7 février 2022 1 07 /02 /février /2022 11:21

  La Saône.

 

 

   Nous venions de passer plusieurs jours à parler, nous avions été nombreux réunis dans une même grande pièce. Il y avait eu beaucoup de paroles, et très peu de silence, cependant un certain contact s’était établi entre les participants. Certains l’avaient ressentis et d’autres pas du tout ; c’était un mélange d’affection réelle, et de préoccupation de soi-même pour quelques-uns.

       

    A présent nous attendions le train pour le retour, nous étions en avance, aussi nous sortions de la gare sur une petite place, celle-ci était à l’opposée de la place principale qui donnait sur la ville et sur son bruit.

    Cette petite place était sans voiture et le vacarme de la ville semblait bien lointain, une certaine douceur, une tranquillité émanait de cet endroit. Il faisait assez beau et une douce chaleur était présente, ayant le temps, nous nous attablâmes à une terrasse et commandions une glace pour nous rafraîchir. Sur l’esplanade il y avait un groupe de jeunes sportifs qui jouaient à un jeu assez rare ; chacun était monté sur des rollers et muni d’un long « bâton », ils cherchaient à manipuler un galet posé au sol. Le jeu consisté à marquer des points en envoyant le galet dans une sorte de but. Il était plaisant de voir ces personnes, leurs déplacements étaient relativement fluides et ils occupaient la plus grande partie de la petite place. Parfois un voyageur muni de ses bagages, passait et traversait par inadvertance en plein milieu du jeu et des intervenants ; le spectacle était assez cocasse. Certains joueurs répétaient à part des mouvements d’arrêts de courses, ils s'entraînaient ainsi devant tout le monde.

  Une fois la glace finie, nous nous levions et fîmes quelques pas en traînant notre valise derrière nous. Nous avions encore le temps, aussi nous trouvâmes un coin d’ombre, juste sous un petit arbre, et là nous regardions tout cet espace plein de vie, de couleur et de mouvements.

     

    Nous étions très très calmes, immobile et silencieux, les mains posées sur la valise devant nous. Soudain il arriva une immensité totale, un vol de pigeons passa juste au-dessus de nous, les sportifs étaient toujours en mouvement, mais l’esprit lui était totalement immobile. Et cela arriva, vous étiez ce vol d’oiseaux, cette lumière de fin d’après-midi, chaque geste pour pousser le galet était le vôtre. Il n’existait plus aucune séparation, aucune coupure, aucune différence entre le spectateur et le monde ; celui qui regardait n’était plus, alors l’immensité fût.

     

    Puis doucement, tranquillement l’homme bougea, pris sa valise et dans un silence transfiguré, il sortit de la place.

  Quelle immensité sans bornes, la plénitude de l’univers était en chaque chose, et chaque chose était l’univers entier.

 

 

   Paul Pujol

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Paul Pujol - dans textes paul pujol
31 janvier 2022 1 31 /01 /janvier /2022 10:11

c 

 

 


   Exister:


   Du latin existere, de ex et sistere " être placer ".
   Lié à " station", mot venant du latin statio " position permanente ", de satum, de stare " se tenir debout, immobile, ferme".


 

   C'est assez beau, n'est-ce pas? La vie est toute entière là où nous nous trouvons. Exister véritablement, ne serait-ce pas être totalement conscient de notre place? Sans partir par la pensée vers un ailleurs imaginaire?
   Cela ne veut pas dire, qu'il faut être statique et végéter comme un légume; mais c'est dans ce présent qu'existe la vie, et c'est là que peuvent se résoudre nos problèmes ou nos difficultés.
   C'est également là, que peut naître quelque chose de neuf et de réellement différent. La beauté n'est jamais ailleurs, il faut la faire jaillir là où nous sommes.

 

   C'est dans notre vie de tous les jours, quotidienne, sans partir dans de lointains pays exotiques, sans fuir dans des paradis artificiels, c'est dans cette vie que doivent finir la souffrance et la violence;
  - là où nous sommes et pas ailleurs, c'est ici que doivent finir les prisons intérieures et les peurs, et comme elles finissent ici même, alors devant nous, se pourrait-il que  fleurisse une autre vie?



Réf: Le petit Robert de la langue française, édition 2006. Dans la définition, les mots en italiques sont d'origine latines.

 

 

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Paul Pujol - dans Etymologie
10 janvier 2022 1 10 /01 /janvier /2022 10:31


 

 

      

 

     Nous nous trouvions dans les sous-bois, sans doute à la recherche de quelques bêtes égarées. Les châtaigniers étaient baignés d'une belle lumière éclatante, faite d'ombres et de taches plus claires. Le soleil était haut, et l'après-midi s'annonçait torride. Nous descendions une pente caillouteuse, lorsque, levant les yeux, nous le vîmes au-dessus de nous. Il était là, seul et immobile, nous surplombant, scrutant la vallée étroite qui plongeait devant nous. C'était un aigle brun et noir, le bec courbe et l'œil vif, il se dressait de toute sa hauteur, roi des montagnes dans l'espace bleu d'un ciel d'été. La beauté du rapace vous surprenait, vous rendait attentif et aiguisait tous vos sens. Sa beauté était la beauté du monde, de l'univers dans sa totalité. Cette beauté n'excluait aucune chose, les arbres, les buissons, les feuilles délicates, le ciel limpide sans un seul nuage, tout ceci resplendissait dans cette intensité. 

                                                                    

    Nous indiquâmes à l'autre la présence de l'aigle. L'oiseau, nous ayant entendus, déploya ses grandes ailes brunes comme la terre, et sans aucun bruit, sans frottement ni sifflement dans l'air, il disparut, contournant le rocher et devenant ainsi invisible à notre regard. On eut cru à un mirage, à une illusion des sens, tellement tout ceci fut fugace, rapide, et silencieux ; mais il n'en était rien. L'œil ne voyait plus à présent, mais l'esprit qui est essence de vie, est un, et le vol majestueux, ample et libre se poursuivait au-delà, sans besoin de spectateurs admiratifs. L'esprit n'a pas besoin de sens pour voir ce qui est, les sens font partie de toute vision, mais

"la vision profonde" est bien plus immense que toute sensation. Il n'est point nécessaire de toucher et de voir une chose pour avoir de l'amour, l'amour véritable s'étend à toute chose, présente ou absente, visible et non visible. 

 

    L'oiseau disparu, nous continuâmes quelques instants notre promenade, l'autre personne n'avait rien dit, mais on sentait son trouble intérieur. Elle était consciente d'avoir vu un animal noble et rare, cependant, elle était mécontente, mécontente de notre intervention qui avait apparemment précipité le départ de l'animal. Mais l'homme n'en dit rien, dans son silence se murmurait tout son regret, la joie qui aurait pu être si seulement son besoin de retenir n'était pas. L'homme veut toujours retenir, il veut emprisonner la beauté, pour mieux s'en délecter, pour mieux en profiter, il veut s'abîmer en elle ; - mais lorsque l'esprit œuvre en ce sens, la beauté n'existe plus. Elle se transforme alors en plaisirs, en désirs, c'est à dire la satisfaction de la mémoire, la consécration de notre plan de bonheur et de beauté. La beauté ou l'amour ne peuvent être codifiés, classés, rangés, pour les sortir au moment opportun, et les utiliser à volonté ; - un claquement de doigts, et nous voulons la beauté à nos pieds. Tout ce processus est essentiellement destructeur, il supprime dans l'homme toute sensibilité (et non pas de la sensiblerie), toute son intelligence, et sans cela, la beauté ne peut être perçue.

 

    A présent l'aigle avait dû retourner à son repaire, il préparait sans doute avec sa compagne, la venue d'un nouvel hiver. Dans ces montagnes du sud, souvent baignées de soleil, les saisons froides étaient moins rudes qu'ailleurs, mais en altitude, là où nichent les aigles, la neige était toujours présente.

    La bénédiction de cette rencontre continua longtemps, le malaise de l'autre persista également. En y songeant, il nous semblait bien qu'en fait, cette entrevue avait été une entrevue d'un autre monde, monde où l'homme ne peut être. Un univers inconnu, mais familier, intime. Le vol était un mouvement différent, sculpté à même dans l'air lumineux d'un jour autre, d'un monde unique, neuf, rajeuni ; - tout ceci était intemporel, immobile, et pourtant, il y avait une action, une activité, un état sans déplacement aucun, et cependant non statique. Ce mouvement était différent, la matière, le corps étaient autres, indissociables, unis, comprenant tout ;

    - substance étant plénitude, énergie totale, donc créatrice de vie. L'esprit était alors beauté, et l'intelligence percevait que tout cela, n'était en fait

que l'expression de l'amour.

    En ce jour, le vol de l'aigle était le mouvement même du monde.

 

        

 

  
 
    Paul Pujol, Senteur d'éternité.

     Editions Relations et Connaissance de soi

    "L'aigles des montagnes", pages 94 à 96. 

 

 

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7 janvier 2022 5 07 /01 /janvier /2022 16:32

 

 

 

En 1960, Aldous Huxley est interviewé pour 

Radio Canada, par Hubert Aquin.

Document exceptionnel, où l'on entend l'excellent Français de ce grand écrivain et romancier, qui était un ami intime

de J. Krishnamurti.

 

 

La présentation de Radio Canada:

 

Rencontre exceptionnelle avec Aldous Huxley qui parle en français de ses débuts comme écrivain, des auteurs littéraires qui l'ont influencé, de son expérience de la drogue et des effets de celle-ci sur l'esprit, de son intérêt pour la psychiatrie et de ses projets littéraires. Il commente son volume, "Le Meilleur des mondes ", et donne son opinion sur la technologie moderne, la télévision et la surpopulation.

 

Source : Premier Plan, 12 juin 1960

 

Journaliste : Hubert Aquin Animateur : Raymond Charette

 

Encore plus de nos archives : https://ici.radio-canada.ca/archives/...

 

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Paul Pujol - dans Aldous Huxley
8 décembre 2021 3 08 /12 /décembre /2021 15:13

  La-nature

 

 

 

Trévoux, le 2 février 2011

 

 

    Quand l'esprit s'exprime à travers une forme particulière, son expression est limitée par cette forme. C'est à dire que quand il n'y a que la mémoire et la pensée, l'esprit ne peut que passer par ces canaux, aussi restreint soient-ils.  

    Alors il n'y a pas création, mais suite et poursuite de "ce qui est", l'homme ne fait que répéter ce qui fait sa vie. Et jamais le parfum d'une fleur nouvelle ne vient embaumer son coeur, jamais une senteur inconnue ne vient bouleverser la sécurité illusoire, bien établie. Et l'homme finit ainsi sa vie, comme un lit de rivière sans eau, une vie aride se termine. Dans la pauvreté intérieure et dans un esprit déserté par la joie véritable.

 

    Mais quand la mémoire est absente, ou plutôt non utilisé; si le cerveau est silencieux, très tranquille. Quand le mouvement des pensées est suspendu, l'esprit peut alors s'exprimer sans références, sans limites. Alors l'esprit n'est pas déformé par la forme d'une pensée particulière, qu'elle soit une culture traditionnelle ou une tendance contemporaine. Il y a quelque chose d'immense qui entre en existence par ce silence profond, les pensées sont absentes, mais l'homme est en vie, totalement sensible à ce mouvement autre. Et vraiment dans cet état, le cerveau découvre autre chose que la mémoire, est-ce que vous vous rendez compte de ce que cela veut dire?

    Le cerveau touche une chose jamais vue, jamais connue, c'est comme un bain de jouvence, une source vive.

 

    Là, messieurs, l'esprit peut voir naître un mouvement totalement neuf, non souillé par le passé. Et l'homme découvre cette terre vierge, comme un enfant regarde le soleil du matin, c'est comme le premier matin du monde. Nous pouvons tout créer alors, tout recommencer, tout inventer. L'esprit, l'homme sait par cette perception ce que veut dire " créer", "engendrer".

    Alors l'homme se met en marche, en mouvement, et un monde totalement nouveau commence à voir le jour. C'est quand l'esprit est totalement libre, et uniquement dans cette liberté, qu'un monde autre entre en existence.

 

 

 

   Paul Pujol

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Paul Pujol - dans textes paul pujol