22 mars 2023 3 22 /03 /mars /2023 10:05

      Espagne 

 

                                                                                        Trévoux le 15 juin 2011

        

   Nous nous trouvions avec un ami sur un banc, dans ces belles montagnes suisses baignées par la lumière de l'été, il faisait assez chaud et nous parlions entres-nous depuis quelques temps déjà. A un moment donné, cet ami posa une question sérieuse sur le fait qu'il ne comprenait pas très bien ce que J. Krishnamurti entendait pas les images mentales. Une personne qui organisait parfois des dialogues de groupes, lui avait dit " Mais, tu en es encore là ?", autant dire qu'elle n'avait même pas écoutée la question. En vieille habituée, elle était sûre de détenir l'explication, et sans doute ne s'était-elle jamais vraiment questionnée sur le sujet. Elle avait lu dans des livres tout ce qu'il fallait savoir sur le sujet, puis elle était passée à autre chose.

    En entendant cette question, nous fûmes surpris, car nous nous rendîmes compte que nous n'avions jamais exploré totalement la signification des images mentales. Nous ne répondîmes pas à notre ami, mais nous gardions cette interrogation en nous, comme un trésor à découvrir. Il est fascinant de rester avec une question, sans chercher à y répondre, car alors le sujet se développe, il s'épanouit dans toute sa dimension. C'est une fleur qui libère une senteur qui vous est totalement inconnu, alors vous respirez cela, cela devient votre souffle, votre vie même. Qu'est-ce qu'une image mentale ? Quel est le lien entre cela et la mémoire, les pensées ? Que sont les sentiments, les émotions ? Est-ce que ce sont aussi des images mentales ?

       

    Avançons simplement sur cette découverte, commençons de manière pratique. Une image mentale est par définition, une référence intérieure, un point de vu sur un objet, une idée ou sur une personne. C'est quelque chose que j'ai élaboré dans mon esprit, et qui me paraît propre et personnel. Il y a un événement réel et il y a mon idée concernant cet événement. L'image mentale est composée de mes préjugés, du résultat de mes expériences et de mes déductions, c'est à dire de ce que j'ai tiré de ces expériences. Pour simplifier il y a un réel extérieur, et il y a mon image intérieure de ce réel. Pour appréhender un événement, nous utilisons les images intérieures afin d'avoir une attitude la plus efficace possible. Mais que décrivons-nous pour l'instant, n'est-ce pas en fait la mémoire, et son fonctionnement ? Quelles sont les différences, ou bien est-ce la même chose ?

    La mémoire est basée sur de l'information, son action utilise ces informations afin d'agir pour la survie du corps, et pour que la vie se perpétue. On peut dire par exemple, que l'appareil respiratoire est adapté à la composition de l'air, il le capte et le transforme afin de donner de l'énergie au corps. C'est en quelque sorte une interface entre l'air et la vie. Cela marche très bien, car l'air se modifie très peu, et l'adaptation du physique se transmet de génération en génération, par les informations contenues dans les gènes. De même pour la vision, le toucher, l'odorat et tous les autres sens. Ces informations servent à gérer notre relation avec notre environnement, c'est à dire qu'elles modèlent le corps, elles l'adaptent aux conditions de la vie. Là nous voyons que cette mémoire est physique, elle est inscrite dans notre corps. Il me semble que cela diffère des images mentales, nous avons des informations situées dans la mémoire physique, dans le corps. La pensée vient bien après. Avant que ne se forme le cerveau (siège de la pensée), il y a les cellules, les gènes, l'ADN ; puis la rencontre entre deux être qui s'aiment et de leur union va naître la vie. Il y aura d'abord une simple cellule, qui va se divisée, puis viendra un embryon, qui deviendra à son tour un fœtus qui donnera naissance à un nouveau né.

    La mémoire physique est présente bien avant que naisse la pensée. Qu'elle est la différence entre la mémoire et les images mentales ? Et où se situe le cerveau dans tout cela ? Nous voyons évidemment que les images mentales sont liées à la pensée et au cerveau. Une image mentale se construit avec les pensées, qui elles-mêmes se situent dans le cerveau. La mémoire physique détient des informations qui sont très anciennes, très viellent, qui viennent de l'au-delà de notre seule personne. C'est la mémoire de l'espèce, et plus loin sans doute, la mémoire de la vie au-delà de l'espèce humaine elle-même. Cette mémoire se perd dans la nuit des temps, elle vient de très loin. Le cerveau faisant partie du corps, est le résultat de cette mémoire physique, il s'agence et existe (tout comme l'ensemble du corps) d'après les codes et les lois inscrites dans cette mémoire. Le corps, ainsi que le cerveau sont l'expression de cette antique mémoire. Donc le cerveau se construit d'après ces "informations", cela est sa base, sa structure et son architecture interne. Quand celui-ci existe, pour continuer à vivre, il continu à reproduire ce mode de fonctionnement basé sur des informations. Car il ne connaît que cela, et cela fonctionne de manière tout à fait satisfaisante.

       

    Les informations liées à l'espèce s'expriment sans intervention de la volonté, actions telles que la respiration, la digestion, la vision... Elles sont si anciennes qu'elles marchent automatiquement, et avec une grande intelligence, l'homme n'a pas à se préoccuper de tout cela. Donc la mémoire très ancienne fonctionne bien sans intervention de l'homme, c'est à dire sans irruption du mental dans ces actions. Poursuivons notre enquête, la digestion n'a pas besoin du mental, mais il nous faut trouver de la nourriture et là le mental à un rôle à jouer. Comme dans la vision, il faut l'intervention du mental, de la pensée, si le soleil est trop puissant, nous allons chercher des lunettes de soleil pour nous protéger les yeux. Que découvrons- nous en ce moment ? Il y a un mémoire ancienne qui fonctionne bien, et dans certains cas nous devons utiliser le mental, la pensée pour agir dans le présent. La pensée complète et prolonge en fait la mémoire ancienne, c'est le fameux débat entre l'inné et l'acquis. Débat qui n'a pas lieux d'être, car sans l'inné, il ne peut pas y avoir d'acquis. On pourrait presque dire que l'acquis est une fonction de l'inné.

    Prenons un exemple simple, le corps réclame des aliments, la faim s'exprime, donc l'homme se met en quête de nourriture. Il fait le nécessaire pour en en trouver, il les découvre et les prépare pour le repas. Mais toute la recherche qui au début peut être fastidieuse, est mémoriser ; les lieux, comment s'y rendre, les horaires du supermarché, etc...Lors d'une autre demande, nous nous remémorerons ces informations, et nous irons plus facilement faire nos achats. Il y a d'abord une action, une expérience, puis mémorisation, et quand cela est nécessaire, il y a remémoration de l'action. La pensée paraît différente de la remémoration, car nous avons sentiment que nous pensons sans avoir de références. Nous croyons que les pensées nous sont tout à fait propres, personnelles et toujours différentes de celles des autres. Mais comment naissent nos premiers sentiments, nos premières pensées ? D'un contact avec l'autre, ou avec une situation qui nous a impressionnés, telle chose nous a émus, intrigués. Cela crée en nous des impressions, et nous nous disons que "cela est agréable, ou vraiment c'est très désagréable, dérangeant." Plus tard nous lirons des livres qui nous imprégnerons des leurs idées, nous découvrirons peut être des penseurs originaux, ou des romans saisissants. Tout cela créera en nous des émotions, des sentiments, des tendances et des préférences. Donc nos idées, nos pensées sont bien le fruit de nombreux contacts avec le monde, nos pensées sont le résultat mémorisé de nombreuses expériences passées. Les pensées sont une forme particulière de mémorisation, et de l'utilisation de cette mémoire ; car à un moment donné la pensée peut exister sans avoir d'expériences réelles, elle peut s'auto-alimenter elle-même.

       

    Sur quoi est basé les préférences ou les répulsions d'un très jeune enfant ? Il va vers des gens souriants, vers des personnes qui expriment une certaine affection, car dans ces attitudes il y a une certaine sécurité. Ces comportements indiquent un intérêt de ces individus pour l'enfant, une tendance à vouloir son bien être en quelque sorte. Il existe une interaction forte qui semble bénéfique à tous, l'enfant sent qu'il est probable que ces adultes (si ce sont des inconnus) pourraient s'occuper de lui. De même avec les parents, les interactions sont basées sur la sécurité et la protection de la vie, sur la tendre l'affection.

    Donc à la base, tout le mécanisme de la mémoire, du cerveau, de la recognition, de la pensée, tout cela vise à la protection de la vie, du corps et à la perpétuation de la vie. C'est en quelque sorte la pulsion de la vie qui nous porte, et qui nous fait aller de l'avant.

    Nous voilà bien loin des images mentales, n'est-ce pas ? Mais nous-sommes nous vraiment éloignés du sujet ? Qu'est-ce qu'un sentiment ? N'est-ce pas une mémorisation imagée d'un événement ? La mémorisation d'un contact n'est jamais identique au contact. Avec le temps, tout au long de notre vie, nous repensons à cette rencontre, en y pensant on rajoute des commentaires personnels sur l'événement. Un souvenir ne concerne pas un événement, il concerne notre avis, notre sensation sur l'événement. Et ce souvenir va avoir sa vie propre dans le mental, de manière totalement indépendante de l'événement d'origine. Il va être alimenté par d'autres événements, renforcé par d'autres idées, ou amoindri par tel ou tel expériences.

    Mais voyons bien, cela reste toujours basé sur des informations que nous collectons du monde extérieur, que nous réutilisons après intérieurement.

       

    Donc qu'est-ce qu'une image mentale ? Maintenant que nous avons exploré les fonctionnements de la mémoire et de la pensée. Je connais mon voisin, j'ai eu de nombreux contacts avec lui, avec le temps j'ai construit une certaine image de cette personne. Quand je le vois, je le reconnais, je connais son nom, son adresse, je pense connaître son caractère, etc...Disons que je me suis fait une idée précise de cette personne, "c'est vraiment quelqu'un de désagréable, peu sympathique". Ou bien le contraire "Quel type sympathique, vraiment charmant." Quand cette personne s'avance vers moi, lors d'une nouvelle rencontre, toute mon attitude va être basée sur ce que je pense de lui. Si nous nous sommes disputés l'autre jour, je serrai sur mes gardes ; si nous avons sympathisé hier, mon attitude serra tout autre.

    Mais avant même d'avoir échangé la moindre parole, tout ce que je pense de lui aura jaillit dans mon esprit en un instant. Et dans cette nouvelle rencontre se créera un autre commentaire, une autre pensée qui s'ajoutera aux anciennes pensées. Voyons bien que ce dernier commentaire, ou pensée, est teinté par les préjugés issus de l'image que j'ai déjà de mon voisin. La dernière pensée est le résultat, est conditionnée par toutes les autres, et elle-même se rajoute, s'additionne à l'ensemble des pensées. Voyons-nous bien ce mouvement ? C'est une action d'accumulation permanente, et d'auto conditionnement constant. Une pensée fait partie d'un tout, la dernière en est juste l'expression la plus récente. Ce mouvement, c'est l'image mentale, c'est cela qui se crée dans le temps et dans les relations humaines. Il y a une autre particularité dans l'image mentale, c'est qu'elle n'est aucunement verbale, c'est une image comme son nom l'indique. Qu'est-ce cela veut dire concrètement ? Quand mon voisin, mon épouse vient vers moi, l'image arrive instantanément dans l'esprit, je n'ai pas besoin de me dire : "Tient là voilà, nous nous sommes disputés hier, elle doit être mécontente. Cela est bien triste." Sans aucune formulation de la pensée, tout ce que je pense d'elle est comprise dans l'image mentale. Je n'ai rien besoin de me dire, ou de pensée quoi que se soit, tous mes préjugés s'expriment dans cette image que j'ai de l'autre. Cette image cristallise tous mes préjugés, tous mes a priori, en un instant ; en une seconde je juge, évalue, condamne ou absous mon prochain. Le vrai danger des images mentales, c'est leur rapidité, et le fait qu'elles emportent avec elles toutes les autres pensées. C'est tout un mouvement de pensées qui s'expriment en un battement de cil. La relation avec l'autre est alors bâtie, non sur la personne elle-même, mais sur l'image que nous avons d'elle. Et le drame humaine, c'est que l'autre fait de même, il a aussi une image de nous, et donc se sont des images qui essaient de rentrer en contact, et pas les individus eux-mêmes.

   La mémoire physique que nous avons de l'air est utile et efficace, car nous avons vus que celui-ci changeait très peu, et donc cette mémoire (finie), cette information reste pertinente pour le corps. De même pour l'ensemble du physique et des sens, notre environnement naturel change peu, et le corps reste donc adapté à son milieu. Mais dans les relations humaines, chaque individu change constamment, il se transforme sans cesse, nous parlons du point de vue psychologique naturellement. Intérieurement, nous ne sommes pas figés, fort heureusement nous changeons, nous nous modifions en permanence. Les images mentales, qui sont nos commentaires psychologiques, nous coupent de l'autre et empêchent toute relation véritable. Elles isolent l'homme en lui-même, en fait c'est essentiellement l'esprit qui se parle à lui-même.

       

    Peut-on comprendre ces images intérieures ? Afin de les mettre à leurs justes places, et créer ainsi des relations authentiques et véritables. La seule manière de se rendre conte de l'existence de ses images, de les comprendre en profondeur, c'est de les regarder, de le observer, mais pas de manière isolée. Tout le monde dit "regardez, observez vos pensées et vous les comprendrez". Mais on parle rarement de voir autrui directement, c'est beaucoup plus rare, par contre jamais on indique la possibilité de voir ensemble les pensées et autrui. Voir mon épouse, mon voisin, et voir en même temps mes images, mes pensées sur cette personne. Pourquoi choisir un sujet d'observation exclusif, particulier ? Les événements n'arrivent pas dans l'ordre que nous désirons, ils se présentent en totale liberté. Nous croyons pouvoir contrôler, dicter le déroulement des événements, quel prétention. Mon voisin arrive vers moi, je le regarde et en même temps arrive dans l'esprit l'image que j'ai de lui. Si je regarde ce qui se passe, avec attention et tranquillement, je vois bien que l'image ne correspond pas à cet être vivant, il y a une grande différence entre les deux. Je peux saisir toute la fausseté de cette image. Et si je rentre en contact avec l'autre. Avec affection, je me rends compte que cette image, si vieille, si prégnante, et parfois si persistante, cette image s'évanouit en un instant, comme elle était apparue... En un seconde, tous les préjugés du monde se dissolvent, ils n'existent plus.

    Alors pour la première foi de ma vie, je suis vraiment en relation avec mon prochain, et avec tout l'infini de la vie. 

 

 

     Paul Pujol

     "Correspondances", éditions Relations et Connaissance de soi.

     Des images mentales, pages 114 à 122.    

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18 février 2023 6 18 /02 /février /2023 12:03

  Les berges de Saône

                
                                                                                         

     Suite à notre réunion où nous avons abordé le sujet de la méditation, je me permets d'apporter cette vision, car le sujet est important, et il me semble que nous avons peut-être différents malentendus entre nous.

 

    Tous d'abord, qu'est-ce que la méditation ? L'origine étymologique est connue de tous, il s'agit "de soupeser, de peser les choses, de les évaluer en profondeur", en quelque sorte mener un examen attentif concernant un sujet. Donc il y a une démarche de compréhension, de perception de ce que l'on observe, n'est-ce pas ? Concernant une prison mentale par exemple, pourrait-on dire que quand la perception est vivante, elle met fin à la prison ? Et comme nous l'avons vu ensemble, alors cette fin, cette mort, donne naissance à quelque chose d'autre. La démarche de "la connaissance de soi", met fin aux conflits, aux tensions internes, de cette fin naît véritablement l'ordre dans la maison du mental. Alors quelle est maintenant le mouvement de la méditation ? La prison n'est plus, et maintenant commence toute l'exploration de la liberté, et en cela l'esprit aborde la dimension profondément religieuse de la vie. L'ordre est là, l'énergie qui était dépensée depuis toujours pour mettre de l'ordre, cette énergie se trouve donc totalement disponible. C'est comme le mouvement non pas dans l'infini, mais le mouvement de l'infini lui-même. L'infini, cela veut dire ne pas avoir de fin, et s'il n'y a pas de fin, excusez-moi, cela veut dire qu'il n'y a pas de début ! N'est-ce pas ? Donc la liberté commence-t-elle vraiment un jour ?

 

     Cela me paraît très important, je me permets d'insister un peu. La liberté débute-elle véritablement ? Ce qui est certain, c'est que la prison, elle, finit, si on voit directement un danger, on s'écarte de cela. Quand on voit le non-sens total des croyances, véritablement, aussi clairement qu'une montagne, alors l'attachement aux croyances cesse, et tous ces systèmes n'ont plus aucune prise sur l'esprit. Cela est fini, pour toujours ! Pouvons-nous observer quelque chose, s'il vous plaît ? Ce qui est né, cela peut également finir n'est-ce pas ? Les croyances existent parce qu'il y a des causes qui les ont engendrées, elles ont une origine, et ce qui a une cause peut subir un effet. Voyons-nous bien ce que nous disons ici ? Une cause est une condition d'origine, la croyance est liée aux traditions religieuses, à la culture, à l'environnement social. Les croyances sont le résultat de la pression exercée par l'extérieur, elles sont conditionnées par l'histoire de l'humanité ! 
    Si nous disons, "non-merci je ne veux pas de ces traditions, très peu pour moi. Aucun de ces dieux ne m'intéresse, je vous en prie !" Si l'esprit s'arrache vraiment aux religions, existe-t-il encore quelques croyances ? Mais alors est-ce la liberté qui commence ? Ou bien est-ce simplement la fin d'une illusion, et par cela l'esprit accède au réel. C'est la découverte de cela, mais la fin de l'illusion n'a pas créé le réel. Par la fin du temps, se révèle l'intemporel. La liberté ne commence pas, car elle est sans cause aucune.

 

    Il me semble que le mouvement de la méditation, c'est toute l'exploration de ce vaste continent ; et en cela aucune halte ne peut exister, car il n'y a personne pour faire cette halte. Seul existe ce mouvement sans fin, cette énergie sans limite. Excusez-moi encore d'ajouter ceci : L'énergie pure est sans ordre aucun, la liberté n'a aucun plan, ni tracés prédéfinis. Cette vérité n'a donc absolument aucun chemin d'accès. Mais alors, qu'est-ce donc que tous ces exercices ? Qu'est-ce donc que la méditation des traditions religieuses, principalement orientales ? Il existe différentes méthodes, selon les écoles et les maîtres en vigueur. Il n'y a pas une méditation, mais il y a de très nombreuses formes d'exercices, tous très différents, du plus simple au plus complexe. Du plus beau au plus torturé, il existe même certaines mortifications.

 

    Pourrions-nous déjà ne pas appliquer le terme de méditation à toutes ces choses ? Car nous essayons d'avoir une approche nouvelle de tout cela, donc peut-on ne pas employer le mot méditation pour tous ces exercices ? Pourquoi faire cela ? Pour simplifier et démystifier toute cette fantasmagorie ! Maintenant peut-on apprendre cela, sans adhérer de nouveau à une croyance, et sans se soumettre à une autorité ? Il existe le hatha yoga, le yoga physique, où normalement très peu de croyances existent. Mais si on vous propose par exemple une "méditation" sur une divinité, cela sous-tend que vous devez accepter la possibilité de son existence, et vous voilà repartis dans un système de croyance. De même, si on sous-entend qu'il vous faut être initié par un maître authentique, car celui-ci vous donnera l'énergie pour que la "méditation" soit opérationnelle, vous devenez dépendant de ce maître. Et par cette personne, par votre soumission, vous vous rattachez à toute la lignée de gurus dont il se réfère. Par cette action vous êtes lié, et vous devez le respect, de là fleurissent les prosternations et les génuflexions devant des images d'idoles au début, puis bien vite devant des personnes.

 

    Au-delà de ces formes d'asservissement, existe-t-il des exercices utiles, où des jeux mentaux qui permettent de voir ce qu'est notre mental, ce qu'est notre pensée ? Il est évident que si l'on n'a jamais observé son esprit, on ne peut le comprendre ! Peut-on parler du mouvement des pensées, sans jamais l'avoir observé une seule fois ? Là, nous restons dans quelque chose de sain, de non-corrompu. Donc il est important d'observer son esprit, de le regarder attentivement, comme dans l'origine étymologique du mot méditation. Simplement observer le mouvement des pensées, voir comment elles arrivent dans l'esprit, comment elles se pressent les unes les autres. Prendre conscience de ce mouvement incessant, l'observer et voir que c'est nous, l'esprit qui alimentons ce flux. Là dans cette observation, on remarque que si on regarde de manière neutre, en prenant de l'espace, ce mouvement se fait moins impérieux, et si on commente, les pensées affluent à nouveau très rapidement.

    Donc on prend conscience de ce mécanisme, alors on cesse d'alimenter ce mécanisme, et l'on voit le mouvement des pensées se tarir de lui-même sans effort. Dans cette action existe un espace différent, où les pensées sont moins dominatrices, et dans cet état apparaît alors une quiétude nouvelle, une tranquillité profonde. On prend conscience de ce calme profond qui existe au-delà des pensées, on l'explore tranquillement. Il n'y a rien de mystique dans cela, c'est comme l'inspiration et l'expiration de l'air dans les poumons, il y a pensées et il existe également absence de pensées. Bientôt, on trouve plus rapidement ce calme profond, il devient intime et familier, mais si l'on est intègre, alors on n'accorde plus aucune importance à ce calme même. On ne s'attache pas à cela, et l'on demeure dans le silence. Là, dans ce grand silence, une pensée peut advenir, cela n'a pas d'importance, car elle meurt aussitôt, on oublie même le calme et le silence. Alors on découvre quelque chose de très très différent, une qualité de présence autre, quelque chose de profondément immense...

 

    Excusez-moi pour cette description, mais avec de l'entraînement beaucoup de personnes connaissent ces états, et alors ? De cela surgit-il une compréhension, une vision pénétrante de l'esprit ? Cela amène-t-il l'esprit à se déconditionner ? Il me semble que tout ceci est plutôt une décontraction profonde, ou plutôt une relaxation très profonde, cela donne du bien-être. Mais pourquoi vouloir lui attribuer une valeur "spirituelle" ? C'est comme le Yoga, cela est bon pour le corps, pour sa santé, mais de là à dire "faites du yoga, et vous progresserez dans la connaissance de soi, vous vous rapprocherez du divin". Mais il y a du danger dans tout cela, car ce grand calme profond, l'esprit peut en faire son jouet. Cet état peut devenir objet de désir, de plaisir, car en fait, c'est plutôt bon, n'est-ce pas ? Je pense qu'à une époque récente, ou peut-être encore de nos jours certaines personnes expérimentent des choses proches en prenant des drogues, cela est plus expéditif, mais assez similaire. Si l'esprit n'était pas puéril, il ne transformerait pas tout ceci en recherche de simples sensations. En slogans vite trouvés, et vite devenus propagandes.

    La relaxation profonde existe, mais le terme de "méditation" n'est pas approprié, n'est-ce pas ? Ce qui est certain : C'est qu'il ne peut exister de méthodes ou d'exercices, qui puissent amener à l'éveil. La liberté ne peut avoir de causes, cela ne peut-être le résultat d'une action mécanique, même subtile. Tout cela me parait très important, afin de ne pas retomber dans le même monde de traditions et religions créées par l'homme. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas de respect pour les personnes qui sont dans ces pratiques. Ce n'est pas par arrogance ou mépris que nous disons cela, c'est l'injonction de la vérité qui nous demande d'observer cela, sans jugement aucun, mais avec lucidité et équité. Excusez-moi messieurs et mesdames, mais nous connaissons tous quelqu'un qui est allé au-delà de tout cela, au-delà de ces systèmes, de ces traditions et de toutes ces autorités.

 

    Pourrions-nous éviter de retomber dans le monde des limitations, cela n'est sûrement pas lutter contre quelqu'un ou quelque chose, mais dire simplement ce qui est, l'apparence de la vérité n'est pas la vérité. Une partie de la vérité n'est rien, la totalité de l'existence se doit d'être éclairée par cette vérité. Voyons bien, le yoga ou les relaxations profondes peuvent peut-être avoir leurs utilités, mais cela reste au niveau de la connaissance mécanique de la pensée. On peut voir les pensées arriver et aussi les voir mourir, on peut constater qu'il existe un silence au-delà de ces pensées. Un calme profond peut naître dans l'esprit quand celui-ci n'est pas submergé par le mouvement du mental. Mais l'esprit peut se fourvoyer dans cette action, il peut en faire maintenant une recherche de plaisir, une volonté de rester dans cet état de quiétude. L'esprit puéril peut très bien en faire son jouet, "quel plaisir quand je suis dans cet état, quelle paix" et l'on compare cela à notre vie quotidienne qui est exsangue de toute cette paix. Donc, cette relaxation profonde devient le stimulant de notre vie, sans cet exercice, ma vie n'a plus de sens. N'est-ce pas ? Bien des gens, ces fameux pratiquants de toute sorte, dès que l'on ose mettre en question leur pratique, on voit dans leur regard la peur et le désarroi, et parfois même arrive rapidement un sentiment de grande violence. L'esprit pratique depuis très longtemps toutes ces techniques, l'Asie est devenue pour certains la spécialiste de toutes ces choses. Mais puis-je poser une question et demander une observation honnête et sincère de tous, dans tous ces exercices, y a-t-il apparition de la vision pénétrante, y a-t-il déconditionnement de celui qui observe ?

    C'est comme dans les phénomènes de visions extatiques, si on regarde vraiment ce qui se passe, avec sincérité, y a-t-il compréhension profonde ? Ne serait-ce pas des sensations, certes hors-normes, mais ce sont des sensations. Des expériences comme d'autres expériences, ni plus, ni moins. Dans ces états provoqués - car ils sont provoqués, n'est-ce pas ? Sincèrement, il y a très peu de vision pénétrante, de libération et de déconditionnement. Cela serait trop simple, il est tellement facile de vivre ces états, avec de l'entraînement de très nombreuses personnes peuvent arriver à vivre cela. Autre chose, il me semble que tant qu'il y a un sentiment de plaisir, ou de quiétude, véritablement c'est que l'esprit n'est pas en silence. Dans une décontraction profonde, très profonde, il n'y a plus de notion de bien être ou de plaisir, il y a le silence et absolument rien d'autre. Il faut être vigilant, et ne pas verbaliser ou chercher à définir ce contact. Le silence véritable, existe quand l'esprit est totalement immobile ! Il me semble sinon, que nous repartons avec toutes ces vieilles choses que l'homme a inventé, pourquoi ne pas repartir dans une grotte en Himalaya ? Il ne s'agit de mépriser, ou de dénigrer qui que ce soit, un homme qui donne sa vie pour étudier la religion est tout à fait respectable ; mais respecter ne veut pas dire se soumettre, ou accepter. Nous pouvons dialoguer avec amitié et affection avec tout homme, quel qu'il soit, moine asiatique, prêtre occidental ou autre. Car c'est avec l'homme que nous parlons, pas avec sa fonction, ou son statut social. En fait ce n'est pas un moine ou un prêtre, c'est simplement un homme comme vous et moi, un être humain en proie à la souffrance de ce monde, comme tout un chacun.

 

    Dire que les religions qui enseignent "la méditation" sont différentes des autres religions, c'est évidemment une erreur, et penser que l'Orient connaît bien mieux tout cela, c'est d'un tel lieu commun...Elles ont tracé les chemins qui mènent à la libération, avec certitude et affirmation, "si vous faites cela, vous progresserez et vous verrez bientôt le très-haut en face à face !" Qu'y a-t-il de nouveau sous le soleil des hommes ? Où est ce sentiment de neuf, de quelque chose qui est bien au-delà des inventions humaines ? Peut-on mettre l'innommable en mots ? Peut-on enfermer la liberté dans des systèmes de pensées, dans des tracés bien aplanis par ceux qui savent ? Krishnamurti n'a-t-il pas existé, n'a-t-il pas indiqué la folie de toutes ces méthodes ? Nous ne comprenons pas bien ce qu'il veut nous indiquer, et nous ne savons pas rester avec cette non-compréhension, n'est-ce pas ? Nous sommes gênés de ne pas saisir ce qu'il nous dit, alors nous allons voir d'autres personnes, des spécialistes du genre, et nous leur demandons ce qu'est la méditation. Alors les explications traditionnelles reviennent, cela nous rassure et de ce fait, nous perdons la lumière de la vérité.

 

  Pourquoi ne pas rester avec cette non-compréhension, cela est notre réel, je ne comprends pas ce que veut dire cet homme ! Tant pis, mais je ne m'endors pas, je reste avec cette présence, ce fait. Je ne lutte pas avec mon état, je suis conscient que je ne saisis pas vraiment. Cela, c'est la vérité, je ne sais pas ce qu'est la méditation ! Voilà le fait, concret, comme la souffrance et la peur. Mais cette même vérité m'indique aussi que ce n'est pas dans les trucs proposés par les religions ou les sectes, que se trouve cette chose que je ne saisis pas. Cette méditation doit avoir un parfum de liberté, comme l'essence de la religion véritable ! Depuis deux mille cinq cents ans ou plus, l'Inde et l'Asie pratiquent ces méthodes, ces continents sont-ils foncièrement différents d'autres continents ? N'y a-t-il pas aussi des guerres, des violences, qu'elles soient politiques ou religieuses ? L'esprit humain est le même, qu'il soit Hindou, Chinois, Européen ou Américain, quel que soit sa religion ou son pays, l'esprit n'a pas changé. C'est une réalité qu'il nous faut voir très concrètement, l'Orient a des traditions spirituelles et religieuses, mais qu'ont-elles fait du sacré ? Une suite de rites, de textes sacrés, une hiérarchie bien précise, et une foultitude de techniques et autres méthodes méditatives. Il existe également de très nombreuses écoles de pensées et de philosophies, mais est-ce différent à travers le monde ? D'autres religions n'ont pas la méditation, mais elles ont la prière, et dans les deux cas maintenant on parle également d'avoir foi, dans les textes et dans les enseignements.

 

    Donc la vérité me montre tout cela, tout ce que n'est pas la méditation ; donc j'élimine le faux, je me débarrasse de ces fardeaux inutiles ? C'est très important, le faux doit bien être perçu pour le faux, il peut y avoir une part de vérité dans ce que disent ces religions, mais une partie n'est pas le tout ! Voyons bien cela, ce n'est pas parce qu'il y a des aspects justes dans une croyance, que la croyance elle-même est vérité. Un fou peut bien vous donner l'heure exacte, ou bien vous indiquer le bon chemin pour aller à la gare, il n'en est pas moins fou. Ce n'est pas parce qu'il dit vrai dans un domaine restreint, un domaine précis, que sa vie et son esprit sont dans la vérité. Donc au fur et à mesure de mon observation j'apprends, je vois ce que n'est pas la méditation, et je vois qu'il y a un rapport étroit avec la vérité.  Je perçois très bien que la vérité doit éclairer toute la vie, doit toucher la totalité de l'esprit. Un éclairage particulier doit être en relation avec d'autres éléments, par exemple, qu'est-ce que la relaxation profonde ? Y a-t-il en cela une dimension du sacré, du religieux ? Pourquoi les religions sanctifient-elles ces actions, comme la méditation ou la prière ? Les religieux accordent une grande importance à tout ce cirque, parce qu'ils estiment que c'est par ce biais que l'homme est en contact avec le divin, c'est cela n'est-ce pas ? C'est par ces moyens que l'homme pense être en contact avec l'autre monde, avec le non-né, l'inconditionné !

    Donc, l'homme veut entrer en contact avec quelque chose de plus grand que lui, mais pourquoi cela ? Pourquoi cette volonté, ce désir universel ? Ne serait-ce pas parce que la vie lui parait insignifiante, dénuée de tout sens, injuste et cruelle ? "Si la vie se réduit à cette immense souffrance, quelque chose ne va pas, ce n'est pas possible ! Il doit exister autre chose, quelque chose que je ne perçois pas, mais il doit exister autre chose", et ainsi naît l'espérance dans le cœur des hommes. De cette espérance découlent alors toutes les affabulations créées par l'homme : Dieu, le diable, les anges et tous les saints, tous les sauveurs du monde Bouddha, Jésus et tant d'autres ; et selon les cultures le nirvana ou le paradis, mais surtout après la mort. Tout ce mouvement vient de la perception du non-sens de la vie, mais surtout de la peur devant ce non-sens. C'est bien la peur de la vie qui anime toutes ces traditions, mais jamais elles ne se penchent vers la cause première : Pourquoi l'esprit ne trouve-t-il pas de sens à la vie ? Pourquoi se fait-il que l'esprit trouve sa vie insignifiante, sans aucun sens, sans justice ?

 

    L'homme voit que la vie est une suite de grandes souffrances, il y a une grande insécurité dans ce monde. La maladie peut m'emporter, on peut me licencier du jour au lendemain, mon amour pour ma femme peut tarir, elle peut également me quitter pour un autre ! Il n'y a rien de certain, de durable, et puis il y a la grande violence des hommes envers les hommes, tellement de guerres, de tueries. Comment cela peut-il cesser à tout jamais ? Peut-on mettre fin à cette immense souffrance humaine, définitivement ? Voilà, la vérité me mène à cette question cruciale, et je perçois que tout le mouvement de l'humanité tourne autour de cette interrogation !

 

  Donc la méditation me guide vers le fait que l'être humain est en grande souffrance depuis toujours, et je vois qu'aucune religion ou autre construction mentale de l'homme n'a pu amener la fin de cette souffrance. Par cette perception, je constate l'inefficacité de toutes les constructions mentales élaborées par l'homme. Je vois parfaitement que tout cela n'a servi à rien, alors dans un éclair de vision pénétrante, l'esprit se déleste de toutes ces choses. Maintenant existe un silence total, aucune théorie ne subsiste dans l'esprit ; alors quand la souffrance se fait jour, on la regarde directement, sans un seul mot, on fait corps avec elle. On apprend à la découvrir, par-là on voit que la peur a cessé d'exister. Quand on voit directement quelque chose, la peur ne peut s'immiscer dans l'intervalle entre celui qui observe et l'objet observé, donc la peur a totalement disparue. Cela est très important, car la peur empêche de voir directement et simplement l'esprit tel qu'il est.

     Maintenant, la vérité me révèle une perception active qui est au-delà des mots et des théories de l'homme. Dans cette perception, j'observe sans peur cette souffrance, je suis avec elle, je ne m'en sépare jamais. Mais je l'examine, et je laisse un espace afin de ne pas être emporté de manière quasi mécanique par son mouvement, donc l'observation se crée. Dans cette dimension, qui est un espace au-delà de la pensée, dans cette liberté, alors vient la compréhension du danger. Voir un précipice, c'est s'en écarter de manière très rapide, sans intervention de la pensée. Comprendre que la souffrance n'est pas une fatalité, mais une création de l'homme, c'est voir et comprendre qu'il y a des causes qui l'ont engendrée, c'est également voir tous les effets terribles qui sont produits par son existence. S'il y a des causes, alors ce qui est peut finir par la suppression de ces mêmes causes, ce qui est créé peut finir ! Alors dans cette perception, l'esprit décide impérieusement de mettre fin à cette souffrance, et déjà un autre mouvement s'anime dans l'esprit, dans le cerveau. On découvre que la méditation est là, c'est le fait de rejeter toutes les valeurs des hommes, toutes ces constructions mentales, c'est cette action qui met en œuvre ce silence immobile. C'est par cette action de liberté, que vient la perception et la compréhension, alors la méditation découvre le réel. Dans cette découverte, par l'action de la vérité, la réalité se transforme alors totalement. C'est cette vérité qui met un terme à la souffrance, ce mouvement met chaque chose à sa place ; alors l'ordre advient, et dans cet ordre nouveau, la méditation aborde un autre rivage. Les conditionnements sont tombés, plus aucune croyance ne subsiste, aucun système pour toucher au divin ne demeure dans l'esprit, plus aucun mouvement, plus un mot, aucune pensée.

 

    Vivre dans ce silence, ne plus avoir quelque chose à comprendre, ne plus avoir de chaînes à démonter, ne plus avoir d'action à faire, être seul face à ce silence insondable. Être attentif à ce qui est, voir la fenêtre et le monde au dehors, les arbres et entendre le chant des oiseaux. Sentir le vent souffler, et soudain être hors du monde. La méditation est l'action d'ouvrir la porte, ensuite le sacré viendra peut-être nous rendre visite ; mais qu'il vienne ou pas, qu'importe, aucun attachement ne doit tenir la lumière de l'esprit. S'il vous plaît, je vous en prie cher amis, ne réduisons pas notre démarche à des choses très banales et mondaines. Ne pouvons-nous pas nous élever au-dessus des idéologies et pratiques humaines ? Gardons haute notre étude de l'esprit, soyons subtiles et attentionnés dans notre démarche ! Je vous remercie encore pour tous nos échanges et ces rencontres, puissions-nous avoir une démarche saine et vivifiante pour l'esprit. Veuillez m'excuser pour la longueur exceptionnelle de ce message, mais le sujet est des plus importants, n'est-ce pas ? Si nous ne prenons garde nous risquons de perdre quelque chose de très précieux.

 

 

 

  Paul Pujol, "Correspondances".

  Editions Relations et Connaissance de soi.

  "La méditation et les traditions religieuses", pages 74 à 87.   

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5 décembre 2021 7 05 /12 /décembre /2021 11:19
Voir ensemble.

                                                                             

19 Novembre 2005

 

 

    Pouvons-nous voir ensemble, est-ce un mythe ou bien est-ce une réalité ? Cette action est-elle possible entre nous, de manière vivante et authentique ? Tout d’abord qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que percevoir, comprendre, que veut dire apprendre ?
    Voir, avant tout c’est avoir la capacité de découvrir "ce qui est", nous sommes dans l’ordre de la perception du réel. N’est-ce pas ? "Ce qui est", c’est le monde tel qu’il est, donc il y a une réalité concrète à percevoir, à discerner. La première perception je pense, que nous avons tous
eue est : "Le monde des hommes est un monde de violences et de barbaries sans fin, ce monde est créé par l’esprit humain, et donc je crée moi aussi ce même monde. Si je veux transformer véritablement et totalement cet univers de souffrance, je dois avant tout transformer ce qui engendre ce monde, et donc je dois totalement transformer mon esprit. Je dois avoir un esprit neuf, non souillé par la laideur et la cruauté humaine". Nous percevons la douleur du monde, et notre responsabilité face à cette réalité. En fait nous percevons la relation qui nous lie avec la souffrance humaine, nous récoltons les fruits amers que nous semons nous-mêmes. De cette perception découle tout notre sujet d’étude, c'est-à-dire : Comment fonctionne notre esprit, et pourquoi celui-ci engendre-t-il de la souffrance dans les relations humaines ? Pourquoi un tel dysfonctionnement existe-t-il ? Quel est son mécanisme et peut-on y mettre fin ? Sommes-nous d’accord sur cela ? Il me semble que c’est le point de départ de toute notre recherche commune, que nous menons entre amis avec affection et soucis de l’autre. Voir ensemble, n’est-ce pas découvrir toute l’étendue de ce dysfonctionnement ?

 

    Pouvons-nous poursuivre, pas à pas, mais avec précision et justesse, sans peur aucune ? Je constate que mon esprit ne fonctionne pas de manière logique, personne ne veut vivre dans la souffrance et l’affliction ; et pourtant par son action l’esprit crée cette douleur, cet isolement et toute cette violence qui ronge le monde.

 

    Comment aborder ce problème? Comment appréhender ce dysfonctionnement de la pensée ? En premier lieu je constate, que mon esprit, ses valeurs, ses idéaux sont tous issus de la société, ce que je pense est "issu" de ce monde. Je suis totalement construit par cet environnement, j’en suis le représentant au même titre que chaque être humain. Si je suis vraiment intègre dans cette vision, je comprends que quand "je pense", c’est le monde qui est en mouvement. Je vois que quand "j’agis", c’est la souffrance qui est à l’œuvre et qui se poursuit !Donc que faire ? Je suis dans l’affliction, je me rends compte que je suis conditionné par ce monde et que sans changement profond, cette souffrance ne fera que croître. Mais faut-il vraiment faire quelque chose ? Posons-nous cette question, vraiment faut-il faire quoi que ce soit ? Si je veux agir, sur quelle base vais-je le faire ? Mon esprit est le produit du monde, si je l’utilise pour changer le monde, je ne ferai que prolonger ce même monde. Voyons-nous bien cela ? Chaque fois que j’agis c’est le monde qui est en mouvement, et donc la barbarie continue.

 

    Puis-je me permettre une réflexion ? Quand nous désirons mettre en place une action, sommes-nous encore dans l’observation ? S’il vous plaît, quand nous pensons à un plan d’action, sommes-nous dans le présent ? Sommes-nous simplement avec le fait, rien qu’avec le fait lui-même, ou bien sommes-nous en train de spéculer sur une solution future ? Quand nous observons, nous prenons conscience de ce qui est, nous sommes sensibles au réel avec intensité. Pouvons-nous être extrêmement attentif au mouvement de nos pensées, et de la même manière en prendre conscience, y être sensible ? Ne cherchons pas de réponses, mais voyons ce qui est ; là, nous voyons parfaitement qu’un des nombreux jeux de la pensée, est le "fait" de ne pas pouvoir faire face à un événement. Elle ne peut pas être dans l’observation, elle n’existe pas quand il y a attention totale à ce qui est. Si l’esprit utilise la pensée, il se détourne du réel et il part dans une direction purement imaginaire et fictive. Cette dimension est le plan des idéaux, de croyances humaines, c’est cela qui crée la séparation entre les hommes. Peut-on observer ses pensées, les comprendre, les saisir directement sans les nourrir ? Est-ce possible ? Cette question même, a-t-elle un sens ? Il n’y a qu’une seule réponse possible, regardons par nous-mêmes, faisons-le, voyons si cela existe vraiment !

 

    Ne serait-ce pas cela la seule action qui vaille ? C'est-à-dire une véritable non-action ! Donc je ne désire pas agir, je ne vais pas voir des maîtres, je n’apprends pas des mantras et je ne me prosterne pas devant qui que ce soit. Je ne bouge pas et je reste face à face avec ce qui est, c’est à dire mon esprit. Jour après jour, je l’observe, j’apprends à le connaître, je fais corps avec lui. C'est-à-dire que je ne fuis pas, je n’exalte ni ne brime mes pulsions. Jour après jour j’apprends, je deviens sensible à son mouvement, j’explore la totalité de son mécanisme. Si nous sommes en accord, je suis en état de découverte, je ne dis pas "tiens mon esprit est comme cela ou comme ceci". Je ne dis rien du tout car je suis en train d’apprendre et pas en train de faire une théorie, une de plus. Nous en sommes au point où je saisis, que je ne sais rien et que mon regard doit être neuf pour voir et apprendre, et cela se fait dans le quotidien le plus banal de la vie de tous les jours. Je ne cours pas en Orient, ou bien je ne pars pas dans un Himalaya exotique.

 

    Je pense sincèrement, que c’est vraiment le minimum pour pouvoir voir alors ensemble ; ne le pensez-vous pas également ? Si tout cela est authentique, comme nous l’avons vu, l’esprit a rejeté les valeurs du monde. Parmi celles-ci, bien évidemment l’autorité, les rapports de forces, la compétition entre les hommes, "savoir qui comprend le mieux". Tout cela n’a plus aucune existence, aucune valeur aux yeux de celui qui voit.

 

    Et voyons la beauté de cela, quand nous nous réunissons pour l’étude vivante de l’esprit, lorsque nous sommes ensemble. Quand l’un d’entre nous voit véritablement, seule importe la vision, et si nous sommes réellement dans l’attention, alors cette vision devient nôtre, elle nous est commune. - Alors mes amis, regardez à cet instant même, nous apprenons ensemble.

 

    - Voilà, ce qu’est "voir ensemble".

 

    Donc chers amis je propose de nous réunir, pour découvrir ensemble, pour apprendre et pour voir ce qu’est notre esprit. Mais là n’est peut-être pas l’essentiel, car bien saisir le fonctionnement de l’esprit humain, c’est le mettre à sa juste place, c’est l'utiliser de manière adéquate et efficace. Une fois cela fait, voyez-vous, il nous reste à explorer tout l’infini de la vie. Une fois le désordre dissout, apparaît l’ordre, mais au-delà de l’ordre même, qu’est-ce que la liberté, la création véritable ? Voyez-vous chers amis, en fait nous avons un monde nouveau qu’il nous faut créer !

     



   Paul Pujol, "Correspondances".

   Editions Relations et Connaissance de soi.

  "Voir ensemble", pages 50 à 54.

                                                                               

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1 mars 2021 1 01 /03 /mars /2021 10:29

                                                                                                                                                                                                                    Texte écrit le 1 Janvier 2005
 

  

 

 

  Apprendre consiste d'abord à voir par soi-même ; à découvrir, à observer et à tester ce que l'on vous dit. Donc si ce postulat  veut s'appliquer, dans un premier temps on arrête d'affirmer, de nier ou de confirmer toutes les idées de ce monde.

  Aucune conception ou théorie n'est acceptée d'office sans avoir été jugée et soupesée par votre regard, mais au début vous ne pouvez pas être certain que votre regard soit libre de toute théorie. Vous devez observer également votre façon de penser et de jauger les événements, vous devez observer le mouvement de votre esprit et voir si lui-même, n'est pas déjà le fruit d'une conception établie .

  Car si tel est le cas, votre regard est faussé, il est orienté par cette « croyance » interne.

 

  Donc, il faut être conscient des conditionnements extérieurs, tels que la culture, la famille, la pression sociale ou la mode ; et voir également qu'il y a un mouvement identique dans l'esprit, la pensée « est » conditionnante,  elle se nourrit elle-même.

 

  En fait, il faut saisir simplement que l'acte d'apprendre touche l'ensemble de la vie. L'activité extérieure et l'activité intérieure ne sont pas séparées, elles se créent ensemble. Le monde est à l'image de l'homme, la violence de la société « est » la violence de l'homme. Et l'homme se laisse influencer par la société, il dénie ainsi sa responsabilité  et se lave les mains.

  Donc l'observation se met en place, mais est-ce vrai ? Ou bien est-ce une autre théorie, s'il vous plaît ? Cette action ne se met en place réellement, que si on a véritablement compris qu'il faut tout découvrir par soi-même, cela n'est pas de la philosophie.

 

  Examinons mieux le fait, « je dois tout voir par moi-même » ; je suis arrivé à cette conclusion, car j'ai vu que l'état déplorable de notre monde « est » le résultat des traditions, orientales ou occidentales, les traditions racontent toutes la même misère du monde et de l'homme. La violence de ce monde est un produit, est le fruit de ces systèmes millénaires. La responsabilité de l'histoire leur incombe, et nous voyons leurs castes et leurs religions organisées. Tous parlent de textes sacrés, de livres anciens, ou bien de personnes  extraordinaires, et ils répètent tout ce qui est écrit dans leurs textes ou ce que d'autres ont dit.

  Ils ne font que commenter, écrire sur les paroles d'un autre, puis ils commentent les commentaires, de manière obsessionnelle, comme une maladie qui les ronge ; ils ne s'en sortent pas, et ils plongent le monde dans l'abîme.

 

  Donc nous voyons que le monde des traditions, qu'elles soient  religieuses, philosophiques, politiques ou autres ne nous mènent nulle part, elles ont créé ce monde de souffrance. Donc je ne leur accorde aucun crédit, l'ensemble de ces systèmes « est » le moteur de ce monde de misère et de violence.

  Il y a aussi le monde contemporain, qui pour une grande partie s'est construit en réaction, par rejet des traditions religieuses et puritaines. Mais ce rejet  est le résultat de la pression imposée par l'autorité religieuse, c'est une réaction conditionnée par cette pression, donc cette action n'est pas libre. Elle est très superficielle, en surface, si on regarde on voit que les bases sont identiques aux traditions.

  Abus de pouvoir, accumulation de richesse, mensonges et violences ; propagandes politiques sur le même mode que les propagandes religieuses. L'habit a changé de couleur, mais celui qui le porte reste le même.

 

  Comme il n'y a pas eu d'approfondissement concernant les bases du conditionnement, on a simplement troqué l'habit du moine ou de l'évêque, pour celui du PDG ou de l'homme politique.

 

  Mais ne nous leurrons pas, les traditions sont responsables certes, mais le tout premier c'est l'homme lui-même, c'est l'esprit de l'homme qui engendre le monde.

  C'est l'esprit qui a construit ce monde avec ses religions, ses mouvements politiques, Staline, Hitler, toute cette folie qui gangrène  notre monde.

 

  Nous sommes responsables de « ce qui est ».

 

  Et donc, par cette perception qui se met en place, je comprends que «  je dois tout voir par moi-même ».

  Il s'agit de remettre en cause le monde des idées, des croyances humaines, pas le monde réel. La montagne qui vous entoure, la pluie ou la neige qui tombent sont une paix pour l'esprit, ancrez-vous dans ce réel. Voir consiste déjà à distinguer le Réel de l'imaginaire, on peut faire confiance bien plus à notre corps qu'à notre esprit.

  Attention à ne pas faire de tout ceci une théorie savante et subtile ;  mais si cela se passe, quand cela à lieu, alors observez le directement, voyez  dans le vif  son apparition. Percevez comment se crée une pensée, mais sans en créer une autre par-dessus, un commentaire sur un commentaire. Voyez comme l'esprit humain agit toujours de manière identique, comme les traditionalistes, ne commentez pas votre commentaire. Cela peut devenir une habitude grisante, car vous cultivez ainsi une connaissance qui grandit dans le temps.

  Ce qui se nourrit du temps satisfait pleinement l'esprit et la pensée,  mais par cette action vous ne faites alors que prolonger le monde également, avec tout son cortège de malheurs.

  La connaissance et le temps sont l'œuvre de la pensée, ils nourrissent la seule théorie qui vaille pour l'esprit, voyez comme « la connaissance de soi » crée la croyance du moi, de l'entité séparée, de l'âme.

 

  Cela est le triomphe de l'esprit, de la pensée, mais voyez bien comme cette chimère ne résout absolument rien ; le monde se meurt toujours et vous êtes enfermé dans votre solitude totale.

 

  Nous voyons donc, la nécessité de voir par soi-même, et nous voyons également le danger de s'enfermer dans le piège subtil de la pensée. Pour avancer dans la vie de tous les jours, il n'y a aucunement besoin de faire un effort quelconque, il ne faut pas chercher à changer.

  Vouloir changer sans être libre, c'est juste modifier la prison, l'aménager différemment, et cette volonté de changement est créée par la prison ; pour l'instant le mouvement du mental « est » le mouvement de la prison. Il faut juste le regarder, l'observer, le disséquer, le comprendre chaque jour de manière plus sensible et plus vivante.

  Et le meilleur terrain pour cela, voyons évidemment que c'est le quotidien de la vie, car ce quotidien, ce n'est pas une chose de l'intellect, cela fait partie du réel.

 

  • - Distinguons bien le réel, avec sa richesse et son imprévu, et le mouvement du mental qui crée de la pensée. Notons bien, que la pensée mise à sa juste place fait partie intégrante de ce réel. C'est sa prépondérance qui pose problème, c'est le fait que l'esprit humain ne sait pas agir sans la pensée. Cette importance cruciale donnée à la pensée «est» la source de tous les maux de l'homme.

 

Donc, « je dois voir par moi-même », apprendre à bien distinguer « ce qui est » des créations purement mentales. Et le meilleur endroit et la meilleure action pour cela c'est la vie de tous les jours avec mes relations aux autres, c'est dans cette confrontation avec le réel que je peux voir ce qui est issu d'une théorie. Et voyez bien cette bénédiction véritable, plus vous comprenez le mécanisme des théories, plus vous vous en libérez, alors  cette liberté vous rend disponible pour le monde tel qu'il est.

  L'observation, l'attention sont les actions les plus importantes qui soient, plus vous apprenez à voir, plus vous êtes sensible ; et dans cette action regardez bien, vous « apprenez » sans cesse, vous découvrez sans arrêt.

 

  Par cette attention calme à « ce qui est », on découvre ce qu'est voir.

 

  - Ce mouvement alors ne peut avoir de fin, le savoir n'existe plus, de même que le temps;

  - Vous êtes hors de l'histoire, alors véritablement se crée un autre monde.

 

 

 
  Paul Pujol, "Correspondances".

  Editions Relations et Connaissance de soi.

  "Voir par soi-même", pages 24 à 28.  

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30 septembre 2020 3 30 /09 /septembre /2020 10:57

 

 

Trévoux le19 juillet 2010DSC01400  

 

 

    Tout le monde parle du silence, partout on vante cet état, c'est devenu un tel lieu commun, une telle platitude. Chacun dit connaître le silence, mais personne ne veut se taire, personne ne sait se taire ; qui donc a vu mourir le mouvement de ses pensées, réellement et très concrètement ? Celui qui connaît le silence n'en parle pas, ou très, très rarement.

    Qu'est-ce que le silence ? Quel est l'état de l'esprit qui découvre ce rivage ? Est-ce cet esprit qui a toujours était en mouvement, qui a toujours ruminé ses pensées ; cet esprit qui s'est bâti sur ces pensées, sur l'expérience, sur la mémoire ? Cette mémoire a construit le sentiment du "moi", au fil du temps, petit à petit, tout au long de la vie. Nous sommes cette mémoire, nous sommes le résultat du processus de la pensée, étant fabriqués par elle, nous en sommes les représentants.

 

    Pouvons-nous examiner ce qu'est au juste la mémoire ? Qu'est-ce que la mémoire ? C'est un mouvement basé sur des souvenirs, sur des enregistrements d'événements. Nous avons une action, un contact avec le monde, une expérience que nous enregistrons. Cette mémoire est stockée dans le cerveau, puis lors d'une nouvelle action, nous ressortons cette information pour agir. Il y a d'abord un contact avec le monde, puis il y a enregistrement, stockage, et ensuite il y a utilisation de la mémoire par le truchement de la pensée.

    La pensée se sert de la mémoire pour agir, ou plutôt la pensée est l'expression de la mémoire, des souvenirs. Le mouvement des pensées, c'est l'expression en apparence actualiser de la mémoire ; en apparence seulement, car la mémoire est un processus lié à lui-même. La dernière expression en fait est reliée à l'ensemble du processus, tout le mouvement se trouve inclus dans l'ultime pensée. C'est un mouvement d'accumulation, ou les bases servent toujours de support aux dernières strates, tous les éléments sont interdépendants et liés ensemble ; en fait c'est tout simplement un seul et même mouvement. Il se poursuit et se prolonge sans cesse, sans arrêt il rajoute des éléments, mais aussitôt il les teinte de son histoire, de ses tendances.

    

    Nous voyons que la mémoire est un processus, qui s'auto alimente constamment par l'expérience, mais aussi à un certain moment par le discours intérieur. Il peut y avoir des expériences extérieures, et des expériences intérieures, n'est-ce pas ? Donc nous avons vu que la pensée est basée sur la mémoire, et sur la recognition de cette mémoire. La pensée se meut toujours à l'intérieur d'un même espace, elle reste toujours dans le champ de l'expérience, du connu. Voyons bien que ce connu, c'est son histoire et sa vie ; par "sa vie" nous entendons le passé vécu, les souvenirs des nombreux hier. Les lointains jours heureux et les jours de tristesse, de peine, voilà ce qu'est le souvenir de nos vies.

    Qu'est-ce que cela veut dire ? Quel est le lien avec le silence, et avec la souffrance de la vie ici bas ? Excusez-moi pour cette interrogation qui vient maintenant ; quelque chose de nouveau, de totalement neuf peut-il être reconnu ? Un jour une chose totalement inédite, compétemment inconnue arrive, l'esprit peut-il non pas reconnaître cela, mais peut-il connaître cette chose ? Peut-il l'appréhender, la comprendre même ?

    L'ensemble du cerveau est le résultat, le produit de la mémoire, la pensée œuvre en son sein, elle en est l'expression. Avons-nous vu que ce mouvement qui se rattache à lui-même crée une sorte de continuité ? Il y a une suite ininterrompue de commentaires, de constats, de jugements, et sur cette suite sans fin, se crée un fort sentiment de durée ; un sentiment de permanence prend place dans l'homme. Cela s'inscrit dans son cœur et dans son esprit, la croyance du "moi" a pris racine, vous pouvez aussi dire le "je", ou bien "l'âme", qu'importe le mot ; c'est cette croyance, cette certitude qui existe.

    Nous voyons également que cette notion de durée, de continuité, ce sentiment crée réellement le temps psychologique, temps qui se superpose et se mêle au temps biologique. C'est sur cette échelle du temps intérieur, que l'esprit vit et projette son avenir glorieux, car après le passé, l'esprit mise beaucoup sur l'avenir, sur le futur. Cela donne un espoir, car ce que je n'ai pas pu faire maintenant, je le réaliserais demain ou après-demain.

    L'homme vogue entre la nostalgie du passé et l'espoir du futur. Et voyons que ce futur est basé lui aussi sur le passé, car quand on pense à l'avenir, on le fait toujours d'après ses expériences et ses conclusions, qui sont toutes issues essentiellement du passé. N'est-ce pas pour cette raison que l'homme ne change jamais ? Il modifie juste en surface sa vie, change de voiture ou de travail, déménage dans un autre pays. Mais l'esprit lui ne change pas ; rien de neuf ne vient fleurir le cœur de l'homme, et le monde continu tel qu'il est.

   

    Donc qu'est-ce que le silence, le véritable silence, pas le mot ou une vague description romantique, un sentiment évasif ? Réellement qu'est ce que le silence, qu'est-ce que cette immensité ? Procédons très simplement s'il vous plaît, le silence serait peut-être l'absence de bruit ? Pour l'esprit, quel est ce bruit, ce vacarme ? Est-ce le mouvement des pensées, ce bavardage constant dans l'esprit ? Le silence serait au minimum la suspension de la pensée, au moins pour un court instant ; soyons humble s'il vous plaît.

    Pendant un instant bref, les pensées peuvent-elles être absentes ? Est-ce réel ou bien est-ce une illusion que se joue l'esprit à lui-même ? Le silence est donc l'absence de pensées, cela veut dire que l'esprit n'utilise pas sa mémoire, ses nombreuses connaissances. Donc si ce silence est réel, on ne compare pas "ce qui est" à ce "qui a été" ; on ne peut tout simplement pas le faire, car la mémoire reste silencieuse. Le silence c'est d'abord le silence de l'esprit lui-même, celui de la pensée et de la mémoire. C'est l'ensemble de l'esprit qui baigne dans ce silence.

    Quand l'esprit touche le silence, il découvre alors une chose totalement inédite, totalement neuve, comme le premier matin du monde. Une chose hors du temps, hors de portée de la mémoire. C'est comme découvrir une nouvelle terre, un nouveau monde. Et, voyez-vous, là dans cette découverte, l'esprit se déleste de l'attachement au temps ; le sortilège du temps n'est plus. Alors l'esprit est totalement transformé, totalement autre, ce n'est plus le même esprit. Celui-ci a gouté la source vive, toute sa soif est étanchée à jamais, l'esprit devient alors profondément apaisé, tranquille. Celui qui a touché ce silence, a un esprit profondément en paix, et il ne cherche plus d'expériences, il ne cherche plus rien, car il a en lui une telle immensité, une telle énergie.

 

    Pour cet homme, chaque jour est un miracle et notre belle terre est un véritable Éden. Son esprit est très simple, bien au-delà des croyances humaines, des religions ou des cercles ésotériques, par delà toutes les idéologies humaines. 

    Au-delà du mouvement de la mémoire et du temps, siège un espace autre, qui ne peut être mesuré par l'homme ; dans cet espace existe quelque chose qui n'a jamais eu de commencement, qui a toujours était là, une chose hors du temps.

 

    Par-delà le silence, toucher cet espace "est" une réelle félicité.

 

 

  Paul Pujol, "Correspondances".

  Editions Relations et Connaissance de soi.

 "Toucher le silence", pages 102 à 106.  

 

 

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