30 juin 2023 5 30 /06 /juin /2023 08:44
Krishnamurti en dialogue avec des psychiatres.

 

 

 

 Voici un texte qui présente des dialogues entre Krishnamurti et des psychiatres (et des thérapeutes). Cet écrit est composé de trois parties, nous présentons ci-dessous l'introduction et la

première partie.

 

Vous avez l'ensemble du texte en bas de page en format PDF.


Cette traduction libre, est le fruit du travail fait par la Revue Troisième millénaire. Nous les en remercions grandement.

 

 

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 Qualifier Krishnamurti de philosophe, d'enseignant ou de psychologue semble bien insuffisant. Pourtant, ses insights sur la conscience humaine et ses activités, sur la structure de la pensée, le conditionnement, le temps, le soi, la réaction psychologique, la pensée analytique, et aussi ce qui peut être au-delà de la pensée, ont suscité l'intérêt des personnes impliquées dans la philosophie, la religion, l'éducation et la psychologie.


Au milieu des années 1940, un groupe d'éminents psychiatres rencontra Krishnamurti à Washington, D.C. Il s'agissait des docteurs Benjamin Weininger, Harry Stack Sullivan, Erich Fromm, David Rioch et Margaret Rioch. S'appelant eux-mêmes la Société Psychoanalytique de Baltimore-Washington, ils allaient avoir un effet distinctif sur le cours de la psychiatrie américaine qui s'éloignait d'une perspective historique pour mettre l'accent sur les problèmes immédiats de la vie. Le Dr Weininger décrit cette évolution dans son entretien avec Evelyne Blau dans son livre Krishnamurti : 100 Years : « La clé de la compréhension de soi en psychanalyse est basée sur la révélation de l'histoire passée et Krishnamurti fait un point très important – un point légèrement différent. La clé, comme il le voit, est d'être conscient de vos réactions. Habituellement, vos images de la façon dont les choses devraient être sont constamment menacées, et lorsque votre image est menacée dans quelque domaine que ce soit, vous réagissez et parfois vous réagissez par la colère ou la douleur et ces réactions proviennent toujours de votre passé. Vous pouvez donc accéder à votre passé en comprenant vos réactions plutôt qu'en creusant dans le passé. »


L'entretien complet avec le Dr Weininger constitue la première partie de Krishnamurti et les psychiatres. En 1950, Krishnamurti rencontre à nouveau le Dr Weininger et un groupe de
psychiatres, cette fois à New York. La transcription d'un de leurs dialogues constitue la deuxième partie de ce texte. Plus tard encore, Krishnamurti a rencontré les docteurs Karen Homey, R.D. Lange et David Shainberg. En 1975, le Dr Shainberg a organisé une conférence à New York avec Krishnamurti et 25 psychothérapeutes. Son rapport sur cette rencontre constitue la troisième partie.

 


***


 Les mots d'introduction ci-dessus ont été adaptés de l'introduction du Bulletin 70 de 1996 de la Krishnamurti Foundation of America, où les parties 2 et 3 ont été publiées à l'origine. D'autres conférences avec Krishnamurti et des psychiatres ont eu lieu en 1976, 1977, 1982 et 1983. Le matériel inclus ici a été suffisant pour intéresser de nombreuses personnes. J'ai donné près de 200 exemplaires du Bulletin 70, principalement à des invités des centres d'étude de Krishnamurti, en particulier le Centre de Brockwood Park en Angleterre, ainsi qu'à d'autres personnes qui étudient, travaillent ou s'intéressent à la psychologie. Certains des destinataires étaient des psychiatres, peut-être inquiets de la façon dont leur profession avait été perçue par Krishnamurti. Je leur disais qu'il avait parfois qualifié les psychothérapeutes de psychoterroristes, ce qu'ils trouvaient toujours drôle, mais aussi que je me souvenais que Krishnamurti avait dit que tant que les êtres humains seraient dans cet état, les psychiatres existeraient. Mais c'est cette déclaration qui résume peut-être le mieux la vision de Krishnamurti sur le sujet : L'analyse est une paralysie.


Friedrich Grohe
Rougemont, août 2012

 


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PARTIE 1


Weininger, Benjamin, M.D (1905-1988). extrait de Krishnamurti : 100 ans par Evelyne Blau.

 


 DR. BENJAMIN WEINNINGER : En 1946, j'ai présenté Krishnamurti à tous les psychanalystes de la société psychanalytique de Washington. Il est venu chez moi pendant une semaine et a parlé tous les jours. Ceux qui étaient là ont été très impressionnés par lui. Harry Stack Sullivan, Erich Fromm, David Rioch et Margaret Rioch. À cette époque, Karen Horney m'a demandé de venir à New York. J'ai passé deux heures avec elle à discuter de l'enseignement de Krishnamurti et elle a été non seulement impressionnée par lui, mais elle a vu la similitude entre son enseignement et toute son école, le groupe de psychanalystes de Karen Horney. Ils se sont intéressés et ont commencé à écrire sur l'enseignement de Krishnamurti. Plus tard, David Shainberg et tout son groupe de psychanalystes du cercle Karen Homey ont été absorbés par l'enseignement de Krishnamurti. K s'y rendait chaque année pour plusieurs conférences, auprès de ces analystes. Ils sont toujours impliqués d'une manière ou d'une autre. L'un d'entre eux a abandonné la psychanalyse et est devenu un artiste. C'était donc l'un des effets importants.


EVELYNE BLAU : Krishnamurti a-t-il pu exposer clairement sa vision de l'esprit humain aux psychanalystes ?


BW : La perception de Krishnamurti de l'esprit humain était plus claire que celles de tous ceux que j'ai rencontré. Il était évident pour moi qu'il avait une meilleure compréhension et lorsque je l'ai emmené à Washington D.C., il a parlé aux psychanalystes, ils m'ont demandé : « Comment saviez-vous que nous serions intéressés par Krishnamurti ? » Je leur ai répondu que c'était évident pour moi que ce serait le cas. Ils ont été très intéressés et cela a eu un effet sur leur pratique et leur vie aussi.


EB : Krishnamurti devait attendre ces rencontres avec impatience.


BW : Eh bien, j'ai vu Krishnamurti avoir peur et je pense qu'il est important de décrire les circonstances dans lesquelles cela s'est produit. Quand il parlait aux psychiatres et aux psychanalystes pour la première fois à Washington, D.C., il est venu me voir et il tremblait de peur. Il m'a dit : « J'ai peur ». J'ai essayé de le rassurer en lui disant que tout irait bien, puis quand il a commencé à parler, j'ai réalisé qu'il était capable de laisser tomber sa peur. Il s'est permis de vivre pleinement sa peur et de la laisser partir. La plupart d'entre nous ne font pas cela, nous restons avec nos peurs au lieu de les laisser partir. C'est ce qu'il veut dire quand il dit « Je n'ai pas de peur ». Je lui ai également demandé : « Auriez-vous peur si vous étiez en train de mourir ? » et il a répondu : « Je ne sais pas. Il faudrait que je voie, que je sois conscient pour voir si j'ai peur ».


EB : Y avait-il un domaine particulier qui présentait un intérêt particulier pour le groupe ?


BW : Les psychanalystes et les psychiatres ont récemment manifesté un intérêt considérable pour l'activité centrée sur soi. En fait, l'activité centrée sur soi est un sujet dont Krishnamurti a parlé toute sa vie et les psychiatres commencent peut-être à s'y intéresser. Il s'agit d'un point très important : la plupart d'entre nous, si nous avons été fortement blessés dans notre enfance, avons plus de mal à interrompre l'activité égocentrique. Une autre façon de le dire est l'implication excessive du soi. Il est plus facile de le faire dans la mesure où l'on a eu une enfance agréable ou bonne. Il est alors plus facile d'abandonner l'activité centrée sur soi ; sinon, c'est plus difficile. Certaines personnes ne s'en détachent jamais.


EB : Y a-t-il aujourd'hui, dans le domaine de la santé mentale, un sujet d’intérêt particulier ?


BW : Les psychanalystes d'aujourd'hui soulignent l'importance de l'amour, même Freud soulignait l'importance du travail et de l'amour. Mais aujourd'hui ils soulignent davantage encore l'importance de l'amour. La plupart des psychanalystes et des psychiatres ont une vision plus limitée de l'amour, et je pense qu'ils ne vont pas assez loin. Ils s'arrêtent avant d'atteindre le but. Si une personne n'entre pas dans un processus d'éveil spirituel et de compréhension de la personne dans son ensemble, alors c'est incomplet. La plupart des travaux des psychiatres/psychanalystes, à mon avis, sont incomplets et l'influence de Krishnamurti a pu m'aider à aller plus loin dans ma propre vie que je ne l'aurais fait sans lui.


EB : De quoi pensez-vous que Krishnamurti parlait réellement ?


BW : Lorsque j'ai eu mes entretiens privés avec Krishnamurti, il m'a dit ce sur quoi il pensait parler. Psychologie, philosophie et religion, c'est le sujet dont il parlait – les trois. Il ne s'agit pas d'une seule chose, elles sont toutes liées, interdépendantes. Vous ne pouvez pas les séparer. Les psychanalystes, les psychanalystes modernes, pensent que sans la philosophie, il n'y a pas de psychanalyse. C'est le début, l'orientation philosophique.


EB : Votre intérêt pour Krishnamurti a-t-il entraîné un changement dans votre pratique ?


BW : Au cours des cinq premières années de ma formation, j'ai pratiqué une psychanalyse freudienne normale, mais après avoir terminé la formation, je me suis retrouvé à dériver vers mon intérêt pour la manière d'enseigner de Krishnamurti. Ce changement s'explique en partie par le fait que j'avais une relation plus étroite avec la personne, le patient. Je n'étais pas aussi impersonnel et je n'hésitais pas à parler de ma philosophie et à la partager avec les patients. Je leur donnais souvent des brochures de Krishnamurti à lire et je pense que j'ai eu beaucoup d'impact par ce biais, et beaucoup d'entre eux ont été très intéressés et ont suivi l'enseignement. Ma pratique psychanalytique a été critiquée pour son implication dans l’enseignement de Krishnamurti, mais j'ai continué à enseigner. Beaucoup de choses qui sont me sont arrivées ainsi qu’à mes patients sont vraiment non verbales. C'est le sentiment entre nous qui passe. Il y a un élément en ce qui concerne la pratique et c'est un point que j'ai appris de Krishnamurti. La qualité de condamnation que j'ai est très forte et j'ai appris au cours des années à être conscient de ma condamnation. Cela se traduisait par de l'impatience, car ils avaient l'impression que lorsqu'ils venaient dans mon bureau et dans le monde en général, ils étaient condamnés tous les jours. Plus tard, quand ils sont venus à mon bureau, ils ont eu le sentiment que quelqu'un ici ne condamnait pas et ils ont quitté le cabinet en se sentant, pratiquement comme je le faisais en quittant Krishnamurti.


EB : Tout au long de sa vie, Krishnamurti a mis l'accent sur la liberté, la liberté psychologique. Quel est votre point de vue sur cet accent ?


BW : De nombreux psychologues ne croient pas que la liberté psychologique existe – ils pensent que vous êtes conditionné et que vous êtes victime de votre passé et que personne n'est libre psychologiquement. Les non-psychologues disent parfois que s'il n'y a qu'une seule autre personne dans le monde en plus de vous-même, vous n'êtes pas libre de faire ce que vous voulez ; l'autre personne ne vous laissera pas faire. Mais Krishnamurti ne parle pas de ce type de liberté, il parle de liberté psychologique et cela prête souvent à confusion. Nous faisons partie de notre passé total, mais psychologiquement nous pouvons être libres. Nous avons du mal à comprendre Krishnamurti car il parle souvent de liberté psychologique, de mort psychologique, de fin psychologique et il ne veut pas dire finir théoriquement. Être libre psychologiquement signifie être libre de tout conditionnement passé.


EB : La plupart des religions et des philosophies voient l'importance de la connaissance de soi. Quelle est la clé de la compréhension de soi ?


BW : La clé de la compréhension de soi en psychanalyse est basée sur la révélation de l'histoire passée et Krishnamurti fait un point très important – un point légèrement différent. La clé, comme il le voit, est d'être conscient de vos réactions. Habituellement, vos images de la façon dont les choses devraient être sont constamment menacées, et lorsque votre image est menacée dans quelque domaine que ce soit, vous réagissez et parfois vous réagissez par la colère ou la douleur et ces réactions proviennent toujours de votre passé. Vous pouvez donc accéder à votre passé en comprenant vos réactions plutôt qu'en creusant dans le passé.


EB : Pouvez-vous nous décrire Krishnamurti, à la fois l'homme et l'enseignement ?


BW : D'après mon expérience, il n'y a aucun moyen de décrire Krishnamurti avec des mots. Vous pouvez dire qu'il était un enseignant mondial ou vous pouvez dire qu'il était un grand psychologue, philosophe et un grand enseignant religieux et cela ne transmettrait rien à votre interlocuteur. Il n'y a aucun moyen, dans mon vocabulaire limité, de décrire Krishnamurti autrement qu'en lisant ses enseignements. On peut s'en faire une idée à travers les films et les cassettes vidéo, alors on peut se faire une idée de Krishnamurti sans le lire. Mais je ne pense pas pouvoir le transmettre à qui que ce soit, pas avec des mots. Sa présence était très puissante, ce qu'il m'a transmis était vraiment le genre de personne qu'il est, de sorte que lorsque je l'ai vu en 1945 pour une série de conférences, il était en retard au rendez-vous – cinq minutes – et il est sorti pour me dire qu'il était en retard, il m'a serré la main et est parti rapidement. L'impact de sa poignée de main, sa présence était si vivante, qu'après son départ, j'ai senti que j'étais prêt à rentrer chez moi, c'était un impact si fort. Sa présence est ce qui est communiqué et beaucoup de gens qui entendent les conférences ne se souviennent même pas de ce qu'il a dit. Certains d'entre eux s'en souviennent et sont capables d'en parler, mais beaucoup ne le peuvent pas, car ce qui est communiqué par Krishnamurti est non verbal, la partie sacrée, la partie silencieuse est communiquée et c'est principalement non-verbal, et c'est à cela que les gens réagissent, même s'ils ne comprennent rien de ce qu'il dit.

 


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Paul Pujol - dans Krishnamurti
1 juin 2023 4 01 /06 /juin /2023 15:13
L'esprit religieux.

  

 

 Il s’agit d’avoir un esprit profondément religieux, c'est-à-dire profondément libre.

   A l’origine de bien des religions se trouvait ce souffle de liberté, mais les hommes, avec le temps, ont créé des systèmes, des organisations qui ont détruit cette liberté. Ces structures sont devenues des groupes qui recherchent le pouvoir, et qui dans les faits, veulent dominer les hommes, les modeler et les diriger. Les religions organisées embrigadent les personnes, les conditionnent, elles dictent aux hommes ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire.

   L’humanité a subi depuis bien longtemps un véritable lavage de cerveau, et nous croyons sincèrement que les religions sont indispensables, qu’un homme qui se dit religieux ne peut qu’appartenir à telle ou telle religion. 

  

  Mais l'existence des différentes traditions religieuses crée aujourd'hui une grande fracture dans l’humanité, une grande tension et de multiples violences partout dans le monde. De plus, elles sont basées sur des textes très anciens et viennent d’époques très différentes de la vie contemporaine. Elles sont donc inadaptées, et en décalage complet avec notre temps. De tout cela naît la division entre les hommes, l’animosité, la méfiance et bien souvent la haine de l’autre. Comment un être religieux peut-il haïr un autre être humain ? Est-ce encore de la religion, vraiment ?

 

   Il s’agit de faire naître un véritable esprit religieux, non soumis à aucune religion, si belle soit-elle. Mais il faut avoir une grande rigueur et une discipline personnelle stricte, pour ne pas tomber dans la création d’une nouvelle chimère religieuse. Il faut veiller à ne pas créer un nouveau groupe et ne pas formuler de nouveaux dogmes, et ainsi ne pas recommencer tout le délire de la religion organisée.

  

   Un esprit religieux explore et découvre les mécanismes de la pensée et de la mémoire, l’esprit s’observe lui-même en profondeur, et il observe le monde de la même manière.

   Un tel homme explore ce qu’est le conditionnement, la liberté et la vérité, mais jamais il ne fige ce voyage, jamais il ne s’arrête à des conclusions ou à des idées. Il reste libre, en mouvement, et dans les faits il engendre un tout nouveau mouvement dans le monde, une véritable culture de l’esprit, profonde et vaste.

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
15 mai 2023 1 15 /05 /mai /2023 08:05

 

21 11 11

 

 

 

  Le 22 avril 2011

 

 

    Qu'est-ce que la spiritualité laïque ?

 

   Beaucoup en parlent, et décrivent leurs points de vus, certains font la différence entre la religion, les religions et cela. Mais qu'est-ce que cela veut dire, cela a-t-il même un sens, qu'est-ce donc que la spiritualité laïque ? Pourrions-nous essayer de voir un peu plus clair dans cette "nouvelle" approche ?

    En premier lieu il paraît surprenant et peu opportun de mettre ensemble les mots "spiritualité" et "laïcité". Nous avons ce sentiment car la laïcité c'est justement la séparation entre le religieux et la société civile, plus exactement entre le pouvoir politique et les religions organisées.

  Le monde politique n'est pas affilié (dans la théorie) au monde religieux, et une société laïque n'intervient pas dans le domaine de la foi ou de la croyance. Par contre elle veille à ce que l'expression de toutes les religions puisse se faire, sans normalement favoriser l'une ou l'autre de ces expressions. Il est évident que dans la réalité, il en est tout autrement, et chaque individu a ses tendances, sa culture, et parfois sa croyance. Mais l'idée principale, c'est la séparation des pouvoirs, la politique d'un côté et les religions de l'autre, sans connivence possible et sans mélange des genres.



  Donc la laïcité c'est en quelque sorte, un système qui veut garantir l'égalité entre les religions, avec une volonté de non ingérence de part et d'autre. Si nous regardons bien tout cela, nous voyons que lorsqu'on parle de religions, nous parlons naturellement des religions organisées : le catholicisme, le judaïsme, l'islam ou le bouddhisme, et bien d'autres encore... Par religions organisées, nous entendons une structure avec des préceptes, une hiérarchie, des rîtes et des symboles ; c'est un système avec une orthodoxie officielle. On peut simplifier en disant, que ces mouvements proposent des méthodes, des voies à suivre, avec tout un système basé sur des récompenses, le paradis ou la félicité, et sur des châtiments, l'enfer et la damnation.

  Cela se traduit dans les faits, par une pression sociale et culturelle, qui tend à imposer la conformité et la soumission à la religion prédominante. La laïcité vise à neutraliser cette pression, et à créer un contre pouvoir face à l'éventuelle domination d'un mouvement religieux particulier.



    Maintenant, pourrions-nous examiner ce que veut dire le mot "spirituel" ? Cela vient, comme chacun le sait, du mot esprit, qui lui-même vient du mot souffle. Par esprit, on comprend tout ce qui à trait à la pensée, la mémoire, les sentiments, les émotions, les jugements, qui sont liés aux perceptions, aux théories, aux idées, bref à toute notre vie d'être humain. Sans "esprit", que serions-nous ? Des automates, des machines ou des animaux régis par leurs seuls instincts ? Le raffinement de la culture vient de cette vie intérieure, de la vie de l'esprit. On peut dire aussi que la véritable intelligence naît de cela.

    Mais ce tableau est-il exact, réel et complet ? Certes les hommes ont créés des choses magnifiques : des tableaux, des sculptures et des cathédrales grandioses ; le monde médical invente des outils merveilleux, l'homme va dans l'espace. Mais n'oublions pas les guerres, les tueries, les massacres au nom de la patrie ou de Dieu. La barbarie semble toujours sous-jacente aux activités humaines ; la compétition, la loi du plus fort, le faible méprisé et écrasé, le frère contre le frère. Partout cette violence, cette lutte et cette cruauté.

    Donc l'esprit crée la culture et son raffinement, mais il crée aussi les guerres et la violence qui ronge le monde. Et nous voyons que cette violence, qui peut être aussi économique, domine et mène le monde. C'est un fait incontournable. L'être humain vit dans une société qui crée des conflits et le brutalise sans cesse. Mais qu'est-ce que la société ? Est-ce une chose séparée de nous, est-ce une entité autonome, un organisme qui vit par lui-même ? Qu'elle est notre relation avec cette société ? Nous en sommes issus, nous en sommes les produits, culturellement, religieusement et politiquement. Étant les enfants de ce monde, notre comportement et notre manière de vivre viennent des valeurs inculquées par ce monde. Nous représentons cette société et en vivant nous prolongeons cette société avec son cortège de malheurs et de misère. L'homme est un produit conditionné de cette société ; il en est le fruit, et par son action il prolonge et accentue le désordre de cette même société. L'environnement conditionne l'homme, et l'homme conditionne la société ; cela est un cercle fermé, et c'est un cercle de souffrances et de peines sans fin.

    L'homme peut-il briser cette souffrance, peut-il se déconditionner ? On peut admettre la souffrance et aménager sa vie avec, en se satisfaisant de temps à autre d'un peu de joie, d'affection et de plaisir partagés. Certains pensent même que la souffrance est nécessaire à la création, mais d'où vient cette attitude ? L'homme accepte cette souffrance, dans le sens où il pense que : "c'est inévitable, qu'il n'y a rien à faire". Autant bien le prendre et voir si il n'y a pas des avantages à cela, alors un artiste dit "quand je souffre, c'est là ou je crée le mieux...". Les Chrétiens disent, "Jésus, par sa mort et sa souffrance sur la croix a racheté les péchés du monde..." Bref on accepte la souffrance, puis on la sanctifie et ensuite on lui donne une grande valeur morale. Mais voyons-nous ce que nous faisons ? Voyons-nous toute l'immoralité d'une telle attitude ? C'est une réelle folie, un poison que l'on met dans le cœur des gens. Ce type d'attitude est typique du conditionnement de notre société ! Il y a quelque chose est anormal, puis avec des arguments on rend cela acceptable et on en vient même à dire que c'est très utile, voir souhaitable. On ne veut plus mettre un terme à la souffrance, on lui trouve même des qualités, puis on recommande pratiquement de souffrir. Voyons-nous ce revirement de situation ? Le problème est valorisé, au lieu d'être résolu...



    Disons le fermement : "la souffrance est inacceptable, de même la violence et la barbarie humaine". Ces choses doivent et peuvent finir ; cela est impératif, tout autre attitude relève de la folie et de la propagande du siècle. Donc devant ce constat, l'homme devient responsable et il ne rejette plus la faute sur la société. Chacun crée cette société, nous sommes cela. Donc qu'elle action reste-il pour l'homme qui vit dans cette société, qui doit travailler, nourrir sa famille, payer ses impôts ? S'il agit superficiellement, comme nous l'avons vu, son action serra uniquement la suite et la continuité de ce monde, et donc la souffrance perdurera. L'homme alors s'interroge sur sa manière d'agir, de voir et de concevoir la vie ; il regarde ce que sont ses valeurs propres. Il examine donc ce qu'est son esprit, avec ses pensées, ses sentiments, ses idées, ses théories ; il les examine non pas pour s'auto-sanctifier, mais il les examine, il les regarde pour voir si elles sont justes, si elles sont vraies. Voilà comment naît ce que l'on nomme "la connaissance de soi", c'est à dire l'étude des mécanismes de la pensée et de l'esprit.

    Si on veut approfondir tout cela, on voit qu'il ne s'agit pas de rejeter superficiellement les religions (par exemple), tout en gardant leurs outils : prières, méditations, mantras et autre techniques. Beaucoup de personnes qui s'intéressent à la spiritualité, disent ne pas dépendre des religions, mais elles fonctionnent sur les valeurs établies par celles-ci. Si on considère que les religions organisées ont fait fausse route, si on s'en écarte, il faut remettre à plat leurs moyens d'investigation du réel. Et la toute première chose dont on se rend compte, c'est que toutes disent avoir découvert le chemin vers la vérité (pour ne pas dire vers Dieu). Elles proposent toutes un ensemble de systèmes qui permettent à l'adepte, petit à petit, de s'approcher du but fixé. Elles possèdent toutes des méthodes progressives, avec différentes étapes, des expériences vécues et de nombreuses croyances. Partout il y a des dogmes infaillibles que l'on ne peut contester. Le questionnement dans les religions orientales, bouddhisme ou hindouisme, est devenu purement formel et ne concerne, plus du tout, les fondements même de la religion. On parle et l'on questionne, mais juste pour avoir des informations par rapport au culte ou aux écritures, on ne cherche pas véritablement par soi-même.

    Les techniques visent en fait à avoir des expériences, à vivre certaines choses ; mais qu'est-ce donc que ces découvertes, sont-elles l'expression de la vérité ? Ou bien ne sont-elles pas l'expression de l'avidité de l'esprit qui se veut extraordinaire ? Une expérience extatique, ou autre, donne un sentiment de "différence" à l'esprit, et très vite après la "différence", vient le sentiment de "supériorité". Quel vécu extraordinaire ! Alors l'esprit se sent extraordinaire, en fait il se sent supérieur aux pauvres êtres humains qui ne vivent pas tout cela.

    Mais si on regarde attentivement tout ce processus, on voit bien que ces "expériences" correspondent à ce qui est attendu dans la tradition. Elles servent à valider la progression de l'adepte sur la voie, en fait elles confirment que tel homme est bien conforme à ce qui a été défini par d'autres, par ceux qui savent : les prêtes ou bien les maîtres. Donc celui qui fait ces expériences rentre dans le moule de la tradition ; en fait il se soumet à l'autorité. Excusez-moi, mais ne serait-ce pas ce que l'on nomme un "lavage de cerveau" ? On accepte un conditionnement, puis on expérimente par le vécu le réel de cette foi. Mais le réel n'est pas la vérité. Les religions sont très réelles et nombreuses, mais sont-elles l'expression de la vérité ?



    Donc l'homme se met en mouvement, il n'accepte rien de ce qu'on lui dit, il regarde et examine par lui-même toute chose. Existe-t-il dans l'être humain une capacité à découvrir ce qui est vrai, à séparer le vrai du faux, et à voir le faux pour le faux ? Pour savoir si cela existe, il faut bien comprendre comment nous fonctionnons, quel est le mécanisme de la pensée, de la mémoire ? Comment naissent les émotions, les sentiments ? Si nous ne percevons pas clairement les choses, qu'est-ce qui brouille notre vision ? Quel est ce voile qui opacifie l'esprit ?

    Il faut donc saisir par soi-même, ce qui nous empêche de voir directement et simplement les choses. Par cela on commence à apprendre véritablement, pas dans le sens d'accumuler des informations sans fin, mais on apprend à voir par soi-même, à démonter et mettre fin aux conditionnements de l'esprit. C'est juste le tout début d'une démarche spirituelle ; on regarde ce que sont les pensées, la mémoire, les instincts, et aussi la création d'idéaux, d'opinions personnelles. Puis à un moment donné, après quelques temps d'étude et d'observation, on découvre autre chose que le mouvement de la pensée ou de la mémoire. Ce n'est pas en opposition, c'est un autre aspect de la vie, cela n'est pas du domaine de la pensée et de l'expérience, c'est comme un silence immense qui entre en existence. Au-delà de la mémoire qui se perd dans la nuit des temps, existe un mystère qui semble préexister à l'homme et à la vie, c'est comme un souffle, comme l'essence même de la vie.



    Une démarche spirituelle authentique se doit d'être purement laïque, c'est à dire libre de toutes organisations ou obédiences religieuses. C'est un mouvement de découverte qui n'existe que dans une totale liberté, et cette liberté est l'essence même de la religion.

    Seule cette liberté permet à l'esprit de se déconditionner entièrement et profondément. Alors l'esprit est différent, et la souffrance n'existe plus.

 

 

 

 Paul Pujol, Correspondances.

 Éditions Relations et Connaissance de soi.

"La spiritualité laïque, ou l'essence de la religion", pages 107 à 114.

 

 

   Une personne amie a traduit gracieusement ce texte en Arabe, qu'il en soit vivement remercié.

   Pour voir l'article traduit par Dimitri Avghérinos sur son blog, suivez le lien:  link

 

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13 avril 2023 4 13 /04 /avril /2023 14:14
La révolution intérieure.

 

   Une véritable révolution intérieure dépasse toutes les traditions, elle va au-delà de toutes les conventions et de tous les standards inventés par les hommes.

 

   C’est une flamme de liberté, elle va à la source même des choses, et ne s’arrête pas aux fioritures et aux détails superficiels.

   Elle n’ a que faire des Gurus et des disciples, que faire des religions et de leurs rites. Elle remet tout à plat, et au fond n’a que faire des livres, des descriptions et des commentaires qui s’y trouvent.

   Elle récuse tout avilissement et toute soumission, car elle est faite du feu de la vérité qui doit être personnel, et qui ne peut dépendre d’autrui. Il est indispensable d’être sa propre lumière.

 

   La révolution intérieure remet tout en cause, interroge tout. De cette interrogation, de cette passion naît un regard clair, une vision profonde.

 

   C’est ce regard de vérité qui libère...

   

 

   Paul Pujol.

 

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
28 mars 2023 2 28 /03 /mars /2023 17:32
La lune.

 

  Texte issu du livre "Senteur d'éternité".

  Voir dans l'article sur nos deux livres.

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Paul Pujol - dans textes paul pujol