19 avril 2024 5 19 /04 /avril /2024 09:35

 

                       

 

 

 

     Un être libre n'est ni d'Orient, ni d'Occident, il se situe bien au-delà de ces points de vues partisans. La liberté ne peut en aucun cas se limiter à une partie du monde, elle englobe et dépasse les différents conditionnements dus aux cultures et traditions humaines.

     Il s'agit d'avoir une vision globale de la vie. Si on fractionne le monde en Occident et en Orient, on divise et on sème le germe de conflits entre les hommes.

 

     Les occidentaux conçoivent volontiers que leurs propres religions les ont conditionnés, mais pour beaucoup ils estiment grandement les religions et traditions Orientales. Ils les tiennent comme bien supérieures, et croient que les différentes approchent proposées peuvent assurément les déconditionner. L'exotisme devient facteur de vérité, ce qui vient d'ailleurs semble souvent plus beau, plus plaisant, et parfois plus vrai.

     Les orientaux quand à eux estiment grandement leurs religions et tiennent pour assez peu sérieuses et intéressantes les religions de l'Occident. Ils se croient volontiers supérieur aux autres êtres humains, et ne conçoivent pas que leurs traditions spirituelles puissent les conditionner. Mais peuvent-ils aborder la vie, sans citations de grands maîtres et sans citer les sutras des textes sacrés? Sont-ils libres de leur savoir ancestral?

    

     Une tradition millénaire parait source de vérité, mais en est-il vraiment ainsi? Ce qui est ancien est-il vrai? Chaque nouveau printemps dément cette affirmation, et la nouvelle fleur qui s'ouvre à la vie parle de bien autre chose.

     Les traditions sont comme des musées, ont y visite de vielles choses empoussiérées de savoir et de temps.

 

     Un esprit libre est neuf, frais, il est vierge de toute référence et de toute tradition. Car il est primordial de voir par soi-même, vis à vis du passé on n'est pas amnésique mais on demeure libre de la mémoire et du temps.

     Seul un tel esprit peut créer un monde entièrement différent, totalement nouveau, car cet esprit est profondément créatif.

     Au sein même de la vie, au cœur de la continuité du monde, il engendre l'apparition de ce qui n'a jamais existé auparavant. La véritable création c'est cela, c'est la naissance de quelque chose d'entièrement nouveau, c'est la rupture avec le fil de la continuité, c'est la brisure du temps.

    

     La véritable création est le mouvement même de la liberté. Un esprit libre, c'est comme un autre monde, inconnu, immense et sans fin.

 

 

 

     Paul Pujol

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
19 mars 2024 2 19 /03 /mars /2024 09:32

 

Ecole-de-Brockwood, le-Grove-et-les-environs. 

 

 Trévoux le 13 janvier 2015

   

 

    En ces temps qui sont, nous dit-on troublés, et où la liberté d'expression est menacée, il me semble important de favoriser plus que jamais les échanges, les réflexions et les contacts en dehors de tous fanatisme et dogmatisme d'où qu'ils viennent.

     Mais soyons bien conscient que ces temps qui sont les nôtres ne sont pas plus troublés que d'autres temps, c'est une hypersensibilisation de l'instant qui nous fait croire cela. Nous n'allons pas faire ici un inventaire de la souffrance humaine, mais la souffrance des hommes est aussi vieille que le monde. Ce qui n'est absolument pas une raison pour accepter sa laide existence.

   

     La violence nait de la séparation, du fractionnement de la société et des hommes. On considère les hommes justes sous une forme symbolique, religieuse, nationale, politique ou autre. Le symbole compte plus que l'être humain, car il est plus facile de contrôler, de dominer, et d'imposer un standard, que de cultiver la liberté et le sens critique.

    Le standard a un côté rassurant, il a des limites et des règles précises, il se situe toujours dans une certaine orthodoxie reconnue et acceptée par la société. Le modèle est toujours balisé, limité, en quelque sorte finit dans une fausse perfection. Car la perfection n'existe pas, seul existe le mouvement de la vie.

 

    Le sens critique n'est en aucun cas, juste une critique superficielle qui vise à démonter, à détruire ou à ridiculiser une thèse ou un point de vue. Le sens critique n'est pas la destruction, il est la recherche de la vérité ou de ce qui est juste. C'est mettre en doute ce que l'on nous dit, ne rien accepter sans l'avoir examiné par soi-même.

    Mais cela demande une grande honnêteté, il s'agit d'aller dans cette enquête sans avoir déjà une approche partisane. Si l'on veut juste défendre un point de vue, évidemment on n'aborde pas un être humain pour le comprendre, en fait on se fiche totalement de ce qu'il pense, dans les faits on veut uniquement lui prouver qu'il à tort et on veut le rallier, le convertir à notre cause. Cette attitude n'est pas du tout du sens critique, c'est une approche qui, sous l'apparence du questionnement, vise juste à endoctriner l'autre. Nos arguments sont issus d'une propagande et je suis un propagandiste obstiné.

    Donc le sens critique s'applique également à ce que je pense, peut-être faut-il même commencer par cela ? Mais en disant cela on ne peut pas dire au monde qui nous entoure : "Ne venez pas me voir, laissez-moi, je dois d'abord examiner mes propres idées et superstitions. J'aborderai les vôtres après, dans un second temps." Le monde vivant et changeant nous environne et nous influence ; pendant que j'examine mes vieilles croyances, il en vient sans cesse de nouvelles. On doit examiner ce qui est là devant nous, le fond des anciennes croyances et les contemporaines, le regard doit embraser tout d'une seule vision. Alors peut-être verra-t-on qu'elles ont toutes les mêmes racines, que les nouvelles ne sont que la suite des anciennes, les croyances prennent de nouvelles formes ou couleurs, mais le fond reste identique. Peur, ignorance, superstitions, sentiment de supériorité ou d'infériorité, appartenance à un groupe qui lutte contre tout ce qui lui est différent.

   

     J'ai ma croyance et vous avez la vôtre, nous pouvons vivre côte à côte, sans doute en paix, mais jamais nous ne nous rejoindrons. Jamais nous ne serons un, unis comme des frères d'une même famille. Si nous sommes raisonnables, cela se passera à peu près bien, mais dans le temps il y aura toujours des individus qui diront : " Oui les autres ont des croyances, des religions, elles sont certes respectables, mais notre religion à nous est vraiment supérieure. Elle est plus grande, plus vraie, elle englobe et surpasse toutes les autres."

 

    Les religions, les cultures sont évidemment les enfants de l'histoire et de la géographie, elles viennent du lointain passé de l'humanité. Mais aujourd'hui qu'allons nous faire, nous battre pour faire triompher un point de vue ? C'est effectivement ce qui se passe, non seulement actuellement mais également depuis que les hommes sont sur terre. Allons-nous continuer ainsi ? Nous disputer, nous entre-tuer pour des idées, pour des concepts et des symboles ? Nous nous tuons pour des mots !

 

    Ne peut-on regarder de quoi parle tous ces mots, tous ces penseurs, religieux ou pas, de quoi parlent-ils ? Ne peut-on pas regarder et voir alors par nous-mêmes ?

Nous avons accepté tant de choses, de grandes choses et de très laides, des idées subtiles et d'autre stupides.

    Nous avons la réelle capacité à comprendre par nous-mêmes la vie et toute sa complexité. Mais nous devons nous débarrasser de cette habitude absurde de nous appuyer sur des autorités. Nous ne pensons pas, nous répétons ce que d'autres ont dit. Que cela soit juste ou faux, ce n'est pas le problème, le problème c'est de répéter comme des perroquets les paroles d'un autre.

    Maintenant, dans le domaine qui nous préoccupe (comprendre la vie dans son ensemble, les relations humaines, la souffrance, la violence, le sens réel du religieux), il s'agit d'arrêter de penser mécaniquement comme un ordinateur, comme un automate. Avez-vous remarqué comme un mot ou une phrase nous font réagir immédiatement, sans même qu'on s'en rende compte, on a dit et déroulé tout un argumentaire...Les religions et les politiques sont très, très forts dans ce domaine.

 

    Donc nous devons réapprendre à penser consciemment, avec intelligence, avec subtilité. Penser étymologiquement veut dire "Peser les choses, les apprécier, les évaluer". Nous devons redécouvrir ce bonheur de saisir, de voir par nous-mêmes les choses de la vie, les complexes et les très simples.

    Voir toute l'ampleur du sacré de la vie, n'est pas séparé de l'acte de regarder une simple plante au bord d'un chemin. Cette petite herbe qui est là, dans la lumière du matin, si fragile, gracile, mais tellement belle. Elle aussi est vraiment sacrée. Ce sacré est dans la vie, il est la vie, et il ne réside dans aucun livre, aucun rituel ou dans aucun temple créé par la main de l'homme.

 

    Le sens critique nous fait donc penser par nous-mêmes, de manière consciente. Et si nous allons avec ardeur dans ce voyage, si nous sommes passionnés par la découverte, nous découvrirons qu'à un moment donné l'acte même de penser trouve ses limites. Cela n'enlève rien à la beauté de la pensée, à sa complexité, c'est vraiment un outil tout à fait extraordinaire, soyons très clairs sur ce point. La pensée qui siège dans le cerveau, est un processus biologique que nous pouvons vraiment admirer, il faut rendre hommage à cette création de la vie. La pensée, expression de la mémoire qui réside dans le cerveau est sans doute un des objets de l'univers le plus complexe qui soit.

    Voir toute la beauté de la pensée, c'est bien la comprendre et l'avoir en affection, par cela on perçoit bien ses limites et on peut alors essayer d'aller au-delà. On ne repousse pas la pensée en la condamnant, en la refusant, car elle fait partie intégrante du mouvement de la vie. C'est par la compréhension d'une limite que l'on peut aller au-delà, pas en fustigeant cette limite.

 

    Mais ce n'est pas parce qu'un objet est complexe qu'il n'a pas de limites, et la limite de la pensée c'est le passé, le temps. Elle est issue, bâtie sur les souvenirs, sur la mémoire, la pensée est l'expression de notre passé. Dans ce sens elle est bornée par le temps, elle ne peut engendrer le neuf, car toute son action, son mouvement se fait sur la mémoire. Donc la pensée c'est la continuité, le prolongement de notre histoire.

Maintenant, nous venons de dire quelque chose qui a au moins une conséquence certaine. Ne voyez-vous pas chers amis ? Si la pensée ne fait que prolonger l'histoire, le passé, elle continue l'état des choses en les modifiants, mais elle les continue...

La pensée en tant qu'outil d'investigation du réel, ne peut pas changer ce même réel ! Le mouvement de la pensée ne peut pas changer l'homme, et par conséquent elle ne peut absolument pas transformer la société.

    Chers amis, je vous prie de ne pas accepter cela, mais de voir par vous-mêmes si cela est vrai ou faux.

    La pensée ne change pas l'homme ? Ce qui est certain c'est que les hommes changent très peu, voire pas du tout, il suffit d'un événement pour faire resurgir des comportements violents et parfois barbares.

 

    La question qui vient alors est : "Existe-t-il un au-delà de la pensée, et l'homme peut-il rencontrer cela ?"

    N'y a t-il pas un lien avec le fait de voir par soi-même, directement sans l'intermédiaire d'un autre ? Si on regarde vraiment quelque chose, que cela soit un arbre ou bien une croyance, que se passe-t-il vraiment ? Peut-on aborder cette relation autrement que par la mémoire et donc la pensée ? Ne répondez pas trop vite s'il vous plaît, en disant soit "c'est impossible, on ne peut pas ne pas penser !" ou bien "évidemment qu'on peut le faire, c'est très facile je le fais tous les jours". Cela n'est dans les deux cas qu'une réaction mécanique, automatique à une question posée.    

    Est-ce cela penser consciemment ? Ce n'est pas si simple comme vous le voyez, n'est-ce pas ? Les pensées en quelque sorte s'imposent à nous, elles jaillissent dans notre esprit sans notre demande. Et nous parlons alors sans avoir vraiment conscience de ce que nous disons...

    Regardez bien, ce qui est décrit maintenant, est-ce un fait, ou bien est-ce une idée, une théorie ? Soyons très clairs, est-ce que c'est une idée, ou bien est-ce que nous voyons vraiment quelque chose ?

    Est-ce une idée ou bien est-ce une vision ?

    Pour l'auteur c'est une vision, comme tout le texte présent qui est en train de naître sous ses doigts. Pour vous amis lecteurs, à vous de voir, nous ne pouvons ni ne voulons nous prononcer...

 

    Quand la vision existe, tout l'esprit regarde complètement, entièrement, l'attention est totalement dirigée vers ce qui est regardé. C'est une énergie qui est libre de toute forme, elle regarde vraiment directement ce qui se porte à sa vision. Dans cette attention, dans cette curiosité intense, c'est l'objet observé qui compte, qui importe, et pas mes réactions à cette vision. C'est la beauté de ce brin d'herbe, de cette simple plante, qui chante dans l'esprit, cela dialogue avec le cœur même de l'homme. C'est extrêmement sensible, et cela fait en sorte que l'esprit devient totalement silencieux, immobile, comme suspendu dans un autre monde. Dans ce grand silence, le mouvement habituel de l'esprit a cessé, les pensées se sont tues. La mémoire devient inactive, inutilisée, elle est toujours là évidemment (on ne devient pas amnésique), mais l'esprit n'utilise pas la mémoire, il n'en a pas besoin.

    Voilà ce qu'est l'acte de voir par soi-même, il se situe au-delà de la mémoire et du temps, hors du champ habituel de l'esprit.

    Là dans cette perception existe la compréhension, le déconditionnement, mais aussi un espace où tout ce qui vit existe ensemble, sans exclusion aucune. Alors l'acte de voir par soi-même devient l'acte de voir ensemble, d'apprendre ensemble. Sans hiérarchie, sans dogmes et sans autorités, je pense tout à fait sincèrement que "voir ensemble, vraiment c'est vivre ensemble".

 

    Vivre ensemble, c'est découvrir la vérité ensemble, tout le reste n'est que distractions superficielles.

 

     

    Paul Pujol

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
26 février 2024 1 26 /02 /février /2024 10:21

 

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   Nous étions à l'étranger et c'était une journée de rencontre et d'étude, comme à l'accoutumé, il n'y avait pas grand monde. Personne aujourd'hui ne veut vraiment étudier la connaissance de soi, on préfère plutôt un système où tout vous est expliqué par avance, où la tradition et les maîtres, les gurus, (ou bien comme on dit maintenant les "coachs") vous disent tout ce qui doit être fait, ou ce qui ne doit pas être fait. On vous prend en charge en totalité, de A à Z, et l'être humain immature aime cela, il est rassuré, il peut faire semblant de chercher tout en continuant à s'endormir dans la torpeur de son esprit. Mais nous ne proposions pas ce genre de programme, aussi il y avait rarement du monde intéressé par tout cela.

 

   Aujourd'hui c'était à nouveau le cas, seule une personne était venue, c'était une femme venue de la grande ville voisine. Nous ne l'avions jamais vu auparavant. Elle était d'origine Indienne, mais n'y avait pratiquement pas vécu, son père étant diplomate toute la famille avait beaucoup voyagé à l'étranger. Cette personne dégagée une beauté malheureusement perdue, son visage avait subi la souffrance de la vie, et il était ravagé par quelque mal intérieur. Elle avait dû être digne dans sa jeunesse, pleine d'une grande beauté, mais tout cela était parti, et elle paraissait à présent lasse et fatigué de la vie. Elle se présenta brièvement et l'on comprit qu'elle était assez fière de tous ses diplômes, et sans doute de son parcours professionnel.

 

   Nous commençâmes alors la discussion, nous indiquions d'abord que tous les êtres humains malgré les différents conditionnements dus à leur culture, à leur environnement, tous vivent au fond d'eux les mêmes affres de la souffrance. Chacun qu'il vive en Europe, en Inde, en Chine où aux États Unis, chacun connaît les mêmes joies et les mêmes peines. Il y a un fond commun de sentiments profonds qui dépasse les clivages conditionnés des sociétés humaines. C'était juste une simple introduction à la journée et il ne nous semblait pas qu'il y avait la moindre difficulté sur cette évidente constatation.

  Mais notre interlocutrice réagit vigoureusement, presque violemment contre ce qui venait d'être dit. "Ce n'est pas vrai, ce que vous dites est totalement faux ! Par exemple, un Indien ne ressent pas la souffrance de la mort de la même manière qu'un Américain ou un Européen. Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Votre point du vu est celui d'un Occidental, et vous vous limitez à des conclusions issues de votre propre culture." Comme première réaction, cela était assez vif, et aussi assez excessif et chargé de bien trop d'émotions. On voyait bien qu'il y avait quelque chose derrière cette réaction bien trop appuyé, mais nous n'en tenions pas compte pour l'instant ; et nous expliquions simplement que tous les être humains souffrent, tombent souvent malades, vieillissent et connaissent la mort, avec un sentiment de grand vide et de désarroi devant cette vie qui passe sans aucun sens et sans aucune beauté.

  Elle parut troublée par la réponse, mais pensa que nous n'en vîmes rien. Elle commença alors son explication et par là dévoila la raison de son émotion. Elle expliqua que justement, son métier était d'intervenir dans des entreprises pour expliquer que des différences culturelles peuvent engendrer des malentendus et des quiproquos, et par là nuire au bon fonctionnement même de l'entreprise. Elle intervenait également dans des écoles, et elle nous cita l'exemple où elle avait appris aux étudiants que le système des castes en Inde avait des fondements religieux. Elle semblait très fière de son dernier exemple, comme si l'origine religieuse d'une chose stupide, devient moins stupide parce qu'elle vient d'une religion.

  Nous indiquâmes, que naturellement nous avions des conditionnements différents, les hommes étaient façonnés par leur environnement immédiat, par la culture, par la religion, par le climat et l'alimentation, et par bien d'autres choses encore. Les conditionnements sont différents, mais ce sont des hommes que l'on conditionne, le support du conditionnement est le même. Nous avons tous un fond commun très, très semblable, la couleur de la peau peut être différente, mais le fonctionnement de l'esprit est partout le même. Effectivement il y a des différences, par exemple en Inde, quand on est d'accord, on dit "oui" en dodelinant la tête de gauche à droite, alors qu'en Occident cela veut dire "non". Mais c'est assez superficiel et extérieur, car l'homme partout sait dire "non" ou "oui". L'homme exprime la même chose, de manière un peu différente certes, mais l'essentiel c'est que les hommes disent la même chose, c'est cela l'important.

     

   Pourquoi met-on toujours en avant la différence ? Quel est ce culte voué à ce qui nous sépare, à ce qui nous différencie ? On explique la différence, mais en la valorisant, n'est-ce pas ? On ne cherche pas à aller au-delà, la différence semble en fait nous définir. Elle nous définit et nous sépare de l'autre, et quand cette séparation est trop sensible et douloureuse, on invente le groupe qui partage les mêmes différences. La religion, la nation, l'ethnie spécifique, les spirituels et athées, les communistes ou les libéraux. Mais tous ces groupes ne peuvent rester entre eux, ils en rencontrent d'autres, et les autres ont des croyances forcément différentes. Alors les hommes s'observent et se regardent avec étroitesse, ils jugent les autres d'après leurs propres références. Ils ne désirent pas rencontrer l'autre, le connaître, en fait leur esprit est un tribunal où on prononce des condamnations dès qu'une différence existe, dès qu'il y a divergence envers l'orthodoxie du groupe.

   En fait, dès que l'homme se sépare de l'humanité, il devient juge et "ses lois" condamne et frappe ceux qui sont autres, différents. Si c'est la différence qui prime, qui importe, alors la violence et la barbarie se répandent sur le monde. La différence, c'est la séparation, et la séparation c'est obligatoirement la création des camps, de factions, et il suffit juste de deux camps pour faire la guerre...

      

   La personne semblait acquiescer sans être vraiment convaincue, puis elle désira parler de la mort. Elle indiqua qu'elle fréquentait un cercle ésotérique à tendance occulte, et lors de séances spéciales, il y avait eu des contacts avec des disparus. Nous écoutions en silence ses paroles, car elle semblait prise d'une grande et soudaine passion. Elle raconta comment elle avait vu une jeune femme totalement secouée et déroutée après une des ces séances, ne sachant quoi faire, elle lui avait offert un verre d'eau pour se désaltérer et se remettre de ses émotions. Notre interlocutrice parla aussi des Roses croix, ainsi que d'autres choses tournant autour des sujets assez obscures.

   Comme il est surprenant de voir l'esprit chercher toujours le merveilleux, l'extraordinaire, même si cela l'amène dans des sentiers sans lumière, où seule la noirceur règne et où la joie n'est pas. Quand est-il de la vie ordinaire, quotidienne ? Que faisons-nous de nos vies, savons-nous parler aux êtres qui nous entourent ? Parler aux morts, c'est tellement pratique, ils ne sont plus là pour vous contredire, et leurs "messages" sont toujours sujets à interprétations. Mais parler à sa famille, à son enfant, à un parent ou à un ami, c'est tellement plus merveilleux. Entrer en contact véritablement avec un inconnu, c'est un des plus grands privilèges qui soit. Quand les gens sont partis, c'est bien tard pour chercher à communiquer, n'est-ce pas ?

   "Oui j'ai un fils, et c'est vraiment dur d'être en relation avec lui." Son visage était bouleversé, et les larmes étaient prêtes à jaillir de ses yeux, elle souffrait vraiment beaucoup. Pour contenir sa peine et se ressaisir, elle s'assit au bord de la porte fenêtre et alluma une cigarette. Elle ne pensa pas du tout à demander si cela pouvait gêner son interlocuteur, mais devant cette grande peine, nous ne dîmes évidemment rien. Comme cela est étrange, on parle aux morts, et on pleure de ne pas parler avec les vivants. Qui sont les vivants et qui sont les morts ?

      

   L'émotion avait été très grande, aussi il nous sembla qu'une pause était la bienvenue. Nous partîmes donc à pied pour prendre un repas dans un restaurant du village. L'ouverture était finie, et la conversation fut très légère et assez superficielle, après s'être dévoilée un bref instant, la maîtrise et le contrôle de soi étaient de nouveau en place. Notre interlocutrice parla de tout et de rien, mais avec une grande assurance en toute chose. Nous nous séparâmes après le déjeuner, la belle rivière avoisinante était pleine de pitié pour cette personne.

   Tant de souffrance et si peu de lumière dans le cœur, avec un intellect si développé qu'il n'existait plus aucun espace, aucun questionnement réel sur quoi que ce soit. Quand l'esprit est encombré de connaissance, de savoir, il n'existe plus d'innocence, plus de doute, et en cela l'immense silence de l'existence ne peut être entendu.

 

 

 

   Paul Pujol, le 14 juin 2012.

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
8 janvier 2024 1 08 /01 /janvier /2024 11:12

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   L'intelligence n'est autre que le résultat d'une sensibilité sans cesse affinée. L'intelligence est, lorsque l'esprit exprime le fond même du coeur de l'homme, sans le dessécher.

      

  L'intelligence vraie enrichit la sensibilité, elle n'est pas faite de mots, mais de perception et de compréhension. Elle a pour action de se clarifier elle-même sans cesse.

 

 

  L'intelligence résulte d'une compréhension par les sens et par le coeur, par l'attention calme à ce qui est, - et non d'une spéculation intellectuelle, qu'elle soit méthodique, désordonnée, originale ou autre...

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
28 novembre 2023 2 28 /11 /novembre /2023 09:33

   


 

 

    Tous ces systèmes ne cherchent aucunement la Vérité; et par cela même, toutes ces religions, ces gurus, ces sectes, toutes ces organisations ne peuvent et " réellement " ne désirent pas vous faire découvrir la Liberté.

  Extrait du texte ci-dessous.                         
 
 

 

3 décembre 2004

 

  

    C'était il y a quelques années, nous étions en séjour dans une communauté où les traditions bouddhistes étaient en vigueur. Ce groupe avait tout un système religieux vieux de quelques siècles, et son origine en Orient himalayen lui donnait un caractère d'authenticité qui ne pouvait être discuté. Il n'y avait pas dans cet endroit de pression psychologique violente ; sûrs de leurs atouts, les adeptes laissaient le temps aux incrédules, certains que les conversions se feraient naturellement.  Nous étions un peu à part, car nous ne participions jamais activement à leurs rites et aucune "conversion" ne semblait poindre à l'horizon. Bien souvent le silence était notre compagnon, et la nature une complice véritable lors de nombreuses marches.

    Il est évident que la plupart des personnes présentes étaient certaines que le jeune homme allait basculer à un moment ou à un autre. Il était toléré avec bienveillance par tous ; les religieux dont il ne parlait pas la langue le savaient présent, et ils le laissaient tranquille. La communication était pratiquement impossible, car il fallait se prosterner en reconnaissant une autorité ; mais en religion, il n'y a pas d'autre "autorité" que sa propre compréhension. Tout à fait logiquement, aucun gourou ne pense pouvoir apprendre quoi que ce soit avec un jeune homme, qui plus est s'il est occidental. Donc, celui-ci ne pouvait communiquer avec les religieux, principalement parce qu'il n'y avait plus aucune croyance en lui, plus aucun dogme, aucun rite et aucune technique sacrée.

    Les conditionnements avaient volé en éclats, quelque chose de neuf était apparu ; le déplacement en cet endroit avait pour but de communiquer cette découverte, de partager cette vision vivifiante. Très rapidement, l'impossibilité de partager " l'inédit " se fit jour, une tradition ne peut s'ouvrir à quelque chose de totalement neuf. Véritablement, l'inconnaissance ne peut avoir aucun contact avec la connaissance. La liberté ne peut dialoguer avec la prison, car pour la prison la liberté n'existe pas. Le mouvement d'une tradition est le fait de vouloir se prolonger dans le temps, se perpétuer et avoir le plus d'adeptes possible. Aucune tradition ne cherche à s'ouvrir vers la découverte, aucun tracé mis en place par ceux qui savent, ne cherche la vérité.



    Les religions, anciennes ou neuves, ne désirent que prospérer, grandir, avoir du pouvoir et de la puissance. Tous ces systèmes ne cherchent aucunement la vérité ; et pour cela même, toutes ces religions, ces gourous, ces sectes, toutes ces organisations ne peuvent, et "réellement" ne désirent pas, vous faire découvrir la liberté.

 

    Devant ce constat de non-communication, le jeune homme ne fut ni triste, ni gai, en fait pour lui cela n'avait pas grande importance. Il ne voulait convaincre, ni imposer aucune chose à personne, simplement il vivait profondément cet état de grâce et il se trouvait là, c'est tout. Dans cette communauté il y avait également des animaux de compagnie, quelques chiens, et un chat. Celui-ci était un mâle, il revenait souvent blessé après avoir disparu quelques temps, sans doute s'était-il confronté à d'autres chats rivaux dans la campagne alentour. Nous nous rappelions qu'un jour, il était revenu très abîmé, la tête enflée pleine d'entailles et de vilaines plaies. Nous avions craint pour sa vie, mais les chats sont résistants, et il s'était remis doucement sur pied. Une relation affectueuse, mais non insistante, s'était établie avec ces animaux.  Nous dormions à cette époque dans les combles d'une grande bâtisse, qui étaient aménagés de manière rustique en dortoir. On y accédait par un escalier en bois extérieur, des matelas étaient installés de part et d'autre de la longue pièce. Au bout, il y avait une séparation simple faite de tissus, et là deux autres matelas étaient disposés, séparés également entre eux par une cloison fine. Dans cette intimité toute relative, nous dormions sur la couche de gauche, cet endroit était sans fenêtre et sans chauffage, mais il était accueillant dans son austérité. 

 

    Le jeune homme écrivait souvent le soir à la lueur de bougies. Une nuit alors que tout était silencieux, aucun bavardage inutile, aucun bruit ne venant troubler le silence nocturne, nous sentîmes un mouvement furtif tout près de nous. Nous ne bougeâmes aucunement, ni ne fûmes effrayés, ce mouvement très silencieux et très doux venait du chat. Celui-ci longea le corps emmitouflé dans un chaud duvet, aucun mot ne fut prononcé par le jeune homme ; le chat très discret se mit tout contre notre tête, se roula en boule et s'endormit. L'homme et l'animal dormirent ensemble dans une communion entière, le gage d'affection et de confiance qu'avait témoigné le chat était important. Jamais cela ne se reproduisit une seule fois, c'était inutile. Le chat était le chat de tout le monde, pour rendre visite au jeune homme, il avait dû monter toutes les marches du grand escalier, traverser l'ensemble du dortoir où d'autres personnes dormaient également, se faufiler à droite et à gauche. Tout cela pour finalement venir dormir contre la tête d'une jeune personne. En fait, c'était une déclaration d'amitié profonde et d'amour. Le chat n'a pas de croyance, il ne se dit pas religieux, et donc un contact est possible, et cela était une bénédiction sur terre. 



    Une autre fois, alors que nous nous promenions tranquillement dans un champ voisin, juste à l'orée d'une forêt, nous vîmes arriver tous les chiens de la communauté. Ils étaient trois ou quatre, mais nous ne les comptions pas bien évidemment. A nouveau aucune parole ne fût prononcée, nous n'avions appelé personne, ils étaient venus de leur plein gré, en totale liberté. Nous marchions ensemble, nous étions un, pas même une caresse ne fut utile, nous étions l'un d'eux, et ils étaient nous. Après quelques instants, nous nous assîmes dans le sous-bois, un ou deux s'assirent avec nous, comme des amis complices ; - en cet instant, il n'y avait plus d'homme et également plus de chien, plus d'être humain et plus d'animal. Il y avait une vie si immense, si intense, l'esprit était là, sans limite, infini. Ce n'était ni mystique, ni exotique, cela était le réel. Soudain, les chiens se levèrent et partirent en courant dans un seul mouvement d'ensemble. Le jeune homme assis ne bougea pas, à présent il était comme un arbre, comme la terre, et la forêt était en lui.

    Dans ce calme très profond, une autre rencontre eut lieu. Sur la gauche, un moine vénérable qui arrivait, nous avait vus au dernier moment et il s'était esquivé rapidement, pour ne pas nous déranger ou pour ne pas nous parler. Seulement le chemin n'avait pas d'autre passage, et il savait que nous l'avions vu. Ainsi donc, il réapparut en souriant, tout à fait détendu et il s'assit à nos côtés. Là, évidemment il y eut une grande différence avec les animaux, avec les arbres et la forêt. Nous ne pouvions pas vraiment discuter ensemble, car nous ne parlions pas la même langue. Après un court instant de silence, en montrant le jeune homme, il prononça le nom d'un ancien gourou légendaire de sa tradition. Nous comprenions que celui-ci indiquait que nous lui faisions penser à cet illustre personnage. C'était un compliment mêlé d'humour, dont le moine était coutumier, il n'y avait cependant pas de moquerie dans ses propos. Il fut répondu au vieux moine une chose très simple, le jeune homme lui fit "non" de la tête et il donna son propre nom. Sans aucune prétention, ni agressivité, comparer un être à un autre, c'est le déni du présent. Le moine fut surpris et embarrassé par la réponse, il nous salua avec sympathie puis s'éclipsa en silence.  

 

    Que peut apporter un jeune occidental à un vieux moine asiatique ? Absolument rien ! Il n'y a rien à donner, car rien ne se possède. La vérité n'est pas acquise, détenue dans les écritures et par la mémoire. Elle ne peut être un savoir, car celui-ci devient puissance et connaissance ; alors les relations entre les hommes ne sont que des relations de domination, de pouvoir, de pression et d'asservissement de l'autre. Simplement il faut être libre, constamment, d'instant en instant, souple, sans dogme, ni conclusion établis. Dans ce mouvement, on découvre le monde, et cette découverte peut être commune avec l'autre. La fraternité véritable, c'est le partage de cela ; c'est l'indication du sacré dans la vie quotidienne. C'est l'apparition d'un monde autre, la découverte permanente de cette immensité ineffable.

    L'esprit est au-delà de toute religion ou croyances, aucune frontière ne peut le circonscrire. Car véritablement l'esprit est un, et par cela, il est le monde dans sa totalité. 
 


  Paul Pujol," Senteur d'éternité ".

  Editions Relations et Connaissance de soi.

  La communauté religieuse, pages 117 à 122.    

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