverte qui n'existe que dans une totale liberté, et cette liberté est l'essence même de la religion.

    Seule cette liberté permet à l'esprit de se déconditionner entièrement et profondément. Alors l'esprit est différent, et la souffrance n'existe plus.

 

 

 

 Paul Pujol, Correspondances.

 Éditions Relations et Connaissance de soi.

"La spiritualité laïque, ou l'essence de la religion", pages 107 à 114.

 

 

   Une personne amie a traduit gracieusement ce texte en Arabe, qu'il en soit vivement remercié.

   Pour voir l'article traduit par Dimitri Avghérinos sur son blog, suivez le lien:  link

 

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13 avril 2023 4 13 /04 /avril /2023 14:14
La révolution intérieure.

 

   Une véritable révolution intérieure dépasse toutes les traditions, elle va au-delà de toutes les conventions et de tous les standards inventés par les hommes.

 

   C’est une flamme de liberté, elle va à la source même des choses, et ne s’arrête pas aux fioritures et aux détails superficiels.

   Elle n’ a que faire des Gurus et des disciples, que faire des religions et de leurs rites. Elle remet tout à plat, et au fond n’a que faire des livres, des descriptions et des commentaires qui s’y trouvent.

   Elle récuse tout avilissement et toute soumission, car elle est faite du feu de la vérité qui doit être personnel, et qui ne peut dépendre d’autrui. Il est indispensable d’être sa propre lumière.

 

   La révolution intérieure remet tout en cause, interroge tout. De cette interrogation, de cette passion naît un regard clair, une vision profonde.

 

   C’est ce regard de vérité qui libère...

   

 

   Paul Pujol.

 

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
28 mars 2023 2 28 /03 /mars /2023 17:32
La lune.

 

  Texte issu du livre "Senteur d'éternité".

  Voir dans l'article sur nos deux livres.

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
22 mars 2023 3 22 /03 /mars /2023 10:05

      Espagne 

 

                                                                                        Trévoux le 15 juin 2011

        

   Nous nous trouvions avec un ami sur un banc, dans ces belles montagnes suisses baignées par la lumière de l'été, il faisait assez chaud et nous parlions entres-nous depuis quelques temps déjà. A un moment donné, cet ami posa une question sérieuse sur le fait qu'il ne comprenait pas très bien ce que J. Krishnamurti entendait pas les images mentales. Une personne qui organisait parfois des dialogues de groupes, lui avait dit " Mais, tu en es encore là ?", autant dire qu'elle n'avait même pas écoutée la question. En vieille habituée, elle était sûre de détenir l'explication, et sans doute ne s'était-elle jamais vraiment questionnée sur le sujet. Elle avait lu dans des livres tout ce qu'il fallait savoir sur le sujet, puis elle était passée à autre chose.

    En entendant cette question, nous fûmes surpris, car nous nous rendîmes compte que nous n'avions jamais exploré totalement la signification des images mentales. Nous ne répondîmes pas à notre ami, mais nous gardions cette interrogation en nous, comme un trésor à découvrir. Il est fascinant de rester avec une question, sans chercher à y répondre, car alors le sujet se développe, il s'épanouit dans toute sa dimension. C'est une fleur qui libère une senteur qui vous est totalement inconnu, alors vous respirez cela, cela devient votre souffle, votre vie même. Qu'est-ce qu'une image mentale ? Quel est le lien entre cela et la mémoire, les pensées ? Que sont les sentiments, les émotions ? Est-ce que ce sont aussi des images mentales ?

       

    Avançons simplement sur cette découverte, commençons de manière pratique. Une image mentale est par définition, une référence intérieure, un point de vu sur un objet, une idée ou sur une personne. C'est quelque chose que j'ai élaboré dans mon esprit, et qui me paraît propre et personnel. Il y a un événement réel et il y a mon idée concernant cet événement. L'image mentale est composée de mes préjugés, du résultat de mes expériences et de mes déductions, c'est à dire de ce que j'ai tiré de ces expériences. Pour simplifier il y a un réel extérieur, et il y a mon image intérieure de ce réel. Pour appréhender un événement, nous utilisons les images intérieures afin d'avoir une attitude la plus efficace possible. Mais que décrivons-nous pour l'instant, n'est-ce pas en fait la mémoire, et son fonctionnement ? Quelles sont les différences, ou bien est-ce la même chose ?

    La mémoire est basée sur de l'information, son action utilise ces informations afin d'agir pour la survie du corps, et pour que la vie se perpétue. On peut dire par exemple, que l'appareil respiratoire est adapté à la composition de l'air, il le capte et le transforme afin de donner de l'énergie au corps. C'est en quelque sorte une interface entre l'air et la vie. Cela marche très bien, car l'air se modifie très peu, et l'adaptation du physique se transmet de génération en génération, par les informations contenues dans les gènes. De même pour la vision, le toucher, l'odorat et tous les autres sens. Ces informations servent à gérer notre relation avec notre environnement, c'est à dire qu'elles modèlent le corps, elles l'adaptent aux conditions de la vie. Là nous voyons que cette mémoire est physique, elle est inscrite dans notre corps. Il me semble que cela diffère des images mentales, nous avons des informations situées dans la mémoire physique, dans le corps. La pensée vient bien après. Avant que ne se forme le cerveau (siège de la pensée), il y a les cellules, les gènes, l'ADN ; puis la rencontre entre deux être qui s'aiment et de leur union va naître la vie. Il y aura d'abord une simple cellule, qui va se divisée, puis viendra un embryon, qui deviendra à son tour un fœtus qui donnera naissance à un nouveau né.

    La mémoire physique est présente bien avant que naisse la pensée. Qu'elle est la différence entre la mémoire et les images mentales ? Et où se situe le cerveau dans tout cela ? Nous voyons évidemment que les images mentales sont liées à la pensée et au cerveau. Une image mentale se construit avec les pensées, qui elles-mêmes se situent dans le cerveau. La mémoire physique détient des informations qui sont très anciennes, très viellent, qui viennent de l'au-delà de notre seule personne. C'est la mémoire de l'espèce, et plus loin sans doute, la mémoire de la vie au-delà de l'espèce humaine elle-même. Cette mémoire se perd dans la nuit des temps, elle vient de très loin. Le cerveau faisant partie du corps, est le résultat de cette mémoire physique, il s'agence et existe (tout comme l'ensemble du corps) d'après les codes et les lois inscrites dans cette mémoire. Le corps, ainsi que le cerveau sont l'expression de cette antique mémoire. Donc le cerveau se construit d'après ces "informations", cela est sa base, sa structure et son architecture interne. Quand celui-ci existe, pour continuer à vivre, il continu à reproduire ce mode de fonctionnement basé sur des informations. Car il ne connaît que cela, et cela fonctionne de manière tout à fait satisfaisante.

       

    Les informations liées à l'espèce s'expriment sans intervention de la volonté, actions telles que la respiration, la digestion, la vision... Elles sont si anciennes qu'elles marchent automatiquement, et avec une grande intelligence, l'homme n'a pas à se préoccuper de tout cela. Donc la mémoire très ancienne fonctionne bien sans intervention de l'homme, c'est à dire sans irruption du mental dans ces actions. Poursuivons notre enquête, la digestion n'a pas besoin du mental, mais il nous faut trouver de la nourriture et là le mental à un rôle à jouer. Comme dans la vision, il faut l'intervention du mental, de la pensée, si le soleil est trop puissant, nous allons chercher des lunettes de soleil pour nous protéger les yeux. Que découvrons- nous en ce moment ? Il y a un mémoire ancienne qui fonctionne bien, et dans certains cas nous devons utiliser le mental, la pensée pour agir dans le présent. La pensée complète et prolonge en fait la mémoire ancienne, c'est le fameux débat entre l'inné et l'acquis. Débat qui n'a pas lieux d'être, car sans l'inné, il ne peut pas y avoir d'acquis. On pourrait presque dire que l'acquis est une fonction de l'inné.

    Prenons un exemple simple, le corps réclame des aliments, la faim s'exprime, donc l'homme se met en quête de nourriture. Il fait le nécessaire pour en en trouver, il les découvre et les prépare pour le repas. Mais toute la recherche qui au début peut être fastidieuse, est mémoriser ; les lieux, comment s'y rendre, les horaires du supermarché, etc...Lors d'une autre demande, nous nous remémorerons ces informations, et nous irons plus facilement faire nos achats. Il y a d'abord une action, une expérience, puis mémorisation, et quand cela est nécessaire, il y a remémoration de l'action. La pensée paraît différente de la remémoration, car nous avons sentiment que nous pensons sans avoir de références. Nous croyons que les pensées nous sont tout à fait propres, personnelles et toujours différentes de celles des autres. Mais comment naissent nos premiers sentiments, nos premières pensées ? D'un contact avec l'autre, ou avec une situation qui nous a impressionnés, telle chose nous a émus, intrigués. Cela crée en nous des impressions, et nous nous disons que "cela est agréable, ou vraiment c'est très désagréable, dérangeant." Plus tard nous lirons des livres qui nous imprégnerons des leurs idées, nous découvrirons peut être des penseurs originaux, ou des romans saisissants. Tout cela créera en nous des émotions, des sentiments, des tendances et des préférences. Donc nos idées, nos pensées sont bien le fruit de nombreux contacts avec le monde, nos pensées sont le résultat mémorisé de nombreuses expériences passées. Les pensées sont une forme particulière de mémorisation, et de l'utilisation de cette mémoire ; car à un moment donné la pensée peut exister sans avoir d'expériences réelles, elle peut s'auto-alimenter elle-même.

       

    Sur quoi est basé les préférences ou les répulsions d'un très jeune enfant ? Il va vers des gens souriants, vers des personnes qui expriment une certaine affection, car dans ces attitudes il y a une certaine sécurité. Ces comportements indiquent un intérêt de ces individus pour l'enfant, une tendance à vouloir son bien être en quelque sorte. Il existe une interaction forte qui semble bénéfique à tous, l'enfant sent qu'il est probable que ces adultes (si ce sont des inconnus) pourraient s'occuper de lui. De même avec les parents, les interactions sont basées sur la sécurité et la protection de la vie, sur la tendre l'affection.

    Donc à la base, tout le mécanisme de la mémoire, du cerveau, de la recognition, de la pensée, tout cela vise à la protection de la vie, du corps et à la perpétuation de la vie. C'est en quelque sorte la pulsion de la vie qui nous porte, et qui nous fait aller de l'avant.

    Nous voilà bien loin des images mentales, n'est-ce pas ? Mais nous-sommes nous vraiment éloignés du sujet ? Qu'est-ce qu'un sentiment ? N'est-ce pas une mémorisation imagée d'un événement ? La mémorisation d'un contact n'est jamais identique au contact. Avec le temps, tout au long de notre vie, nous repensons à cette rencontre, en y pensant on rajoute des commentaires personnels sur l'événement. Un souvenir ne concerne pas un événement, il concerne notre avis, notre sensation sur l'événement. Et ce souvenir va avoir sa vie propre dans le mental, de manière totalement indépendante de l'événement d'origine. Il va être alimenté par d'autres événements, renforcé par d'autres idées, ou amoindri par tel ou tel expériences.

    Mais voyons bien, cela reste toujours basé sur des informations que nous collectons du monde extérieur, que nous réutilisons après intérieurement.

       

    Donc qu'est-ce qu'une image mentale ? Maintenant que nous avons exploré les fonctionnements de la mémoire et de la pensée. Je connais mon voisin, j'ai eu de nombreux contacts avec lui, avec le temps j'ai construit une certaine image de cette personne. Quand je le vois, je le reconnais, je connais son nom, son adresse, je pense connaître son caractère, etc...Disons que je me suis fait une idée précise de cette personne, "c'est vraiment quelqu'un de désagréable, peu sympathique". Ou bien le contraire "Quel type sympathique, vraiment charmant." Quand cette personne s'avance vers moi, lors d'une nouvelle rencontre, toute mon attitude va être basée sur ce que je pense de lui. Si nous nous sommes disputés l'autre jour, je serrai sur mes gardes ; si nous avons sympathisé hier, mon attitude serra tout autre.

    Mais avant même d'avoir échangé la moindre parole, tout ce que je pense de lui aura jaillit dans mon esprit en un instant. Et dans cette nouvelle rencontre se créera un autre commentaire, une autre pensée qui s'ajoutera aux anciennes pensées. Voyons bien que ce dernier commentaire, ou pensée, est teinté par les préjugés issus de l'image que j'ai déjà de mon voisin. La dernière pensée est le résultat, est conditionnée par toutes les autres, et elle-même se rajoute, s'additionne à l'ensemble des pensées. Voyons-nous bien ce mouvement ? C'est une action d'accumulation permanente, et d'auto conditionnement constant. Une pensée fait partie d'un tout, la dernière en est juste l'expression la plus récente. Ce mouvement, c'est l'image mentale, c'est cela qui se crée dans le temps et dans les relations humaines. Il y a une autre particularité dans l'image mentale, c'est qu'elle n'est aucunement verbale, c'est une image comme son nom l'indique. Qu'est-ce cela veut dire concrètement ? Quand mon voisin, mon épouse vient vers moi, l'image arrive instantanément dans l'esprit, je n'ai pas besoin de me dire : "Tient là voilà, nous nous sommes disputés hier, elle doit être mécontente. Cela est bien triste." Sans aucune formulation de la pensée, tout ce que je pense d'elle est comprise dans l'image mentale. Je n'ai rien besoin de me dire, ou de pensée quoi que se soit, tous mes préjugés s'expriment dans cette image que j'ai de l'autre. Cette image cristallise tous mes préjugés, tous mes a priori, en un instant ; en une seconde je juge, évalue, condamne ou absous mon prochain. Le vrai danger des images mentales, c'est leur rapidité, et le fait qu'elles emportent avec elles toutes les autres pensées. C'est tout un mouvement de pensées qui s'expriment en un battement de cil. La relation avec l'autre est alors bâtie, non sur la personne elle-même, mais sur l'image que nous avons d'elle. Et le drame humaine, c'est que l'autre fait de même, il a aussi une image de nous, et donc se sont des images qui essaient de rentrer en contact, et pas les individus eux-mêmes.

   La mémoire physique que nous avons de l'air est utile et efficace, car nous avons vus que celui-ci changeait très peu, et donc cette mémoire (finie), cette information reste pertinente pour le corps. De même pour l'ensemble du physique et des sens, notre environnement naturel change peu, et le corps reste donc adapté à son milieu. Mais dans les relations humaines, chaque individu change constamment, il se transforme sans cesse, nous parlons du point de vue psychologique naturellement. Intérieurement, nous ne sommes pas figés, fort heureusement nous changeons, nous nous modifions en permanence. Les images mentales, qui sont nos commentaires psychologiques, nous coupent de l'autre et empêchent toute relation véritable. Elles isolent l'homme en lui-même, en fait c'est essentiellement l'esprit qui se parle à lui-même.

       

    Peut-on comprendre ces images intérieures ? Afin de les mettre à leurs justes places, et créer ainsi des relations authentiques et véritables. La seule manière de se rendre conte de l'existence de ses images, de les comprendre en profondeur, c'est de les regarder, de le observer, mais pas de manière isolée. Tout le monde dit "regardez, observez vos pensées et vous les comprendrez". Mais on parle rarement de voir autrui directement, c'est beaucoup plus rare, par contre jamais on indique la possibilité de voir ensemble les pensées et autrui. Voir mon épouse, mon voisin, et voir en même temps mes images, mes pensées sur cette personne. Pourquoi choisir un sujet d'observation exclusif, particulier ? Les événements n'arrivent pas dans l'ordre que nous désirons, ils se présentent en totale liberté. Nous croyons pouvoir contrôler, dicter le déroulement des événements, quel prétention. Mon voisin arrive vers moi, je le regarde et en même temps arrive dans l'esprit l'image que j'ai de lui. Si je regarde ce qui se passe, avec attention et tranquillement, je vois bien que l'image ne correspond pas à cet être vivant, il y a une grande différence entre les deux. Je peux saisir toute la fausseté de cette image. Et si je rentre en contact avec l'autre. Avec affection, je me rends compte que cette image, si vieille, si prégnante, et parfois si persistante, cette image s'évanouit en un instant, comme elle était apparue... En un seconde, tous les préjugés du monde se dissolvent, ils n'existent plus.

    Alors pour la première foi de ma vie, je suis vraiment en relation avec mon prochain, et avec tout l'infini de la vie. 

 

 

     Paul Pujol

     "Correspondances", éditions Relations et Connaissance de soi.

     Des images mentales, pages 114 à 122.    

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15 mars 2023 3 15 /03 /mars /2023 10:23

 

 

La culture, subversive et révolutionnaire, ou bien lénifiante, créant des standards qui amusent et endorment.

 

Un vidéo percutante de Roger-Pol Droit.

 

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Paul Pujol - dans Culture