15 mai 2023 1 15 /05 /mai /2023 08:05

 

21 11 11

 

 

 

  Le 22 avril 2011

 

 

    Qu'est-ce que la spiritualité laïque ?

 

   Beaucoup en parlent, et décrivent leurs points de vus, certains font la différence entre la religion, les religions et cela. Mais qu'est-ce que cela veut dire, cela a-t-il même un sens, qu'est-ce donc que la spiritualité laïque ? Pourrions-nous essayer de voir un peu plus clair dans cette "nouvelle" approche ?

    En premier lieu il paraît surprenant et peu opportun de mettre ensemble les mots "spiritualité" et "laïcité". Nous avons ce sentiment car la laïcité c'est justement la séparation entre le religieux et la société civile, plus exactement entre le pouvoir politique et les religions organisées.

  Le monde politique n'est pas affilié (dans la théorie) au monde religieux, et une société laïque n'intervient pas dans le domaine de la foi ou de la croyance. Par contre elle veille à ce que l'expression de toutes les religions puisse se faire, sans normalement favoriser l'une ou l'autre de ces expressions. Il est évident que dans la réalité, il en est tout autrement, et chaque individu a ses tendances, sa culture, et parfois sa croyance. Mais l'idée principale, c'est la séparation des pouvoirs, la politique d'un côté et les religions de l'autre, sans connivence possible et sans mélange des genres.



  Donc la laïcité c'est en quelque sorte, un système qui veut garantir l'égalité entre les religions, avec une volonté de non ingérence de part et d'autre. Si nous regardons bien tout cela, nous voyons que lorsqu'on parle de religions, nous parlons naturellement des religions organisées : le catholicisme, le judaïsme, l'islam ou le bouddhisme, et bien d'autres encore... Par religions organisées, nous entendons une structure avec des préceptes, une hiérarchie, des rîtes et des symboles ; c'est un système avec une orthodoxie officielle. On peut simplifier en disant, que ces mouvements proposent des méthodes, des voies à suivre, avec tout un système basé sur des récompenses, le paradis ou la félicité, et sur des châtiments, l'enfer et la damnation.

  Cela se traduit dans les faits, par une pression sociale et culturelle, qui tend à imposer la conformité et la soumission à la religion prédominante. La laïcité vise à neutraliser cette pression, et à créer un contre pouvoir face à l'éventuelle domination d'un mouvement religieux particulier.



    Maintenant, pourrions-nous examiner ce que veut dire le mot "spirituel" ? Cela vient, comme chacun le sait, du mot esprit, qui lui-même vient du mot souffle. Par esprit, on comprend tout ce qui à trait à la pensée, la mémoire, les sentiments, les émotions, les jugements, qui sont liés aux perceptions, aux théories, aux idées, bref à toute notre vie d'être humain. Sans "esprit", que serions-nous ? Des automates, des machines ou des animaux régis par leurs seuls instincts ? Le raffinement de la culture vient de cette vie intérieure, de la vie de l'esprit. On peut dire aussi que la véritable intelligence naît de cela.

    Mais ce tableau est-il exact, réel et complet ? Certes les hommes ont créés des choses magnifiques : des tableaux, des sculptures et des cathédrales grandioses ; le monde médical invente des outils merveilleux, l'homme va dans l'espace. Mais n'oublions pas les guerres, les tueries, les massacres au nom de la patrie ou de Dieu. La barbarie semble toujours sous-jacente aux activités humaines ; la compétition, la loi du plus fort, le faible méprisé et écrasé, le frère contre le frère. Partout cette violence, cette lutte et cette cruauté.

    Donc l'esprit crée la culture et son raffinement, mais il crée aussi les guerres et la violence qui ronge le monde. Et nous voyons que cette violence, qui peut être aussi économique, domine et mène le monde. C'est un fait incontournable. L'être humain vit dans une société qui crée des conflits et le brutalise sans cesse. Mais qu'est-ce que la société ? Est-ce une chose séparée de nous, est-ce une entité autonome, un organisme qui vit par lui-même ? Qu'elle est notre relation avec cette société ? Nous en sommes issus, nous en sommes les produits, culturellement, religieusement et politiquement. Étant les enfants de ce monde, notre comportement et notre manière de vivre viennent des valeurs inculquées par ce monde. Nous représentons cette société et en vivant nous prolongeons cette société avec son cortège de malheurs et de misère. L'homme est un produit conditionné de cette société ; il en est le fruit, et par son action il prolonge et accentue le désordre de cette même société. L'environnement conditionne l'homme, et l'homme conditionne la société ; cela est un cercle fermé, et c'est un cercle de souffrances et de peines sans fin.

    L'homme peut-il briser cette souffrance, peut-il se déconditionner ? On peut admettre la souffrance et aménager sa vie avec, en se satisfaisant de temps à autre d'un peu de joie, d'affection et de plaisir partagés. Certains pensent même que la souffrance est nécessaire à la création, mais d'où vient cette attitude ? L'homme accepte cette souffrance, dans le sens où il pense que : "c'est inévitable, qu'il n'y a rien à faire". Autant bien le prendre et voir si il n'y a pas des avantages à cela, alors un artiste dit "quand je souffre, c'est là ou je crée le mieux...". Les Chrétiens disent, "Jésus, par sa mort et sa souffrance sur la croix a racheté les péchés du monde..." Bref on accepte la souffrance, puis on la sanctifie et ensuite on lui donne une grande valeur morale. Mais voyons-nous ce que nous faisons ? Voyons-nous toute l'immoralité d'une telle attitude ? C'est une réelle folie, un poison que l'on met dans le cœur des gens. Ce type d'attitude est typique du conditionnement de notre société ! Il y a quelque chose est anormal, puis avec des arguments on rend cela acceptable et on en vient même à dire que c'est très utile, voir souhaitable. On ne veut plus mettre un terme à la souffrance, on lui trouve même des qualités, puis on recommande pratiquement de souffrir. Voyons-nous ce revirement de situation ? Le problème est valorisé, au lieu d'être résolu...



    Disons le fermement : "la souffrance est inacceptable, de même la violence et la barbarie humaine". Ces choses doivent et peuvent finir ; cela est impératif, tout autre attitude relève de la folie et de la propagande du siècle. Donc devant ce constat, l'homme devient responsable et il ne rejette plus la faute sur la société. Chacun crée cette société, nous sommes cela. Donc qu'elle action reste-il pour l'homme qui vit dans cette société, qui doit travailler, nourrir sa famille, payer ses impôts ? S'il agit superficiellement, comme nous l'avons vu, son action serra uniquement la suite et la continuité de ce monde, et donc la souffrance perdurera. L'homme alors s'interroge sur sa manière d'agir, de voir et de concevoir la vie ; il regarde ce que sont ses valeurs propres. Il examine donc ce qu'est son esprit, avec ses pensées, ses sentiments, ses idées, ses théories ; il les examine non pas pour s'auto-sanctifier, mais il les examine, il les regarde pour voir si elles sont justes, si elles sont vraies. Voilà comment naît ce que l'on nomme "la connaissance de soi", c'est à dire l'étude des mécanismes de la pensée et de l'esprit.

    Si on veut approfondir tout cela, on voit qu'il ne s'agit pas de rejeter superficiellement les religions (par exemple), tout en gardant leurs outils : prières, méditations, mantras et autre techniques. Beaucoup de personnes qui s'intéressent à la spiritualité, disent ne pas dépendre des religions, mais elles fonctionnent sur les valeurs établies par celles-ci. Si on considère que les religions organisées ont fait fausse route, si on s'en écarte, il faut remettre à plat leurs moyens d'investigation du réel. Et la toute première chose dont on se rend compte, c'est que toutes disent avoir découvert le chemin vers la vérité (pour ne pas dire vers Dieu). Elles proposent toutes un ensemble de systèmes qui permettent à l'adepte, petit à petit, de s'approcher du but fixé. Elles possèdent toutes des méthodes progressives, avec différentes étapes, des expériences vécues et de nombreuses croyances. Partout il y a des dogmes infaillibles que l'on ne peut contester. Le questionnement dans les religions orientales, bouddhisme ou hindouisme, est devenu purement formel et ne concerne, plus du tout, les fondements même de la religion. On parle et l'on questionne, mais juste pour avoir des informations par rapport au culte ou aux écritures, on ne cherche pas véritablement par soi-même.

    Les techniques visent en fait à avoir des expériences, à vivre certaines choses ; mais qu'est-ce donc que ces découvertes, sont-elles l'expression de la vérité ? Ou bien ne sont-elles pas l'expression de l'avidité de l'esprit qui se veut extraordinaire ? Une expérience extatique, ou autre, donne un sentiment de "différence" à l'esprit, et très vite après la "différence", vient le sentiment de "supériorité". Quel vécu extraordinaire ! Alors l'esprit se sent extraordinaire, en fait il se sent supérieur aux pauvres êtres humains qui ne vivent pas tout cela.

    Mais si on regarde attentivement tout ce processus, on voit bien que ces "expériences" correspondent à ce qui est attendu dans la tradition. Elles servent à valider la progression de l'adepte sur la voie, en fait elles confirment que tel homme est bien conforme à ce qui a été défini par d'autres, par ceux qui savent : les prêtes ou bien les maîtres. Donc celui qui fait ces expériences rentre dans le moule de la tradition ; en fait il se soumet à l'autorité. Excusez-moi, mais ne serait-ce pas ce que l'on nomme un "lavage de cerveau" ? On accepte un conditionnement, puis on expérimente par le vécu le réel de cette foi. Mais le réel n'est pas la vérité. Les religions sont très réelles et nombreuses, mais sont-elles l'expression de la vérité ?



    Donc l'homme se met en mouvement, il n'accepte rien de ce qu'on lui dit, il regarde et examine par lui-même toute chose. Existe-t-il dans l'être humain une capacité à découvrir ce qui est vrai, à séparer le vrai du faux, et à voir le faux pour le faux ? Pour savoir si cela existe, il faut bien comprendre comment nous fonctionnons, quel est le mécanisme de la pensée, de la mémoire ? Comment naissent les émotions, les sentiments ? Si nous ne percevons pas clairement les choses, qu'est-ce qui brouille notre vision ? Quel est ce voile qui opacifie l'esprit ?

    Il faut donc saisir par soi-même, ce qui nous empêche de voir directement et simplement les choses. Par cela on commence à apprendre véritablement, pas dans le sens d'accumuler des informations sans fin, mais on apprend à voir par soi-même, à démonter et mettre fin aux conditionnements de l'esprit. C'est juste le tout début d'une démarche spirituelle ; on regarde ce que sont les pensées, la mémoire, les instincts, et aussi la création d'idéaux, d'opinions personnelles. Puis à un moment donné, après quelques temps d'étude et d'observation, on découvre autre chose que le mouvement de la pensée ou de la mémoire. Ce n'est pas en opposition, c'est un autre aspect de la vie, cela n'est pas du domaine de la pensée et de l'expérience, c'est comme un silence immense qui entre en existence. Au-delà de la mémoire qui se perd dans la nuit des temps, existe un mystère qui semble préexister à l'homme et à la vie, c'est comme un souffle, comme l'essence même de la vie.



    Une démarche spirituelle authentique se doit d'être purement laïque, c'est à dire libre de toutes organisations ou obédiences religieuses. C'est un mouvement de découverte qui n'existe que dans une totale liberté, et cette liberté est l'essence même de la religion.

    Seule cette liberté permet à l'esprit de se déconditionner entièrement et profondément. Alors l'esprit est différent, et la souffrance n'existe plus.

 

 

 

 Paul Pujol, Correspondances.

 Éditions Relations et Connaissance de soi.

"La spiritualité laïque, ou l'essence de la religion", pages 107 à 114.

 

 

   Une personne amie a traduit gracieusement ce texte en Arabe, qu'il en soit vivement remercié.

   Pour voir l'article traduit par Dimitri Avghérinos sur son blog, suivez le lien:  link

 

Partager cet article
Repost0