27 mai 2025 2 27 /05 /mai /2025 09:35

  La Saône.

 

 

 

   Nous venions de passer plusieurs jours à parler, nous avions été nombreux réunis dans une même grande pièce. Il y avait eu beaucoup de paroles, et très peu de silence, cependant un certain contact s’était établi entre les participants. Certains l’avaient ressentis et d’autres pas du tout ; c’était un mélange d’affection réelle, et de préoccupation de soi-même pour quelques-uns.

       

    A présent nous attendions le train pour le retour, nous étions en avance, aussi nous sortions de la gare sur une petite place, celle-ci était à l’opposée de la place principale qui donnait sur la ville et sur son bruit.

    Cette petite place était sans voiture et le vacarme de la ville semblait bien lointain, une certaine douceur, une tranquillité émanait de cet endroit. Il faisait assez beau et une douce chaleur était présente, ayant le temps, nous nous attablâmes à une terrasse et commandions une glace pour nous rafraîchir. Sur l’esplanade il y avait un groupe de jeunes sportifs qui jouaient à un jeu assez rare ; chacun était monté sur des rollers et muni d’un long « bâton », ils cherchaient à manipuler un galet posé au sol. Le jeu consisté à marquer des points en envoyant le galet dans une sorte de but. Il était plaisant de voir ces personnes, leurs déplacements étaient relativement fluides et ils occupaient la plus grande partie de la petite place. Parfois un voyageur muni de ses bagages, passait et traversait par inadvertance en plein milieu du jeu et des intervenants ; le spectacle était assez cocasse. Certains joueurs répétaient à part des mouvements d’arrêts de courses, ils s'entraînaient ainsi devant tout le monde.

  Une fois la glace finie, nous nous levions et fîmes quelques pas en traînant notre valise derrière nous. Nous avions encore le temps, aussi nous trouvâmes un coin d’ombre, juste sous un petit arbre, et là nous regardions tout cet espace plein de vie, de couleur et de mouvements.

     

    Nous étions très très calmes, immobile et silencieux, les mains posées sur la valise devant nous. Soudain il arriva une immensité totale, un vol de pigeons passa juste au-dessus de nous, les sportifs étaient toujours en mouvement, mais l’esprit lui était totalement immobile. Et cela arriva, vous étiez ce vol d’oiseaux, cette lumière de fin d’après-midi, chaque geste pour pousser le galet était le vôtre. Il n’existait plus aucune séparation, aucune coupure, aucune différence entre le spectateur et le monde ; celui qui regardait n’était plus, alors l’immensité fût.

     

    Puis doucement, tranquillement l’homme bougea, pris sa valise et dans un silence transfiguré, il sortit de la place.

  Quelle immensité sans bornes, la plénitude de l’univers était en chaque chose, et chaque chose était l’univers entier.

 

 

   Paul Pujol

 

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
16 mai 2025 5 16 /05 /mai /2025 08:17

 

   

    Il y un grand paradoxe dans la recherche de la liberté spirituelle, la plupart des personnes pensent qu’il y a un long parcours à faire, qu’il faut beaucoup de temps d’étude, d’années de recherche et d’enquête.

    Mais je vois que cela est incorrect, totalement incorrect, la liberté est au commencement, pas à la fin. La fin n’existe pas, sauf dans notre esprit, c’est un temps intérieur qui s’exprime en tant que volonté de réalisation. C’est une ambition qui vit dans un temps psychologique imaginaire.

    Demain, ou après-demain je serais libre, ce faisant on repousse l’aspect vital de la liberté et son urgence.

 

    Seul ce qui existe dans le présent compte et est réel. Suis-je libre, suis-je conditionné ? Ces questions primordiales exigent une réponse immédiate, une vision directe de ce que nous sommes.

    Suis-je conditionné ? Oui assurément, c’est là un fait, non pas une idée ou une théorie. Je suis conditionné par mon environnement, par la culture, la politique, la religion, par l’espace et le temps dans lequel je vis.

    Dans cette vision claire, il n’y a aucune tristesse, aucune fuite devant cette réalité, si on regarde de très près, on est totalement silencieux, et l’esprit est totalement immobile. Il n’y a aucune pensée qui demande comment ne plus être conditionné, le non conditionnement n’est qu’une idée, un processus imaginaire qui nous éloigne du simple fait, « je vis dans le conditionnement ».

 

    Quand on voit vraiment ce que cela est, que nous vivons par les idées des autres, par l’influence de la société, de nos lectures, de nos amis, de notre famille. Nous voyons que nous ne sommes que le jouet de multiples influences et tendances contradictoires. Comme un bateau ivre sans gouvernail, poussé de-ci delà par les vents tempétueux de l’existence. Je mange, je fume, je bois, et je me comporte avec les autres, sans aucune conscience de mes actes et de leurs motivations.

    Dans les faits, je n’ai aucune conscience de la manière dont je vis.

    Si on voit cela très clairement, on ne peut l’accepter, le tolérer, et donc on refuse cet état léthargique d’inconscience. On ne demande pas comment puis-je m’en sortir ? On en sort par l’acuité de cette  vision pénétrante qui est action.

    D’un seul coup on est en dehors du conditionnement, la liberté est là, pure et vibrante.

 

    Oui, la liberté est au commencement, pas à la fin, il n’y a pas de fin. Il y a plus de quarante ans, un tout jeune homme a découvert cela, c’est à partir de cette liberté que le véritable voyage commence.

    Le voyageur doit être libre, sans bagages, alors il peut aller aux confins même de l’univers.

   Ce mouvement de méditation va même au-delà de l’univers, entrevoyant l’origine de tout ce qui est, origine qui elle-même n’a jamais eu aucun commencement, ni début…

 

 

    Paul Pujol.

 

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
25 avril 2025 5 25 /04 /avril /2025 08:44

 

 

Trévoux le19 juillet 2010DSC01400  

 

 

    Tout le monde parle du silence, partout on vante cet état, c'est devenu un tel lieu commun, une telle platitude. Chacun dit connaître le silence, mais personne ne veut se taire, personne ne sait se taire ; qui donc a vu mourir le mouvement de ses pensées, réellement et très concrètement ? Celui qui connaît le silence n'en parle pas, ou très, très rarement.

    Qu'est-ce que le silence ? Quel est l'état de l'esprit qui découvre ce rivage ? Est-ce cet esprit qui a toujours était en mouvement, qui a toujours ruminé ses pensées ; cet esprit qui s'est bâti sur ces pensées, sur l'expérience, sur la mémoire ? Cette mémoire a construit le sentiment du "moi", au fil du temps, petit à petit, tout au long de la vie. Nous sommes cette mémoire, nous sommes le résultat du processus de la pensée, étant fabriqués par elle, nous en sommes les représentants.

 

    Pouvons-nous examiner ce qu'est au juste la mémoire ? Qu'est-ce que la mémoire ? C'est un mouvement basé sur des souvenirs, sur des enregistrements d'événements. Nous avons une action, un contact avec le monde, une expérience que nous enregistrons. Cette mémoire est stockée dans le cerveau, puis lors d'une nouvelle action, nous ressortons cette information pour agir. Il y a d'abord un contact avec le monde, puis il y a enregistrement, stockage, et ensuite il y a utilisation de la mémoire par le truchement de la pensée.

    La pensée se sert de la mémoire pour agir, ou plutôt la pensée est l'expression de la mémoire, des souvenirs. Le mouvement des pensées, c'est l'expression en apparence actualiser de la mémoire ; en apparence seulement, car la mémoire est un processus lié à lui-même. La dernière expression en fait est reliée à l'ensemble du processus, tout le mouvement se trouve inclus dans l'ultime pensée. C'est un mouvement d'accumulation, ou les bases servent toujours de support aux dernières strates, tous les éléments sont interdépendants et liés ensemble ; en fait c'est tout simplement un seul et même mouvement. Il se poursuit et se prolonge sans cesse, sans arrêt il rajoute des éléments, mais aussitôt il les teinte de son histoire, de ses tendances.

    

    Nous voyons que la mémoire est un processus, qui s'auto alimente constamment par l'expérience, mais aussi à un certain moment par le discours intérieur. Il peut y avoir des expériences extérieures, et des expériences intérieures, n'est-ce pas ? Donc nous avons vu que la pensée est basée sur la mémoire, et sur la recognition de cette mémoire. La pensée se meut toujours à l'intérieur d'un même espace, elle reste toujours dans le champ de l'expérience, du connu. Voyons bien que ce connu, c'est son histoire et sa vie ; par "sa vie" nous entendons le passé vécu, les souvenirs des nombreux hier. Les lointains jours heureux et les jours de tristesse, de peine, voilà ce qu'est le souvenir de nos vies.

    Qu'est-ce que cela veut dire ? Quel est le lien avec le silence, et avec la souffrance de la vie ici bas ? Excusez-moi pour cette interrogation qui vient maintenant ; quelque chose de nouveau, de totalement neuf peut-il être reconnu ? Un jour une chose totalement inédite, compétemment inconnue arrive, l'esprit peut-il non pas reconnaître cela, mais peut-il connaître cette chose ? Peut-il l'appréhender, la comprendre même ?

    L'ensemble du cerveau est le résultat, le produit de la mémoire, la pensée œuvre en son sein, elle en est l'expression. Avons-nous vu que ce mouvement qui se rattache à lui-même crée une sorte de continuité ? Il y a une suite ininterrompue de commentaires, de constats, de jugements, et sur cette suite sans fin, se crée un fort sentiment de durée ; un sentiment de permanence prend place dans l'homme. Cela s'inscrit dans son cœur et dans son esprit, la croyance du "moi" a pris racine, vous pouvez aussi dire le "je", ou bien "l'âme", qu'importe le mot ; c'est cette croyance, cette certitude qui existe.

    Nous voyons également que cette notion de durée, de continuité, ce sentiment crée réellement le temps psychologique, temps qui se superpose et se mêle au temps biologique. C'est sur cette échelle du temps intérieur, que l'esprit vit et projette son avenir glorieux, car après le passé, l'esprit mise beaucoup sur l'avenir, sur le futur. Cela donne un espoir, car ce que je n'ai pas pu faire maintenant, je le réaliserais demain ou après-demain.

    L'homme vogue entre la nostalgie du passé et l'espoir du futur. Et voyons que ce futur est basé lui aussi sur le passé, car quand on pense à l'avenir, on le fait toujours d'après ses expériences et ses conclusions, qui sont toutes issues essentiellement du passé. N'est-ce pas pour cette raison que l'homme ne change jamais ? Il modifie juste en surface sa vie, change de voiture ou de travail, déménage dans un autre pays. Mais l'esprit lui ne change pas ; rien de neuf ne vient fleurir le cœur de l'homme, et le monde continu tel qu'il est.

   

    Donc qu'est-ce que le silence, le véritable silence, pas le mot ou une vague description romantique, un sentiment évasif ? Réellement qu'est ce que le silence, qu'est-ce que cette immensité ? Procédons très simplement s'il vous plaît, le silence serait peut-être l'absence de bruit ? Pour l'esprit, quel est ce bruit, ce vacarme ? Est-ce le mouvement des pensées, ce bavardage constant dans l'esprit ? Le silence serait au minimum la suspension de la pensée, au moins pour un court instant ; soyons humble s'il vous plaît.

    Pendant un instant bref, les pensées peuvent-elles être absentes ? Est-ce réel ou bien est-ce une illusion que se joue l'esprit à lui-même ? Le silence est donc l'absence de pensées, cela veut dire que l'esprit n'utilise pas sa mémoire, ses nombreuses connaissances. Donc si ce silence est réel, on ne compare pas "ce qui est" à ce "qui a été" ; on ne peut tout simplement pas le faire, car la mémoire reste silencieuse. Le silence c'est d'abord le silence de l'esprit lui-même, celui de la pensée et de la mémoire. C'est l'ensemble de l'esprit qui baigne dans ce silence.

    Quand l'esprit touche le silence, il découvre alors une chose totalement inédite, totalement neuve, comme le premier matin du monde. Une chose hors du temps, hors de portée de la mémoire. C'est comme découvrir une nouvelle terre, un nouveau monde. Et, voyez-vous, là dans cette découverte, l'esprit se déleste de l'attachement au temps ; le sortilège du temps n'est plus. Alors l'esprit est totalement transformé, totalement autre, ce n'est plus le même esprit. Celui-ci a gouté la source vive, toute sa soif est étanchée à jamais, l'esprit devient alors profondément apaisé, tranquille. Celui qui a touché ce silence, a un esprit profondément en paix, et il ne cherche plus d'expériences, il ne cherche plus rien, car il a en lui une telle immensité, une telle énergie.

 

    Pour cet homme, chaque jour est un miracle et notre belle terre est un véritable Éden. Son esprit est très simple, bien au-delà des croyances humaines, des religions ou des cercles ésotériques, par delà toutes les idéologies humaines. 

    Au-delà du mouvement de la mémoire et du temps, siège un espace autre, qui ne peut être mesuré par l'homme ; dans cet espace existe quelque chose qui n'a jamais eu de commencement, qui a toujours était là, une chose hors du temps.

 

    Par-delà le silence, toucher cet espace "est" une réelle félicité.

 

 

  Paul Pujol, "Correspondances".

  Editions Relations et Connaissance de soi.

 "Toucher le silence", pages 102 à 106.  

 

 

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16 avril 2025 3 16 /04 /avril /2025 09:07

 

 

 Il y avait trois personnes marchant dans la nuit, le ciel nocturne scintillait de mille étoiles lointaines. On y distinguait également une planète du système solaire, et par moment des poussières stellaires venaient mourir en zébrant d'or le ciel de la terre. Il y avait des rires, de la complicité, l'air était rempli de joie de vivre, la présence de soleils lointains était comme autant de sourires et de rires partagés.

  Les trois amis regardaient tranquillement des constellations, observaient même la très proche galaxie d'Andromède. Il n'y avait aucune tension présente dans tout ceci, et au-delà des mots et des théories scientifiques, il y avait quelque chose de fécond. Quelque chose de profond, un mouvement intérieur indicible. Ce mouvement venant de l'esprit animait ces personnes, ainsi que l'univers entier, - celui-ci fait naître des galaxies, des mondes inconnus - et certains ne comprennent pas qu'il puisse également faire naître l'amour absolu, qu'il donne la liberté véritable.

   Seul ce mouvement sans mobile, sans règles intérieures, seul cela peut mettre un terme à l'illusion et à la souffrance. Il est une réalité inqualifiable, immuable qui est au-delà de l'homme, au-delà de ses jeux puérils tel que les religions et les rites, les croyances et l'adoration des textes.

    Ce soir il y avait trois humains dans la nuit, des milliards d'étoiles, des rires et des silences. Ce soir était baigné par une unité imperceptible, car cette marche nocturne était en fait le mouvement même du monde. Trois personnes marchaient dans la nuit, mais jamais il n'y avait eu trois esprits. Cette soirée pleine de joie était celle de l'esprit du monde, de la terre et des cieux. Celle de l'esprit qui s'étend au-delà des perceptions humaines, et les rires avaient touché des contrées inconnues, totalement vierges.

    Ce soir un sourire était né, et l'éternité avait ri avec l'univers entier.

   Un mot, un sourire, une étoile filante qui vous emporte dans son sillage. Plus rien n'existe sauf cette beauté innocente du monde, plus rien n'existe sauf cette générosité de la vie. Maintenant devant nous le monde connu n'est plus, et dans cette réalité autre, comment pourrait-on ne pas être submergé par l'amour ?

 

   Paul Pujol.

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
31 mars 2025 1 31 /03 /mars /2025 10:34
Le silence et le chant de la vie

 

    Trévoux le 14 octobre 2012  

 

 

    Une personne nous a contactés pour savoir si nous voudrions écrire un texte sur le silence. En répondant favorablement, on se demande immédiatement si cela est vraiment possible ? Si chaque parole ou écrit sur le silence ne fait pas fuir celui-ci. Le silence étant par définition l'absence de son, de mots, la suspension de tout bruit existant.

    Il est sans doute possible de vivre le silence, mais en parler ? S'exprimer à son sujet n'est-ce pas trahir l'essence même du silence ? Ces questions légitimes se posent tout à fait logiquement à celui qui accepte le défi de parler du silence. Si ces questions ne sont pas présentes, c'est que cet esprit n'a aucune conscience de la délicatesse du sujet, il n'a aucune conscience de la fragile et mystérieuse perception du silence...Pour un tel esprit le silence n'est qu'un mot facile, une suite de concepts et de lieux communs que tout le monde utilise aujourd'hui.

    Mais nous sommes des êtres de relation, personne ne vit isolé, et si un homme découvre vraiment cette immense réalité, tout son être le pousse à vouloir partager cela avec autrui. Cet homme se rend compte très rapidement de la difficulté de cette communication, quand il parle du silence les gens disent "c'est formidable monsieur, moi aussi j'ai connu cela". Alors celui qui voulait parler se tait et il écoute l'autre, et il voit et entend des tombereaux de mots, des cascades verbales sans fin. Il entend mille et une descriptions, et son interlocuteur s'emballe et n'en finit plus de parler. Presque tout le monde dit connaître le silence, mais on voit tout simplement que pour les hommes tout cela n'est qu'un océan de mots, peut-être y a-t-il eu des expériences dans le passé, mais il n'y a plus rien de vivant dans le présent. Cela est très surprenant, alors on se demande si soi-même on ne fait pas pareil. "Ma communication n'est-elle qu'une suite de mots stériles, n'est-ce qu'une simple expression orale sans vie aucune ?"

    Les paroles, ou les écrits sont-ils vivants, vibrant d'énergie ? Est-ce que cela coule dans mes veines comme du sang. Quand nous parlons du silence, entre-il en existence entre nous, dans notre relation ? Il peut y avoir une vie en relation avec le silence, et celui qui vit tout cela peut aussi ne jamais trouver les mots pour l'exprimer, pour essayer de le communiquer, de la partager avec l'autre.

    Donc qu'est-ce que le silence ? Cette question est sans doute valable, mais il faut vraiment garder à l'esprit que la description n'est pas la chose décrite ; le mot silence n'est pas le silence, la description d'une fleur n'est pas la fleur. C'est important de faire cette précision, car on demande alors au lecteur de ne pas s'attarder sur telle ou telle l'expression, mais d'essayer de saisir au-delà des mots l'intention de l'auteur, de sentir vraiment le parfum de ce qui est exprimé. Donc nous sommes clairs, les mots sont des outils qui n'ont pas de fin en eux-mêmes. Une phrase peut avoir sa propre beauté, mais si on en reste uniquement là, on n'est pas en relation avec l'auteur, et surtout avec ce qu'il désire nous faire toucher, avec ce qu'il veut nous faire goûter.

    Qu'est-ce que le silence ? Si en en croit le sens commun, c'est l'absence de bruits, de sons. Le silence existe donc quand le bruit n'est pas là ? Est-ce l'absence de bruits qui crée le silence ? Le silence ne serait-il donc qu'un intervalle entre deux sons ? Le silence naît-il du son, ou bien l'inverse ?

    On le voit, le silence a une relation évidente avec le son, avec le bruit. Nous définissons le silence par rapport au son, nous les comparons et les opposons. C'est quand il n'y a pas de bruits, que l'on distingue alors le silence, quand un bruit finit, alors nait le silence... Un musicien donnerait un éclairage un peu différent, il nous dirait que sans pause de silence entre les notes, la musique serait en fait totalement inaudible. Elle serait juste une cacophonie sans aucune harmonie, ni beauté. On peut dire également que le son, ou le bruit c'est l'expression de quelque chose qui existe, le son d'une flûte, le bruit d'un torrent de montagne, le craquement d'une branche. S'il y a un son, c'est qu'il y a quelque chose qui produit ce son, sommes-nous ensemble cher lecteur dans cette exploration ?

    Donc le son c'est l'expression de l'existence, d'une chose ou de la relation entre plusieurs choses naturellement, comme le vent soufflant dans les branches des arbres, ou le galop d'un cheval sur un chemin de terre. Le son est lié à l'existence, n'est-ce pas, voyons-nous bien cela ? C'est un fait, pas une description ou une définition. Alors se pose la question suivante : Si le silence est l'opposé du son (ce que nous allons examiner, nous ne disons pas que cela est vrai, nous disons "si le silence est l'opposé..."), alors qu'est-ce que le silence par rapport à l'existence ?

    Nous voyons vraiment à quel point cette enquête doit être menée avec beaucoup de subtilité, on peut en arriver très vite à dire d'énormes bêtises ; donc restons hésitants et avançons doucement (ensemble) s'il vous plaît. En premier lieu, revenons à cette affirmation : Le silence est-il l'opposé du son, du bruit ? Sont-ils antagonistes ?  Ce qui est sûr, c'est qu'ils ne peuvent être ensemble au même moment, quand l'un existe, l'autre ne peut être...Les deux états peuvent se succéder, comme dans la musique, mais ils ne peuvent vivre ensemble. Mais cela en fait-il des opposés ? Les opposés s'annulent, ou s'annihilent, l'existence de l'un fait que l'autre ne peut pas être. Mais regardons plus précisément, usons de la vision profonde. Le silence détruit-il vraiment le son ? S'il n'y avait pas de silence, entendrions-nous le son, le bruit ? Cette soit disant opposition n'est qu'une vue de l'esprit, n'est-ce pas ? L'essence même du silence rend perceptible le son, elle peut même transformer le bruit en son, en celui-ci crée alors la musique. Et quand le son finit, car tout ce qui existe finit, alors le silence est là à nouveau.

    Là nous découvrons quelque chose, regardons bien s'il vous plaît, le son naît et meurt, il finit ; il a une existence, avec une naissance et une fin. Quand est-il du silence lui-même, a-t-il une existence ? Quelle est son essence, a-t-il un début et une fin ? Ou bien le silence naît-il de la fin du bruit ? Découvrons ensemble chers amis ? Le fait indiscutable est que s'il n'y a pas de silence on n'entend pas les sons, les chants des oiseaux, les voitures qui passent ; le silence permet la perception des sons n'est-ce pas ? Maintenant les sons permettent-ils la perception du silence ? Pendant qu'ils existent, bien évidemment non, mais quand ils finissent, alors on perçoit le silence, et selon l'intensité plus ou moins forte de ces sons, on reçoit avec plus au moins d'intensité la présence du silence.

    Pour percevoir le silence, le son doit finir, mais il n'est pas évident que le silence soit créé par la fin du son...C'est la perception qui est rendue possible, n'est-ce pas, pas l'existence du silence. Regardons l'inverse, il semble vraiment que le son naisse lui du silence, on le perçoit aussi grâce au silence, mais le son naît et meurt comme nous avons vu, et il ne peut naître de lui-même. Naître veut dire venir au jour pour la première fois, être vierge de tout passé, être neuf, innocent ; si le son naît du son, alors ce n'est pas une véritable naissance, c'est le prolongement de ce qui existe déjà. Donc le son ne naît pas de lui-même, il entre en existence lui-même, il ne vient pas d'une autre existence, et l'absence d'existence c'est le silence.

    C'est cela la véritable création, le silence permet la naissance du son, des mots, de toutes les sensations, de toutes les musiques du monde, il engendre le chant des baleines dans les profonds océans.

    Nous commençons à voir ce qu'est le silence, par son essence même, il permet la création, c'est à dire l'existence des choses et des êtres. Alors peut-on dire que lui-même à une existence ? Quelle est sa nature réelle ? S'il a une existence comme nous l'avons vu, il a un commencement et une fin, mais cela ne semble pas être le cas. De manière plus ou moins confuse, on sent que le silence est au-delà de l'apparition et de la disparition, il n'a pas l'air d'être vraiment créé, on ne peut dire qu'il entre en existence, mais c'est sa perception qui se fait jour en nous.

    Voyons très profondément tout cela, explorons ensemble, cette chose ne naît pas, n'a pas une existence comme nous la connaissons (disons cela pour simplifier notre recherche), et s'il n'y a pas naissance, pas d'existence, peut-il y avoir mort et disparition ? Bien évidemment non, n'est-ce pas ? Seul ce qui existe meurt, nous découvrons donc par cette investigation que le silence est en dehors du mouvement du temps. Le temps, c'est la naissance, la croissance, la décrépitude et la mort, et nous voyons maintenant que le temps n'est pas lié à ce mouvement, cela veut dire que le silence ne meurt jamais...Donc quand la musique existe, avec tous les bruits de la terre, avec tous les dialogues incessants de l'esprit, avec le bruit de l'égo qui pérore, malgré tout cela, le silence est toujours là, toujours présent, inaltérable. Dés que l'esprit cesse de s'agiter, l'esprit peut toucher cette chose immuable, inchangée depuis la nuit des temps.

    Le silence c'est comme une immense étendue sans fin, c'est l'essence de la vacuité, n'ayez pas peur de ce mot s'il vous plaît. Le mot vacuité est lié au mot vacant, vacance, c'est à dire avoir le loisir d'être disponible, être tranquille et parfois percevoir et recevoir cette immensité. Et aussi une fois perçue, il faut la laisser partir et finir, mourir pour mieux naître à nouveau. Le son de l'esprit, son bruit propre, c'est la croyance dans le moi, c'est la très forte impression qu'il existe une entité psychologique, ou spirituelle autonome, une âme ou un esprit personnel. Ce bruit de l'esprit est le fruit du mouvement de la pensée, et ce mouvement fait naître la souffrance, l'isolement et la violence dans les rapports humains. Un tel esprit peut-il avoir une relation avec ce profond silence ? Le vacarme de la pensée peut-il découvrir cette immensité ? On voit bien, malheureusement, que la plupart du temps les gens abordent ce domaine avec l'outil de la pensée. Ils essaient de comprendre cela, de le sentir avec leur mental. Nous revenons au début de notre enquête, nous confondons sans cesse la description et la chose décrite, - le mot, l'image sont devenus plus importants que les faits eux-mêmes.

    Il suffit de regarder autour de nous, toute la société valorise l'image, l'apparence, les religions également sont dans ce piège, on représente le sacré dans des magnifiques peintures ou icônes, et ces images deviennent elles-mêmes sacrées. On ne sait rien du sacré, mais il y a des représentations, des images, alors on prie ces images, on les adore. Et l'esprit ne perçoit pas que c'est lui qui a créé ces images, et donc l'esprit s'adore lui-même à travers toutes ces images pieuses. Dans ces actions l'esprit de l'homme se voue un culte à lui-même, je pense que nous ne voyons pas cela. Donc en cherchant le silence, ne cherchons pas à dire que l'esprit qui découvre le silence devient ce silence, qu'alors l'esprit est dans un mouvement hors du temps, qu'il échappe à la mort... Ce sont des vielles lunes, de tels lieux communs que les hommes se racontent depuis tellement longtemps, voyons cela et ne tombons pas dans le piège de l'autosatisfaction. Ne nous prenons pas pour des dieux, ce que nous savons d'eux, c'est nous qui l'avons inventés, ce n'est qu'une projection de notre misère et de notre confusion.

    Alors l'esprit humain peut-il pénétrer dans cette dimension du silence, faite d'absence d'existence (nous l'avons vu me semble-t-il) ? Quand le son existe, le silence est toujours là, mais n'est plus perceptible. Que le son existe ou pas, qu'il y ait le bruit de l'esprit ou pas, le silence est là, c'est juste sa perception qui se réalise ou ne se réalise pas. Disons qu'un contact peut avoir lieu, quand le mouvement des pensées est suspendu, au moins momentanément, quand le son de l'esprit finit...

    Comprenons-nous ce que cela veut vraiment dire ? Laisser finir le mouvement de la pensée, le voir naître et le voir mourir, qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce de la science-fiction, une utopie irréaliste, ou même une aberration destructrice ? Est-ce même possible ? Nous admettons aisément que dans le monde tout bouge, tout change, les saisons passent, des feuilles naissent au printemps et meurent à l'automne, les présidents et premiers ministres changent. On peut perdre son emploi, notre épouse peut nous quitter pour un autre homme, nous savons tout cela et même si cela ne nous plait pas, nous l'admettons comme étant vrai, possible et probable. Alors si tout cela peut changer, pourquoi le mouvement des pensées serait-il toujours le même ? Quel lien entre le changement et la fin d'une chose ? Nous le savons très bien, nous voyons bien qu'un vrai changement c'est d'abord la fin de ce qui est, et comme nous sommes attachés à ce qui est, cela nous paraît douloureux et engendre la souffrance dans nos vies et dans nos rapports avec les autres. Si mon épouse me quitte, c'est parce que notre relation amoureuse est finie, notre rapport est maintenant totalement différent.

    Donc le véritable changement, c'est la fin de ce qui est, et logiquement finir totalement quelque chose, c'est changer notre manière de vivre. Alors l'esprit maintenant n'a plus peur de laisser finir le mouvement des pensées, cela ne se produit peut-être pas tout de suite, mais l'esprit n'a plus peur de cette éventualité. En fait sans s'en rendre compte l'esprit a déjà changé, la peur est moins prégnante, elle domine bien moins l'esprit, et l'esprit est déjà différent. En regardant comment fonctionne les pensées, en regardant vraiment, l'esprit voit directement ce mouvement du mental, il n'y pense pas, il le regarde vraiment. C'est à dire que si l'on observe profondément quelque chose, c'est cette chose qui compte, et pas mon point de vue ou mes pensées sur cette chose. Donc on regarde directement le mouvement des pensées, on ne pense pas aux pensées, on les observe effectivement, comme des faits concrets. Si on ne pense pas pendant cette observation, les pensées (qui commentent) sont donc absentes de l'esprit, celui-ci est silencieux, sans sons intérieurs ; et si les pensées sont absentes, y a-t-il en penseur qui existe ?

    L'observation véritable, profonde, existe par l'absence même du penseur, du moi, de l'entité qui parle et qui commente. Il y a l'observation, le regard vivant, dans cette action la pensée n'a pas sa place, et l'existence du penseur s'évanouit comme une feuille d'automne qui tombe au sol, simplement et avec grâce. En cette absence le silence est perçu, et il n'y a personne pour percevoir cela, il n'y a que la perception du silence et le silence. On ne peut résider dans le vide, sinon ce n'est plus le vide, de même on ne peut demeurer dans le silence, mais lui-même peut envahir toute la vie, il peut s'étendre à toute l'existence de l'être humain.

    Quand le silence inonde toute la vie, alors cette vie devient une création vivante, changeante, c'est alors un son vivant et le chant sacré de la vie court sur le monde.

 

 

 

  Paul Pujol

  Texte paru dans la Revue Troisième Millénaire N° 106, de Décembre 2012

 

 

   Pour voir la liste des textes de Paul Pujol, cliquez ici : Textes

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Paul Pujol - dans textes paul pujol