Relations et Connaissance de soi
par Paul Pujol
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Le ciel était gris sombre, des nuages pesants menaçaient d'éclater depuis quelques jours, mais la pluie refusait obstinément de tomber. Durant la saison chaude, la sécheresse avait été exceptionnelle, et la terre avait un besoin impérieux d'eau. Toutes les plantes pourraient alors se laver et se dépoussiérer, les rivières pourraient remplir leur lit, afin de grossir leurs flots, et elles porteraient une nouvelle fois la vie sur leurs berges et dans les champs. Mais à présent, seuls les nuages aux couleurs obscures étaient là, ils dessinaient des ombres immenses sur les montagnes avoisinantes. Des monts entiers étaient totalement recouverts par ces taches sombres. Les bois et les forêts avaient également pris un vert plus soutenu, plus dense, et la terre, elle-aussi, s'était assombrie. La lumière du jour en était transformée, elle était plus présente, plus vivante, par cela, c'était la beauté qui s'exprimait, qui s'offrait au monde en ce début d'automne.
On devinait au loin la mer, devenue un océan gris émeraude, masse mystérieuse, sombre et profonde, où viennent mourir en pentes douces ces montagnes du sud. Le soleil ne pouvait percer cette carapace de nuages ; l'air en était devenu plus frais, et le corps s'adaptait avec lenteur à ces brusques changements de température.
Des oiseaux de pluie, martinets et hirondelles, volaient en tous sens à présent, ils zébraient l'air de leur vol vif, et frôlaient le sol à toute allure. Ils étaient noirs et blancs, agiles et très gracieux, leur corps fin était soutenu par de longues ailes étroites, et leur queue fourchue finissait en deux petites pointes d'ébène. Tout en rasant le sol à grande vitesse, ils se nourrissaient en happant les nombreux insectes présents. Ces oiseaux semblaient posséder une énergie illimitée, ils semblaient ignorer le repos. On les avait vus, dès le lever du soleil, s'envoler dans le ciel en criant leur joie, et depuis ils paraissaient ne jamais s'être arrêtés ; sans doute n'en était-il rien, cependant leur vol n'avait pas connu de baisse de vitalité depuis le matin. L'homme également veut toujours être rempli d'énergie, mais cette quête est une quête de possession et de rétention, lorsque l'on veut posséder l'énergie, on détruit celle-ci. L'eau tumultueuse d'un torrent, une fois enfermée dans un bocal, perd toute sa fougue et toute sa vie.
Énergie et liberté sont inséparables. Une énergie pure est sans fondements, de même sans directive, ni but, elle ne possède aucune architecture propre ; par cet état de fait, l'énergie peut engendrer tout ce qui est. La liberté vraie n'est pas, et ne peut pas être structurée, elle est au-delà de tout ordre, elle n'est pas l'agencement de certaines choses ; de la liberté sort ce qui est, c'est-à-dire l'ordre de l'univers, et l'univers lui-même, l'ordre de l'agencement de toute matière. En fait, l’énergie, la liberté font en sorte que la création soit.
A présent, les oiseaux avaient tous disparu, ils s'étaient éclipsés sans bruit, le jour commençait à décliner et la pluie viendrait peut-être avec la nuit. Dans le ciel, les nuages étaient devenus moins compacts, et l'on pouvait apercevoir l'étoile du sud, premier point lumineux, bientôt suivie par la lune elle-même. Cette journée qui s'achevait, donnait au monde une tranquillité et une quiétude qui se répandaient sur la terre entière. Bien que venant avec le soir, cette douceur était totalement libre, car on savait qu'elle pouvait se prolonger indéfiniment, ou au contraire s'arrêter et disparaître sans bruit, ni fracas. Cette paix est de toute éternité, et cependant, elle est toujours neuve et différente, toujours autre et à chaque fois unique. - Lorsque l'esprit prend contact avec cela, alors la liberté et l'éternel ne font qu'un.
Au loin, bien au-delà des montagnes, les orages grondaient et tonnaient dans la nuit. La pluie offerte était une véritable bénédiction, toute la vitalité, la force incalculable de l'univers étaient présents, le cœur et l'esprit n'en étaient pas séparés.
La pluie commençait doucement à frapper sur les vitres, et soudain, sans cause aucune, la béatitude apparut, libre, pure et entière.
Paul Pujol, "Senteur d'éternité".
Editions Relations er Connaissance de soi
"Des orages dans la nuit", pages 107 à 109.
Un jour après avoir discuté longtemps avec un ami, celui-ci nous posa une question en forme de reproche, question que nous trouvions très étonnante : "Pourquoi ne parlez-vous jamais de votre éveil ? Cela pourrait intéresser de nombreuses personnes, je ne comprends pas votre discrétion que je trouve d'ailleurs excessive."
Tout d'abord comment savoir qui est éveillé ? Et pourquoi parler de l'éveil, qu'est-ce que les personnes attendent d'une telle description, veulent-elles un stimulant ? Désirent-elles partager un peu de "cela" à travers le témoignage de quelqu'un ? Découvre-t-on quelque chose par une description, vraiment ? Ou bien ressentons-nous du plaisir, frissonnons-nous devant ces témoignages exaltants ?
Il me semble que c'est bien cela en fait, l'être humain ressent du plaisir en entendant ces témoignages. Ayant ressenti un grand plaisir dans ses lectures ou ses enregistrements, il germe dans l'esprit le désir de renouveler, de revivre et de prolonger ce plaisir. Donc on veut toujours plus de descriptions, toujours plus d'histoires si possibles fantastiques. Bref on devient dépendant de ce stimulant, comme d'autres ont un verre de Whisky pour se sentir bien.
Pourquoi trouve-t-on la description si importante ? N'est-ce pas parce que nous ne connaissons rien de cet état ? Naturellement, nous n'avons pas vécu "cela", alors nous y pensons sans cesse, cela devient même assez lancinant d'essayer de concevoir, de réfléchir sur une chose qui n''est pas là, qui n'existe pas pour nous. C'est même totalement étrange comme attitude, passer son temps et son énergie à concevoir une chose qui n'existe pas et que nous ne connaissons pas du tout. Comme on se rend compte assez vite d'une telle ineptie, on en vient à se dire qu'il faut écouter les paroles de ceux qui disent avoir vécu l'éveil, au moins là cela sera du concret et pas de la rêverie.
Alors on se met en quête de témoignages et on découvre qu'il n'y a pas mal de personnes, connues ou inconnues, qui disent avoir vécu cette expérience. On découvre même qu'il existe des listes d'éveillés, c'est tellement pratique, et on a le sentiment que c'est tout à fait formidable d'avoir autant de gens "éveillés". Là, notre avidité de témoignages commence à être abreuvée, pas étanchée du tout, mais abreuvée, alimentée. Toutes ces descriptions nourrissent ma soif, ma curiosité, et voyons bien ce qui est, nous devenons des voyeurs, des gens qui vivent par l'entremise d'autres personnes. Nous vivons par les paroles des autres, nous buvons leurs paroles, mais nous n'allons jamais au-delà de l'amour de l'image, nous vénérons le plan du pays, mais jamais nous ne nous mettons en marche et voyageons réellement dans ce pays. La carte d'un menu de restaurant ne vous nourrira jamais ; c'est comme si vous étiez perdu dans un désert depuis pas mal de temps, la soif vous tenaille naturellement, vous n'avez vu personne depuis des jours et des jours, et voilà quelqu'un qui arrive, allez-vous lui demander de vous décrire l'acte de boire ? Boire des descriptions ou des paroles n'étanche pas la soif de l'esprit, au contraire cela crée une dépendance, comme une drogue. Si on n'a pas de nouvelles descriptions, de nouveaux témoignages, l'excitation retombe et on se retrouve tel que l'on est, c'est à dire ignorant et pauvre, sans expériences personnelles.
Qui plus est voyons également bien ceci, quand on ne vit pas une chose, et qu'on lit quantité de choses sur ce sujet, que se passe-t-il dans l'esprit ? On ne connait pas l'Amérique, mais on a vu de nombreux films, on a lu de nombreux livres, romans et autres, on connait des amis qui ont fait le voyage, mais soi-même on ne s'est pas rendu dans ce pays. Donc j'ai amassé des informations, des données sur le sujet, qu'est-ce que cela crée dans l'esprit ? Évidemment cela crée en moi une conception, une idée de ce pays, cela crée tout un imaginaire sur cela que je ne connais pas. Concernant l'éveil l'imaginaire fonctionne encore plus à fond, car ce terme est tellement chargé de symbolique religieuse ou autre, le mot n'est pas du tout neutre déjà en lui-même. Donc on l'aborde déjà avec toute une panoplie d'idées, d'a priori. On ne va pas vers ce sujet sans bagages, sans idéologies, et notre soif de curiosité, notre avidité renforce toutes ces idéologies, qu'elles soient miennes ou qu'elles soient de la société (les deux se nourrissant sans cesse l'une et l'autre). Voyons bien ce qui se passe, ne connaissant pas l'Everest, je m'informe et je lis tout ce qui me tombe sur la main, je vois tous les films, tous les interviews d'alpinistes, tout ce travail fait naître en moi une conception, une idéologie sur l'Everest.
Une fois cette idéologie créée, elle a besoin de confirmation extérieure, je suis sûr de moi, mais je voudrais bien savoir si d'autres sont d'accord avec moi. Cela me conforterait dans ma direction, dans mon approche. Alors je me mets en quête, mais à présent de manière différente, je cherche maintenant des témoignages qui viennent en quelque sorte valider ce que je crois. Je ne prends en compte et ne m'intéresse qu'à ce qui va dans une certaine direction. Sans me rendre compte, je sélectionne déjà les témoignages et je ne retiens que ceux qui vont dans mon sens, celui auquel j'accorde ma foi et mon espérance...
La création d'une idéologie demande toujours confirmation, mais cette recherche de confirmation n'est pas la recherche de la vérité, c'est essentiellement l'expression de la peur qui désire se calmer. Car dés qu'une idéologie (quelle qu'elle soit) existe, elle peut être contredite, discréditée, déclarée comme nulle et non valable, voir dénoncée comme étant totalement sotte...Toute affirmation engendre sa négation, réelle ou possible, patente ou future, toute affirmation s'attend donc à être attaquée à un moment ou à un autre. Le consensus général n'existe pas, donc quand quelque chose est affirmé, l'esprit sait qu'il va y avoir opposition, contestation. La peur est présente dés le début de l'idéologie, car l'esprit sait qu'il a recours aux idéaux parce qu'il ne voit pas les choses directement, il sait que toute sa démarche n'est qu'une suite de mots, mais l'esprit n'a que cela, une suite de mots sans fin, juste des sons symboliques mis bout à bout.
Ne pouvant pas affronter lui-même cette réalité, on ne voudrait pas que cela vienne d'autrui et que l'autre, l'interlocuteur mette à nu tout notre stratagème. Alors la peur remplit toute cette démarche, on ne veut pas être dévoilé, pas être découvert tel que l'on est, simple et ignorant tout de ce qu'est l'éveil.
Donc nous avons la stimulation qui devient une drogue, la création d'une idéologie qui engendre alors la peur, et toute une stratégie d'évitement du dévoilement de mon ignorance. Si on regarde tout cela, d'un seul coup on se rend compte que l'éveil n'intéresse pas du tout les gens, ils veulent juste être stimulés, prendre du plaisir, cela est assez semblable à du voyeurisme spirituel. Mais le drame de tout cela, c'est que cela ne change absolument pas l'être humain, il passe sa vie en allant sans cesse du plaisir vers la peur, et de la peur vers le plaisir. Quand la vie se résume seulement au plaisir, la peur devient inévitablement sa compagne de route, alors on voit que ce couple plaisir/peur engendre cette souffrance infinie qui broie le cœur des humains depuis la nuit des temps.
Mais revenons à cette question : " Pourquoi ne parlez-vous pas de votre éveil ? Si je n'avais pas discuté de cela avec vous, je n'aurais jamais appris que Krishnamurti n'était pour rien dans ce qui vous est arrivé. C'est après que vous avez saisi toute l'importance de ce qu'il disait..."
"Oui il n'y est pour rien. Par la suite c'est juste devenu un compagnon de route, de voyage, mais un compagnon exigeant qui vous incite à ne pas vous endormir, à ne pas vous arrêter." Pourquoi serait-ce important d'en parler ? Untel dira ceci, untel dira autre chose, la plupart diront que c'est grâce à ma rencontre avec tel ou tel maître ou Guru. Quelle blague tout cela, si la liberté a une cause, elle est donc conditionnée et ce n'est plus la liberté. Voyez-vous cela mon ami ? Il n'y a pas de cause, sommes-nous d'accord ? En cherchant des témoignages de l'éveil, qu'espèrent donc les lecteurs ? Ils pensent qu'ils vont peut-être trouver des clefs pour comprendre, qu'ils vont trouver des indices, des pistes. Bref pour le dire simplement ils cherchent les causes qui produisent "l'effet éveil". Toute cette démarche est fausse dés le début, il n'y a pas de causes ; et même s'il y en avait, prenons cet option, il n'y a pas une cause ou deux ou trois, il y en a des milliers et des milliers, causes dues au passé, causes venant du présent immédiat, causes étant elles mêmes des effets venant d'autres causes. On pourrait remonter sans fin dans le temps vers le passé, et dans l'espace avec l'interdépendance de toutes choses. Qui décrète que telle cause est déterminante par rapport à telle autre, naturellement elles ont des influences différentes, plus ou moins fortes ou faibles selon les circonstances.
La chaîne de cause à effet existe évidemment, qui le nierait, mais ce qui se trouve dans ce champ d'action/réaction n'est pas libre, il est déterminé par son environnement. L'éveil est-il déterminé par l'environnement ? A cela certains répondent oui très rapidement et sans grande hésitation, il faut être né en Inde, être Brahmane ou Sâdhu, pour d'autres il faut avoir fait retraite dans des grottes himalayennes...
Mais on peut se poser la question évidemment, alors qu'est-ce que l''éveil ? Comment le savoir, comment être sûr que ce qu'on vous raconte est vrai ? Comment savoir si cela remplit toute la vie de celui qui en parle, ou si c'est juste une personne habile en propagande et en mots, qui vous dit juste ce que vous voulez entendre ? Comme nous l'avons vu précédemment, il faut être clair sur le mobile de notre recherche. Si c'est une manière d'oublier ma triste vie, sans relief et si superficielle, j'adhérerais aux explications les plus simplistes et les plus agréables, mais cela ne m'avancera à rien. A part cette excitation momentanée, ma vie sera toujours aussi creuse et vide de sens.
Donc en mettant de côté cette fuite de la monotonie de ma vie, j'essaie de savoir ce qu'est l'éveil ? A présent je me méfie des descriptions trop belles, où tout est facile avec un chemin bien tracé par ceux qui savent, bref je doute des propositions des traditions, avec tous leurs systèmes et leurs hiérarchies. La plupart disent que l'éveil c'est la fin de la souffrance, et beaucoup disent aussi que cela a le parfum de la vrai liberté, immense et totale. Mais leur système crée des attitudes et des dispositions mentales mécaniques et répétitives, on le voit bien chez tous les disciples des différentes sectes ou religions, ils répètent tous le même type de crédo. Soit c'est la foi et la prière, soit c'est la dévotion envers le maître (le mot guru n'étant plus à la mode aujourd'hui) avec naturellement la méditation ou parfois même le yoga ; et on vous demande aussi d'étudier assidument les nombreux textes sacrés. Pour résumer on s'en remet à une autorité et on accepte un programme, programme qui va nous aider à avancer, à progresser dans le domaine complexe de la spiritualité ou du religieux. Cela parait tout à fait naturel à la plupart des hommes, comment faire autrement d'ailleurs, il nous faut l'aide des grands sages. Mais c'est toujours pareil, qui décide qui est sage ? La réputation, la rumeur publique, le nombre d'adeptes ou la quantité de livres écrits. On regarde s'il y a des personnes connues, des intellectuels, des notables.
En fait nous voyons que par peur de se perdre, on accepte de se faire programmer comme des machines, comme des ordinateurs, cela nous rassure et on pense pour nous. On nous dit quoi faire du matin jusqu'au soir, de l'aube au crépuscule on vous prend la main et on vous dit faites ceci, faites cela, ne pensez pas trop ce n'est pas bon pour vous...
Voyant toutes ces absurdités, on rejette tout cela, simplement et fermement une fois pour toute. Les traditions et les maitres charmeurs, les prières et les méditations, c'est terminé à tout jamais. Quand l'esprit est sorti de cela, alors la question demeure, qu'est-ce que l'éveil ? Certains disent aussi d'autres choses, mais cela est moins charmant et agréable, ils disent que l'éveil c'est la fin du moi, de l'illusion d'un esprit séparé et autonome...Qu'est-ce cela veut dire ? Cela n'a aucun sens pour l'homme ordinaire, pour celui qui est pris dans le mouvement de la vie, qui passe par des moments de joie, de peine et de souffrance. Ce qui parle à l'homme ordinaire c'est le plaisir naturellement, mais ce qui touche les entrailles de tout être humain, c'est la souffrance dans cette vie. La mort qui rôde, la disparition des proches, inéluctable, la vie humaine est remplie de ce sentiment d'injustice et de non sens total. On naît, on grandit, on vit et on meurt, en perdant progressivement la vraie joie de vivre, le cœur devient lourd de peine et de tourments. La joie existe mais elle est fugace, la souffrance existe et elle est tenace, elle dure tout le long de notre vie. C'est elle notre compagne de tous les jours, la joie ne fait que passer, mais la peine et la douleur restent...
Ce n'est pas une lamentation que de dire cela, c'est un fait qui n'est ni triste, ni gai. Donc la disparition du moi ou bien la fin de l'illusion d'un esprit séparé, cela ne veut rien dire et cela n'intéresse pas cet homme ordinaire, celui ci est comme notre ami. Ce qui intéresse notre ami c'est le merveilleux, l'extraordinaire et le mystérieux, toutes choses qui font oublier la vie triste et morne que l'on mène ici bas. Alors pourquoi cette question : "Pourquoi ne parlez-vous jamais de votre éveil ?" et que peut-on répondre qui soit audible, qui soit au minimum entendu, même si cela n'est pas vraiment bien compris.
Tout d'abord pourquoi cela serait-il important ? Chercherait-on un modèle, une source d'inspiration, voudrait-on en faire un exemple à suivre, une imitation possible ? Attendons-nous une histoire fantastique ? On sera bien évidemment déçu très vite, il n'y a rein d'extraordinaire ou de fantastique, pas de dieu trouant l'azur et désignant l'heureux élu. La fin du moi, qu'est-ce que cela veut dire ? C'est la fin de ce que nous pensons être, la fin de ce que nous imaginons être. C'est comprendre que toute définition de soi est fausse, et le sera toujours, et pourquoi donc ? Le moi existe-t-il vraiment ? Ou bien est-ce une création mentale, une œuvre imaginaire du mouvement des pensées ? Si c'est la fin, non pas du moi car il est illusoire, mais la fin de la croyance dans le moi, qu'est-ce qui finit ? Une illusion finit, un mirage s'éteint, rien de plus en fait, c'est la fin d'un rêve...
Voilà le vrai sens de l'éveil, c'est la fin d'un rêve, d'une inconscience totale dans laquelle on vivait ; le rêve prend fin, et le dormeur s'éveille...Mais cela est une image, ce n'est pas le moi qui se réveille, comprenons-nous cela ? Il n'y a plus de conscience séparée, cette croyance n'existe plus, alors qui s'éveille ? Creusons s'il vous plait, qui s'éveille ? Quand le rêve prend fin, le rêveur existe-t-il encore ou finit-t-il avec le rêve ? Le rêveur n'est pas séparé du rêve, c'est évident n'est-ce pas ? Donc quand le songe disparait, le rêveur n'existe plus également. La conscience rêveuse que nous étions n'est plus là, il existe alors autre chose qui était non perçue pendant ce rêve, la formule verbale le rêve prend fin et le dormeur s'éveille s'avère donc inadéquate, alors comment s'exprimer de manière plus juste ? C'est une vraie difficulté de parler de cela, les mots peuvent entrainer de nombreux quiproquos... Reprenons notre exploration : Le rêveur prend fin avec le rêve, nous sommes d'accord là-dessus, mais le couple rêve/rêveur a bien eu une existence (certes illusoire), cette fantasmagorie a bien eu lieu, s'est bien déroulée sur une scène, dans un théâtre quelconque. Cette rêverie s'est déroulée dans l'esprit, le théâtre où se joue le rêve, c'est l'esprit lui-même. Avant que ne se joue la pièce, le théâtre était déjà là naturellement, et le théâtre ne se limite pas à une seule pièce en particulier. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il y a une réalité dans laquelle le rêve existe, que le rêve soit projeté ou pas sur l'écran, cette réalité est là, indépendamment de l'existence ou de la non existence du rêve et du rêveur.
Quand la croyance du moi s'efface, la conscience devient totalement autre, la chambre noire dans laquelle le moi se débattait avec lui-même à été anéantie, et l'esprit vit au-delà de cette chimère. On devient juste conscient de ce qui est, mais rien ne commence, c'est juste la chambre noire qui n'existe plus. En fait c'est la disparition de toute cette impression des choses personnelles. C'est cela, il n'y a plus rien de personnel dans l'esprit, tous les adjectifs possessifs n'ont plus lieu d'être.
Alors mon cher ami, on ne peut pas parler d'éveil personnel, mon éveil ou votre éveil cela ne veut rien dire du tout. Voilà pourquoi on ne peut pas parler de son éveil, tout simplement parce que réellement cela n'existe pas.
Paul Pujol
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L'ésotérisme et l'occultisme ne mènent pas l'homme vers la liberté.
Dans ces domaines obscurs, car ils sont obscurs, règnent des notions tournant toujours autour du pouvoir. On vous parle de danger, de protection, d'énergie et d'initiation, et naturellement il y a les maîtres, sans lesquels vous ne pouvez rien faire.
Ils disent avoir le pouvoir de vous protéger, mais leur protection n'existe que si vous adhérez à leur foi, avec eux vous êtes à l'abri, sans eux vous êtes perdu. Donc tout ceux qui ne pensent pas comme eux sont en danger, leur aide est-elle vraie et surtout pourquoi n'est-elle pas naturelle, spontanée, sans conditions ? Un médecin, ou un pompier ne vous demande pas quelles sont vos croyances et vos idées, il intervient, soigne le malade ou éteint l'incendie sans autre condition préalable que de sauver celui qui est en danger.
On vous parle de degré avec de multiples initiations, et il y a toujours quelqu'un au-dessus de vous, toujours ces hiérarchies. Et évidemment dés que vous progressez un peu, il y a alors quelqu'un au-dessous de vous, c'est assez gratifiant et cela aide à supporter ceux du dessus. Bref il y a toujours soumission et obéissance, avec le doute éradiqué et banni.
Toute relation de domination et de dépendance entraîne l'homme dans une prison et ne lui font pas découvrir la vérité. L'ésotérisme et l'occultisme naviguent dans les eaux noires du pouvoir, et cette fascination pour le pouvoir ne libère pas l'homme, elle nourrit le moi, l'ego, et l'homme se perd alors dans l'enchantement de son propre esprit.
La recherche de pouvoir, et les relations basées sur le pouvoir perdent l'homme et nuisent à la recherche de la vérité. On ne parle pas du tout, ou très rarement de la Vérité, pour tous ces gens cela semble être devenu un concept démodé, faux.
Évidement, car la vérité démonterait peut-être tout leur stratagème en un seul regard, un regard clair et finit l'illusion des croyances et des superstitions.
C'est la vérité qui libère l'homme, tout le reste n'est qu'amusement de l'esprit.
Paul Pujol
Texte écrit le 1 Janvier 2005
Apprendre consiste d'abord à voir par soi-même ; à découvrir, à observer et à tester ce que l'on vous dit. Donc si ce postulat veut s'appliquer, dans un premier temps on arrête d'affirmer, de nier ou de confirmer toutes les idées de ce monde.
Aucune conception ou théorie n'est acceptée d'office sans avoir été jugée et soupesée par votre regard, mais au début vous ne pouvez pas être certain que votre regard soit libre de toute théorie. Vous devez observer également votre façon de penser et de jauger les événements, vous devez observer le mouvement de votre esprit et voir si lui-même, n'est pas déjà le fruit d'une conception établie .
Car si tel est le cas, votre regard est faussé, il est orienté par cette « croyance » interne.
Donc, il faut être conscient des conditionnements extérieurs, tels que la culture, la famille, la pression sociale ou la mode ; et voir également qu'il y a un mouvement identique dans l'esprit, la pensée « est » conditionnante, elle se nourrit elle-même.
En fait, il faut saisir simplement que l'acte d'apprendre touche l'ensemble de la vie. L'activité extérieure et l'activité intérieure ne sont pas séparées, elles se créent ensemble. Le monde est à l'image de l'homme, la violence de la société « est » la violence de l'homme. Et l'homme se laisse influencer par la société, il dénie ainsi sa responsabilité et se lave les mains.
Donc l'observation se met en place, mais est-ce vrai ? Ou bien est-ce une autre théorie, s'il vous plaît ? Cette action ne se met en place réellement, que si on a véritablement compris qu'il faut tout découvrir par soi-même, cela n'est pas de la philosophie.
Examinons mieux le fait, « je dois tout voir par moi-même » ; je suis arrivé à cette conclusion, car j'ai vu que l'état déplorable de notre monde « est » le résultat des traditions, orientales ou occidentales, les traditions racontent toutes la même misère du monde et de l'homme. La violence de ce monde est un produit, est le fruit de ces systèmes millénaires. La responsabilité de l'histoire leur incombe, et nous voyons leurs castes et leurs religions organisées. Tous parlent de textes sacrés, de livres anciens, ou bien de personnes extraordinaires, et ils répètent tout ce qui est écrit dans leurs textes ou ce que d'autres ont dit.
Ils ne font que commenter, écrire sur les paroles d'un autre, puis ils commentent les commentaires, de manière obsessionnelle, comme une maladie qui les ronge ; ils ne s'en sortent pas, et ils plongent le monde dans l'abîme.
Donc nous voyons que le monde des traditions, qu'elles soient religieuses, philosophiques, politiques ou autres ne nous mènent nulle part, elles ont créé ce monde de souffrance. Donc je ne leur accorde aucun crédit, l'ensemble de ces systèmes « est » le moteur de ce monde de misère et de violence.
Il y a aussi le monde contemporain, qui pour une grande partie s'est construit en réaction, par rejet des traditions religieuses et puritaines. Mais ce rejet est le résultat de la pression imposée par l'autorité religieuse, c'est une réaction conditionnée par cette pression, donc cette action n'est pas libre. Elle est très superficielle, en surface, si on regarde on voit que les bases sont identiques aux traditions.
Abus de pouvoir, accumulation de richesse, mensonges et violences ; propagandes politiques sur le même mode que les propagandes religieuses. L'habit a changé de couleur, mais celui qui le porte reste le même.
Comme il n'y a pas eu d'approfondissement concernant les bases du conditionnement, on a simplement troqué l'habit du moine ou de l'évêque, pour celui du PDG ou de l'homme politique.
Mais ne nous leurrons pas, les traditions sont responsables certes, mais le tout premier c'est l'homme lui-même, c'est l'esprit de l'homme qui engendre le monde.
C'est l'esprit qui a construit ce monde avec ses religions, ses mouvements politiques, Staline, Hitler, toute cette folie qui gangrène notre monde.
Nous sommes responsables de « ce qui est ».
Et donc, par cette perception qui se met en place, je comprends que « je dois tout voir par moi-même ».
Il s'agit de remettre en cause le monde des idées, des croyances humaines, pas le monde réel. La montagne qui vous entoure, la pluie ou la neige qui tombent sont une paix pour l'esprit, ancrez-vous dans ce réel. Voir consiste déjà à distinguer le Réel de l'imaginaire, on peut faire confiance bien plus à notre corps qu'à notre esprit.
Attention à ne pas faire de tout ceci une théorie savante et subtile ; mais si cela se passe, quand cela à lieu, alors observez le directement, voyez dans le vif son apparition. Percevez comment se crée une pensée, mais sans en créer une autre par-dessus, un commentaire sur un commentaire. Voyez comme l'esprit humain agit toujours de manière identique, comme les traditionalistes, ne commentez pas votre commentaire. Cela peut devenir une habitude grisante, car vous cultivez ainsi une connaissance qui grandit dans le temps.
Ce qui se nourrit du temps satisfait pleinement l'esprit et la pensée, mais par cette action vous ne faites alors que prolonger le monde également, avec tout son cortège de malheurs.
La connaissance et le temps sont l'œuvre de la pensée, ils nourrissent la seule théorie qui vaille pour l'esprit, voyez comme « la connaissance de soi » crée la croyance du moi, de l'entité séparée, de l'âme.
Cela est le triomphe de l'esprit, de la pensée, mais voyez bien comme cette chimère ne résout absolument rien ; le monde se meurt toujours et vous êtes enfermé dans votre solitude totale.
Nous voyons donc, la nécessité de voir par soi-même, et nous voyons également le danger de s'enfermer dans le piège subtil de la pensée. Pour avancer dans la vie de tous les jours, il n'y a aucunement besoin de faire un effort quelconque, il ne faut pas chercher à changer.
Vouloir changer sans être libre, c'est juste modifier la prison, l'aménager différemment, et cette volonté de changement est créée par la prison ; pour l'instant le mouvement du mental « est » le mouvement de la prison. Il faut juste le regarder, l'observer, le disséquer, le comprendre chaque jour de manière plus sensible et plus vivante.
Et le meilleur terrain pour cela, voyons évidemment que c'est le quotidien de la vie, car ce quotidien, ce n'est pas une chose de l'intellect, cela fait partie du réel.
Donc, « je dois voir par moi-même », apprendre à bien distinguer « ce qui est » des créations purement mentales. Et le meilleur endroit et la meilleure action pour cela c'est la vie de tous les jours avec mes relations aux autres, c'est dans cette confrontation avec le réel que je peux voir ce qui est issu d'une théorie. Et voyez bien cette bénédiction véritable, plus vous comprenez le mécanisme des théories, plus vous vous en libérez, alors cette liberté vous rend disponible pour le monde tel qu'il est.
L'observation, l'attention sont les actions les plus importantes qui soient, plus vous apprenez à voir, plus vous êtes sensible ; et dans cette action regardez bien, vous « apprenez » sans cesse, vous découvrez sans arrêt.
Par cette attention calme à « ce qui est », on découvre ce qu'est voir.
- Ce mouvement alors ne peut avoir de fin, le savoir n'existe plus, de même que le temps;
- Vous êtes hors de l'histoire, alors véritablement se crée un autre monde.
Paul Pujol, "Correspondances".
Editions Relations et Connaissance de soi.
"Voir par soi-même", pages 24 à 28.