30 juin 2023 5 30 /06 /juin /2023 08:44
Krishnamurti en dialogue avec des psychiatres.

 

 

 

 Voici un texte qui présente des dialogues entre Krishnamurti et des psychiatres (et des thérapeutes). Cet écrit est composé de trois parties, nous présentons ci-dessous l'introduction et la

première partie.

 

Vous avez l'ensemble du texte en bas de page en format PDF.


Cette traduction libre, est le fruit du travail fait par la Revue Troisième millénaire. Nous les en remercions grandement.

 

 

_____________________________________

 

 

 


 Qualifier Krishnamurti de philosophe, d'enseignant ou de psychologue semble bien insuffisant. Pourtant, ses insights sur la conscience humaine et ses activités, sur la structure de la pensée, le conditionnement, le temps, le soi, la réaction psychologique, la pensée analytique, et aussi ce qui peut être au-delà de la pensée, ont suscité l'intérêt des personnes impliquées dans la philosophie, la religion, l'éducation et la psychologie.


Au milieu des années 1940, un groupe d'éminents psychiatres rencontra Krishnamurti à Washington, D.C. Il s'agissait des docteurs Benjamin Weininger, Harry Stack Sullivan, Erich Fromm, David Rioch et Margaret Rioch. S'appelant eux-mêmes la Société Psychoanalytique de Baltimore-Washington, ils allaient avoir un effet distinctif sur le cours de la psychiatrie américaine qui s'éloignait d'une perspective historique pour mettre l'accent sur les problèmes immédiats de la vie. Le Dr Weininger décrit cette évolution dans son entretien avec Evelyne Blau dans son livre Krishnamurti : 100 Years : « La clé de la compréhension de soi en psychanalyse est basée sur la révélation de l'histoire passée et Krishnamurti fait un point très important – un point légèrement différent. La clé, comme il le voit, est d'être conscient de vos réactions. Habituellement, vos images de la façon dont les choses devraient être sont constamment menacées, et lorsque votre image est menacée dans quelque domaine que ce soit, vous réagissez et parfois vous réagissez par la colère ou la douleur et ces réactions proviennent toujours de votre passé. Vous pouvez donc accéder à votre passé en comprenant vos réactions plutôt qu'en creusant dans le passé. »


L'entretien complet avec le Dr Weininger constitue la première partie de Krishnamurti et les psychiatres. En 1950, Krishnamurti rencontre à nouveau le Dr Weininger et un groupe de
psychiatres, cette fois à New York. La transcription d'un de leurs dialogues constitue la deuxième partie de ce texte. Plus tard encore, Krishnamurti a rencontré les docteurs Karen Homey, R.D. Lange et David Shainberg. En 1975, le Dr Shainberg a organisé une conférence à New York avec Krishnamurti et 25 psychothérapeutes. Son rapport sur cette rencontre constitue la troisième partie.

 


***


 Les mots d'introduction ci-dessus ont été adaptés de l'introduction du Bulletin 70 de 1996 de la Krishnamurti Foundation of America, où les parties 2 et 3 ont été publiées à l'origine. D'autres conférences avec Krishnamurti et des psychiatres ont eu lieu en 1976, 1977, 1982 et 1983. Le matériel inclus ici a été suffisant pour intéresser de nombreuses personnes. J'ai donné près de 200 exemplaires du Bulletin 70, principalement à des invités des centres d'étude de Krishnamurti, en particulier le Centre de Brockwood Park en Angleterre, ainsi qu'à d'autres personnes qui étudient, travaillent ou s'intéressent à la psychologie. Certains des destinataires étaient des psychiatres, peut-être inquiets de la façon dont leur profession avait été perçue par Krishnamurti. Je leur disais qu'il avait parfois qualifié les psychothérapeutes de psychoterroristes, ce qu'ils trouvaient toujours drôle, mais aussi que je me souvenais que Krishnamurti avait dit que tant que les êtres humains seraient dans cet état, les psychiatres existeraient. Mais c'est cette déclaration qui résume peut-être le mieux la vision de Krishnamurti sur le sujet : L'analyse est une paralysie.


Friedrich Grohe
Rougemont, août 2012

 


***

 


PARTIE 1


Weininger, Benjamin, M.D (1905-1988). extrait de Krishnamurti : 100 ans par Evelyne Blau.

 


 DR. BENJAMIN WEINNINGER : En 1946, j'ai présenté Krishnamurti à tous les psychanalystes de la société psychanalytique de Washington. Il est venu chez moi pendant une semaine et a parlé tous les jours. Ceux qui étaient là ont été très impressionnés par lui. Harry Stack Sullivan, Erich Fromm, David Rioch et Margaret Rioch. À cette époque, Karen Horney m'a demandé de venir à New York. J'ai passé deux heures avec elle à discuter de l'enseignement de Krishnamurti et elle a été non seulement impressionnée par lui, mais elle a vu la similitude entre son enseignement et toute son école, le groupe de psychanalystes de Karen Horney. Ils se sont intéressés et ont commencé à écrire sur l'enseignement de Krishnamurti. Plus tard, David Shainberg et tout son groupe de psychanalystes du cercle Karen Homey ont été absorbés par l'enseignement de Krishnamurti. K s'y rendait chaque année pour plusieurs conférences, auprès de ces analystes. Ils sont toujours impliqués d'une manière ou d'une autre. L'un d'entre eux a abandonné la psychanalyse et est devenu un artiste. C'était donc l'un des effets importants.


EVELYNE BLAU : Krishnamurti a-t-il pu exposer clairement sa vision de l'esprit humain aux psychanalystes ?


BW : La perception de Krishnamurti de l'esprit humain était plus claire que celles de tous ceux que j'ai rencontré. Il était évident pour moi qu'il avait une meilleure compréhension et lorsque je l'ai emmené à Washington D.C., il a parlé aux psychanalystes, ils m'ont demandé : « Comment saviez-vous que nous serions intéressés par Krishnamurti ? » Je leur ai répondu que c'était évident pour moi que ce serait le cas. Ils ont été très intéressés et cela a eu un effet sur leur pratique et leur vie aussi.


EB : Krishnamurti devait attendre ces rencontres avec impatience.


BW : Eh bien, j'ai vu Krishnamurti avoir peur et je pense qu'il est important de décrire les circonstances dans lesquelles cela s'est produit. Quand il parlait aux psychiatres et aux psychanalystes pour la première fois à Washington, D.C., il est venu me voir et il tremblait de peur. Il m'a dit : « J'ai peur ». J'ai essayé de le rassurer en lui disant que tout irait bien, puis quand il a commencé à parler, j'ai réalisé qu'il était capable de laisser tomber sa peur. Il s'est permis de vivre pleinement sa peur et de la laisser partir. La plupart d'entre nous ne font pas cela, nous restons avec nos peurs au lieu de les laisser partir. C'est ce qu'il veut dire quand il dit « Je n'ai pas de peur ». Je lui ai également demandé : « Auriez-vous peur si vous étiez en train de mourir ? » et il a répondu : « Je ne sais pas. Il faudrait que je voie, que je sois conscient pour voir si j'ai peur ».


EB : Y avait-il un domaine particulier qui présentait un intérêt particulier pour le groupe ?


BW : Les psychanalystes et les psychiatres ont récemment manifesté un intérêt considérable pour l'activité centrée sur soi. En fait, l'activité centrée sur soi est un sujet dont Krishnamurti a parlé toute sa vie et les psychiatres commencent peut-être à s'y intéresser. Il s'agit d'un point très important : la plupart d'entre nous, si nous avons été fortement blessés dans notre enfance, avons plus de mal à interrompre l'activité égocentrique. Une autre façon de le dire est l'implication excessive du soi. Il est plus facile de le faire dans la mesure où l'on a eu une enfance agréable ou bonne. Il est alors plus facile d'abandonner l'activité centrée sur soi ; sinon, c'est plus difficile. Certaines personnes ne s'en détachent jamais.


EB : Y a-t-il aujourd'hui, dans le domaine de la santé mentale, un sujet d’intérêt particulier ?


BW : Les psychanalystes d'aujourd'hui soulignent l'importance de l'amour, même Freud soulignait l'importance du travail et de l'amour. Mais aujourd'hui ils soulignent davantage encore l'importance de l'amour. La plupart des psychanalystes et des psychiatres ont une vision plus limitée de l'amour, et je pense qu'ils ne vont pas assez loin. Ils s'arrêtent avant d'atteindre le but. Si une personne n'entre pas dans un processus d'éveil spirituel et de compréhension de la personne dans son ensemble, alors c'est incomplet. La plupart des travaux des psychiatres/psychanalystes, à mon avis, sont incomplets et l'influence de Krishnamurti a pu m'aider à aller plus loin dans ma propre vie que je ne l'aurais fait sans lui.


EB : De quoi pensez-vous que Krishnamurti parlait réellement ?


BW : Lorsque j'ai eu mes entretiens privés avec Krishnamurti, il m'a dit ce sur quoi il pensait parler. Psychologie, philosophie et religion, c'est le sujet dont il parlait – les trois. Il ne s'agit pas d'une seule chose, elles sont toutes liées, interdépendantes. Vous ne pouvez pas les séparer. Les psychanalystes, les psychanalystes modernes, pensent que sans la philosophie, il n'y a pas de psychanalyse. C'est le début, l'orientation philosophique.


EB : Votre intérêt pour Krishnamurti a-t-il entraîné un changement dans votre pratique ?


BW : Au cours des cinq premières années de ma formation, j'ai pratiqué une psychanalyse freudienne normale, mais après avoir terminé la formation, je me suis retrouvé à dériver vers mon intérêt pour la manière d'enseigner de Krishnamurti. Ce changement s'explique en partie par le fait que j'avais une relation plus étroite avec la personne, le patient. Je n'étais pas aussi impersonnel et je n'hésitais pas à parler de ma philosophie et à la partager avec les patients. Je leur donnais souvent des brochures de Krishnamurti à lire et je pense que j'ai eu beaucoup d'impact par ce biais, et beaucoup d'entre eux ont été très intéressés et ont suivi l'enseignement. Ma pratique psychanalytique a été critiquée pour son implication dans l’enseignement de Krishnamurti, mais j'ai continué à enseigner. Beaucoup de choses qui sont me sont arrivées ainsi qu’à mes patients sont vraiment non verbales. C'est le sentiment entre nous qui passe. Il y a un élément en ce qui concerne la pratique et c'est un point que j'ai appris de Krishnamurti. La qualité de condamnation que j'ai est très forte et j'ai appris au cours des années à être conscient de ma condamnation. Cela se traduisait par de l'impatience, car ils avaient l'impression que lorsqu'ils venaient dans mon bureau et dans le monde en général, ils étaient condamnés tous les jours. Plus tard, quand ils sont venus à mon bureau, ils ont eu le sentiment que quelqu'un ici ne condamnait pas et ils ont quitté le cabinet en se sentant, pratiquement comme je le faisais en quittant Krishnamurti.


EB : Tout au long de sa vie, Krishnamurti a mis l'accent sur la liberté, la liberté psychologique. Quel est votre point de vue sur cet accent ?


BW : De nombreux psychologues ne croient pas que la liberté psychologique existe – ils pensent que vous êtes conditionné et que vous êtes victime de votre passé et que personne n'est libre psychologiquement. Les non-psychologues disent parfois que s'il n'y a qu'une seule autre personne dans le monde en plus de vous-même, vous n'êtes pas libre de faire ce que vous voulez ; l'autre personne ne vous laissera pas faire. Mais Krishnamurti ne parle pas de ce type de liberté, il parle de liberté psychologique et cela prête souvent à confusion. Nous faisons partie de notre passé total, mais psychologiquement nous pouvons être libres. Nous avons du mal à comprendre Krishnamurti car il parle souvent de liberté psychologique, de mort psychologique, de fin psychologique et il ne veut pas dire finir théoriquement. Être libre psychologiquement signifie être libre de tout conditionnement passé.


EB : La plupart des religions et des philosophies voient l'importance de la connaissance de soi. Quelle est la clé de la compréhension de soi ?


BW : La clé de la compréhension de soi en psychanalyse est basée sur la révélation de l'histoire passée et Krishnamurti fait un point très important – un point légèrement différent. La clé, comme il le voit, est d'être conscient de vos réactions. Habituellement, vos images de la façon dont les choses devraient être sont constamment menacées, et lorsque votre image est menacée dans quelque domaine que ce soit, vous réagissez et parfois vous réagissez par la colère ou la douleur et ces réactions proviennent toujours de votre passé. Vous pouvez donc accéder à votre passé en comprenant vos réactions plutôt qu'en creusant dans le passé.


EB : Pouvez-vous nous décrire Krishnamurti, à la fois l'homme et l'enseignement ?


BW : D'après mon expérience, il n'y a aucun moyen de décrire Krishnamurti avec des mots. Vous pouvez dire qu'il était un enseignant mondial ou vous pouvez dire qu'il était un grand psychologue, philosophe et un grand enseignant religieux et cela ne transmettrait rien à votre interlocuteur. Il n'y a aucun moyen, dans mon vocabulaire limité, de décrire Krishnamurti autrement qu'en lisant ses enseignements. On peut s'en faire une idée à travers les films et les cassettes vidéo, alors on peut se faire une idée de Krishnamurti sans le lire. Mais je ne pense pas pouvoir le transmettre à qui que ce soit, pas avec des mots. Sa présence était très puissante, ce qu'il m'a transmis était vraiment le genre de personne qu'il est, de sorte que lorsque je l'ai vu en 1945 pour une série de conférences, il était en retard au rendez-vous – cinq minutes – et il est sorti pour me dire qu'il était en retard, il m'a serré la main et est parti rapidement. L'impact de sa poignée de main, sa présence était si vivante, qu'après son départ, j'ai senti que j'étais prêt à rentrer chez moi, c'était un impact si fort. Sa présence est ce qui est communiqué et beaucoup de gens qui entendent les conférences ne se souviennent même pas de ce qu'il a dit. Certains d'entre eux s'en souviennent et sont capables d'en parler, mais beaucoup ne le peuvent pas, car ce qui est communiqué par Krishnamurti est non verbal, la partie sacrée, la partie silencieuse est communiquée et c'est principalement non-verbal, et c'est à cela que les gens réagissent, même s'ils ne comprennent rien de ce qu'il dit.

 


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Paul Pujol - dans Krishnamurti
23 juillet 2021 5 23 /07 /juillet /2021 10:39

 

Ecole-de-Brockwood, le-Grove-et-les-environs

 

 

   Quel est l'état de l'esprit qui dit : » Je ne sais pas si Dieu existe, si l'amour existe », c'est-à-dire lorsqu'il n'y a pas de réponse de la mémoire ?      
   Je vous en prie, ne vous trouvez pas immédiatement de réponse à la question, parce que, dans ce cas, votre réponse ne consistera qu'à connaître ce que, d'après vous, la réponse devrait être ou ne pas être.

 
   Si vous dites : « C'est un état de négation », vous êtes en train de comparer à quelque chose que vous connaissez déjà ; par conséquent, cet état dans lequel vous dites : « je ne sais pas » n'existe pas.....

 
   Donc l'esprit qui est capable de dire : « je ne sais pas » est l'unique état où il nous soit possible de découvrir quoi que ce soit. Mais celui qui dit : «  je sais », celui qui a infiniment bien étudié toutes les diversités de l'expérience humaine et dont l'esprit est encombré d'informations, de connaissances encyclopédiques, peut-il jamais faire l'expérience de cette chose qui ne peut pas être thésaurisée ?

 
   Il s'apercevra que l'entreprise est extrêmement ardue. Lorsque l'esprit s'écarte complètement de tout le savoir qu'il a accumulé, que pour lui il n'y a plus ni Bouddha, ni Christ, ni Maîtres, ni dispensateurs de savoir, ni religions, ni citations ; quand l'esprit est complètement seul, exempt de toute contamination, ce qui signifie que le mouvement du connu a cessé - alors seulement devient possible une formidable révolution, un changement fondamental.....

 
   L'homme religieux, c'est celui qui n'appartient à aucune religion, à aucune nation, à aucune race, qui est, à l'intérieur de lui-même, complètement seul, dans un état de non-savoir, et c'est pour lui qu'advient la bénédiction du sacré.

 

 

Krishnamurti, "Le Livre de la Méditation et de la Vie".

L'homme  religieux, pages 383 et 384.

 

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5 juillet 2020 7 05 /07 /juillet /2020 08:36

   
   


   

    Krishnamurti : Je pense que ce serait une bonne chose qu'ensemble, ce matin, nous nous demandions si, ici même, dans cette communauté, chacun de nous s'épanouit, grandit intérieurement. Ou si nous avançons, chacun dans une étroite ornière, de sorte que, abordant la fin de notre vie, nous nous rendrons compte que nous n'avons jamais saisi l'occasion de nous épanouir totalement et nous passe­rons les jours qui nous resteront à le regretter. Voulez-vous que nous parlions de cela ?

   Nous devrions tous, je pense, non seulement en tant qu'élèves à Brockwood, mais aussi en qualité d'éducateurs, nous demander si intérieurement, et peut-être aussi exté­rieurement - l'un et l'autre étant en fait liés - nous nous développons, non pas si nous gagnons en taille et en vi­gueur, mais si intérieurement, psychologiquement, nous fleurissons.

    Par fleurir, je veux-dire que rien ne nous entrave, ne nous bloque ni ne nous empêche de vraiment croître profon­dément, intérieurement. La plupart d'entre nous ne fleuris­sons, ne croissons, ne nous épanouissons pour ainsi dire jamais. Il se produit quelque chose au cours de notre vie qui nous rabougrit, nous insensibilise, de sorte qu'il n'y a pas de nourriture intérieure profonde.

    Peut-être est-ce parce que le monde tel qu'il est exige de nous que nous devenions des spécialistes - médecins, savants, archéologues, philosophes, etc. ; c'est peut-être là une des raisons pour lesquelles psychologiquement nous semblons ne pas croître... immensément.

 

    Voilà donc à mon avis une des questions dont nous devrions parler. Petite communauté d'enseignants et d'élè­ves, vivant ici ensemble, qu'est-ce qui nous empêche de fleurir. Est-ce la profondeur du conditionnement que nous font subir notre société, nos parents, notre religion, et même notre savoir ? Toutes ces forces du milieu dans lequel nous vivons agissent-elles en fait pour prévenir, bloquer, entraver l'épanouissement ? Comprenez-vous ma question ? Vous ne comprenez pas ?

    Regardez. Si je suis catholique, mon esprit, mon cer­veau, toute ma structure psychologique sont, de ce fait même, conditionnés, n'est-ce-pas ? Mes parents me disent que je suis catholique, je vais à l'église chaque dimanche ; il y a la messe, avec toute sa beauté, les effluves, les parfums, les fidèles chapeautés et habillés de neuf, qui s'observent, il y a les psalmodies du prêtre - tout cela conditionne l'esprit et exclut toute floraison. Comprenez-vous? Je me déplace dans une certaine ornière, dans un chemin déterminé, au sein d'un système donné, et cette voie-là, ce système, cette activité même à une action res­trictive - en conséquence, l'épanouissement ne survient jamais.

   Comprenez-vous maintenant ma question '? Est-ce cela ce qui se passe ici ?

   Sommes-nous si lourdement conditionnés par les in­nombrables événements et incidents, par les nombreuses pressions et affirmations - des parents, de la société et tout ce qui s'ensuit - que nous n'arrivons pas à suivre le cours qui est le nôtre aisément, avec bonheur, à croître ? Si nous le sommes, alors est-ce que Brockwood, où nous nous trouvons actuellement, nous aide à démanteler notre condi­tionnement ? Saisissez-vous maintenant ma question ? Et si Brockwood ne nous aide pas de cette façon, quelle est son utilité ? Pourquoi avoir un Brockwood, si en définitive vous allez vous retrouver comme les millions de gens qui n'ont jamais perçu, interrogé, vécu, en ce sens qu'ils ont toujours ignoré cet approfondissement immense, ce vaste mouve­ment, cette floraison ? Vous comprenez ma question ?

 

    Elève :A l'extérieur, vous savez, il y a trop de pres­sions.

 

   

    Krishnamurti : Vous dites qu'il y a trop de pres­sions. Approfondissez cela, lentement, explorez. Si vous ne subissiez aucune pression, feriez-vous quoi que ce soit ? Seriez-vous attentif maintenant ? J'exerce une pression sur vous, vous comprenez. C'est vrai que je ne vous poursuis pas physiquement, mais j'appelle votre attention sur quelque chose - et cela, pour vous, revient à subir une pression, parce que vous ne voulez pas regarder. Vous voulez vous amuser dans la vie. Vous vous voyez comme un être à part, vous voulez faire quelque chose d'extraordinaire, et par conséquent vous négligez tout le reste. Si aucune pression ne vous atteignait, seriez-vous actif ? Ou au contraire de­viendriez-vous de plus en plus paresseux, indifférent et fini­riez-vous par vous étioler ? Bien que vous ayez peut-être un mari ou une femme, des enfants, une maison, un emploi et tout ce qui s'ensuit - avez-vous jamais, intérieurement, connu l'épanouissement ?

    Donc, la pression qui s'exerce ici, est-elle la bonne ? Comprenez-vous ? Est-elle de par sa nature celle qui convient" Par cette pression, j'entends non pas la contrainte, ni l'incitation à imiter, ni le plaisir de réussir, de grimper les échelons, de devenir quelqu'un, mais la pression qui aide à grandir intérieurement. Suivez-vous ? Car sans épanouissement, on mène une vie banale, matérielle, et on meurt, à 60 ans, ou à 80 ans. Tel est le lot habituel de tout un chacun - vous en êtes-vous rendu compte ? Et lorsque vous observez tout cela, quelle est votre réaction, qu'en dites-vous ?

   

    Élève. On se demande si cela vaut la peine de vivre une vie comme celle-là.

   

    Krishnamurti: Regardez, mon ami. On voit, à mesure que l'on grandit, que très peu de gens sont heureux, qu'il y a trop de pressions, de concurrence - mille person­nes pour un seul poste - qu'il y a surpopulation. Tout au monde devient de plus en plus hasardeux. Vous compre­nez ? Et lorsque vous observez tout cela, comment réagis­sez-vous ?

   

    Élève. Je vois mes parents vieillir. Ils se démènent sans nécessité, mais par crainte de regarder tout cela.

   

    Krishnamurti: Ainsi, d'après vous, la plupart des gens sont en quête de sécurité physique, et, peut-être de sécurité psychologique. La sécurité, biologique ou psycho­logique, vous donnera-t-elle ce sentiment d'épanouisse­ment ? Vous comprenez ? J'emploie le mot épanouir dans le sens de prendre son entier développement, comme une fleur qui pousse sans entrave dans un champ. Maintenant, est-ce que vous cherchez la sécurité, extérieure aussi bien qu'inté­rieure ? Êtes-vous psychologiquement dépendant d'un tiers, tributaire d'une croyance, de l'identification à une nation, à un groupe ; ou vous lancez-vous dans l'étude d'une matière technique particulière, en y travaillant très dur, pour trou­ver, là aussi, un sentiment de sécurité intérieure ? Recher­chez-vous la sécurité psychologique dans un savoir quelcon­que ?

   Il faut se poser toutes ces questions pour découvrir, n'est-ce pas ? Il faut se demander si la sécurité psychologi­que existe ? Comprenez-vous ma question ? Voyez donc - je suis tributaire de mon mari ou de ma femme, pour beaucoup, beaucoup de raisons ; pour trouver du réconfort, des satisfactions sexuelles, un encouragement quand je me sens seul, déprimé, pour avoir quelqu'un qui me dise «  ne t'en fais pas, tu t'en sors très bien », qui me tape sur l'épaule et me répète quelle personne bien je suis, de sorte que petit à petit, j'en arrive à me sentir plus à l'aise, et, en définitive, je m'attache à cet être et me retrouve plus forte­ment sous son empire. De telles relations donnent une cer­taine assurance, mais, dans la réalité des faits, y trouve-t-on vraiment la moindre sécurité ?

   

    Élève. Ces relations sont très fragiles.

   

    Krishnamurti: Elles sont très fragiles, mais est-il des relations capables d'offrir une sécurité permanente ? Vous allez tomber amoureux, éprouver de l'amour l'un pour l'autre - pour ce que cela veut dire -, et pendant quel­ques années, vous serez attaché l'un à l'autre, vous dépen­drez l'un de l'autre sur tous les plans, biologiquement aussi bien que psychologiquement, et dans les relations qui s'éta­bliront entre vous, vous rechercherez tout le temps la per­pétuation de vos sentiments, n'est-ce-pas ? Non ? Tout au moins vous espérerez la trouver. Mais avant de vous enfon­cer tout à fait - de vous laisser aller à ce que vous appelez « vous aimer » - ne devez-vous pas chercher à savoir s'il y a la moindre sécurité dans les relations, quelles qu'elles soient, qui existent entre être humains ? - ce qui ne revient pas à se condamner à une solitude désolante, sans espoir.

    On se sent solitaire ; laissé à soi-même, on est mal à l'aise, on est incomplet par  soi-même ; on a peur de ne pas pouvoir vivre seul ; alors, progressivement, pris par la crainte, on commence à s'attacher à quelqu'un - ou à quelque chose. Et alors, que se passe-t-il ? S'étant attaché, on a tout aussi peur, parce qu'on risque de perdre l'objet de son attachement. N'est-ce pas vrai ? La personne en cause peut se détourner, peut tomber amoureuse de quelqu'un d'autre. Je pense donc qu'il est très important devoir avec une clarté extrême si oui ou non les relations ainsi nouées peuvent être source de sécurité.

 

       Dans les relations, qu'est-ce que l'amour ? Suivez­-vous ? L'amour, dans les relations, est-il un sentiment de haute satisfaction, de grande sécurité ? Si l'on a découvert qu'il n'y a point de sécurité dans les relations, force est de demander : y en a-t-il dans l'amour ? Suivez-vous ? Non, vous n'avez pas compris ? D'accord, regardons à nouveau.

      Je vous suis attaché ; j'ai de l'affection pour vous ; j'éprouve de l'amour pour vous, je veux me marier et avoir des enfants. Mais cet attachement est-il permanent ? Est-il durable ? Ou bien est-il très fragile, vulnérable, incertain ? Je veux le rendre sûr, mais dans la réalité, il est très aléatoire. D'accord ? Voilà clarifié un des points inhérents aux relations. Or nous disons que dans les relations, il y a amour. L'amour est-il donc source de sécurité ? Et qu'en­tendons-nous par amour ? Avançons-nous de concert ?

      Alors, retournons à notre toute première question : je veux découvrir s'il est possible de s'épanouir, de croître et de vivre totalement - vous savez, joyeux, le cœur plein d'allégresse. C'est cela que je veux découvrir dans la vie. Ou est-ce que la vie doit toujours être déprimante, solitaire, désespérée, violente, idiote ? Vous suivez ? C'est cela la première chose que l'on veut découvrir. Et est-ce que Brockwood vous aide à vous épanouir ?

      A Brockwood, des relations se nouent entre les uns et les autres, comme partout ailleurs. C'est inévitable. Vous vous voyez tous les jours. Et dans le cadre de ces rapports, il est possible que vous tombiez amoureux de quelqu'un. Oui ? Et vous vous attachez à cette personne. Lorsque vous lui êtes attaché, vous voulez que cet attachement se perpé­tue, n'est-ce-pas ? Vous voulez qu'il dure pour toujours - jusqu'à ce que, à la fin, vous vous effondrerez tous deux. Et il vous faut découvrir si, dans ces rapports, il y a quoi que ce soit de permanent. Est-ce que ces relations sont permanentes ? [Quelques signes de tête négatifs dans l'as­sistance] Vous dites qu'elles ne sont pas permanentes. Comment savez-vous qu'elles ne le sont pas ?

 

    Vous vous marierez peut-être, à l'église ou à la mairie, mais dans ces relations, y a-t-il une coulée continue de liberté réelle, dépourvue de conflits, de disputes, de senti­ment d'isolement, de dépendance - etc. ? Vous dites « non » ; mais pourquoi dites-vous non ? Je veux découvrir pourquoi vous le dites. Le direz-vous lorsque vous serez amoureux, et pendant la première année de votre mariage ? Direz-vous à ce moment-là qu'il n'y a en cela nulle sécu­rité ? Le direz-vous ? Ou faudra-t-il attendre quelques an­nées, cinq ans, ou une dizaine d'années, pour que vous vous exclamiez : « Oh mon Dieu ; il n'y a pas de sécurité du tout ! » ?

    Et aussi, vous devez découvrir si - dans ces relations d'insécurité, d'incertitude, tissées de peur, d'ennui, de mo­ments de joie, de répétitions - jour après jour, pendant dix, vingt, cinquante ans, on revoit le même visage - si dans ces relations, vous allez vous épanouir. Vous dévelop­perez-vous ? Serez-vous une entité extraordinairement belle, complète ? Et vous devez également découvrir si, lorsque vous « vous aimez » - ce qui est un mot bien souvent employé, galvaudé, déprécié - si, dans ce sentiment, vous allez fleurir.

   

    Élève. Il semble que quand nous nouons des relations avec quelqu'un, nous ne consacrons pas assez de temps à explorer, à découvrir si oui ou non ces relations sont source de sécurité ; il est bien possible, en effet, qu'elles se soient plutôt instaurées entre deux images.

 

    Krishnamurti: Voulez-vous dire que nous avons des images les uns des autres - en tant qu'homme et que femme - et que, inhérentes à ces images, des conclusions s'imposent ? Des conclusions que nous voulons voir se per­pétuer.

 

    Élève. Ces relations sont par trop superficielles et nous n'avons pas le temps de découvrir ce qui est le vrai, de démonter l'image.

 



J.Krishnamurti, L'Epanouissement intérrieur.

Discution avec les étudiants et le personnnel de Brockwood Parck School 

1982 Association Culturelle Krishnamurti France.

1977 Krishnamurti Foundation Trust Ltd, Londres.  

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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 12:40

 

Le Point

 

 

 

    Dans le numéro hors-série Le Point Références de mai-juin, vous trouverez un article concernant J.Krishnamurti, pages 80 et 81.    

 

  Ce numéro traître de la sagesse, tant au niveau traditionnel que contemporain.

   Avec une présentation : - Du monde antique Grecque et Romain, avec Socrate, Diogène, Aristippe, Epicure, Lucréce, Sénèque, Epictète, Marc Aurèle. - De l'orient avec l'Hindouisme, le Bouddhisme, le Confucianisme, le Taoïsme et le Soufisme. - Des penseurs des temps modernes avec Ignace de Loyola, Montaigne, Pascal, Spinoza,  Schopenhauer, Thoreau, Nietzsche, Bergson, Ghandi, Camus, Krishnamurti, Jankélévitch et Hadot.

 

 

  Voir la page de présentation de l'éditeur :

 

http://boutique.lepoint.fr/produit/479/les-grands-maitres-de-la-sagesse

 

 

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Paul Pujol - dans J. Krishnamurti Krishnamurti
1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 09:24
Krishnamurti et la dévotion.

   Je voudrais vous présenter un témoignage concernant l’attitude de Krishnamurti envers la dévotion ou l’adoration.

Le texte ci-dessous a été écrit par Lakshmi Prasad, journaliste indien, qui a étudié l’œuvre de K, et l’a rencontré à plusieurs reprises.

 

«  Je souhaitais depuis longtemps m'incliner devant Krishnaji* selon la manière indienne traditionnelle, mais je connaissais aussi sa répugnance, si ce n'est son aversion, pour cette forme de salut. Il avait un jour confié à l'un de ses proches que si quelqu'un se prosternait ainsi devant lui, il serait obligé de faire de même. Pour Krishnaji, en effet, chaque être humain participe du sacré.

 

    Un autre jour, alors que je me tenais devant lui dans une attitude pleine de déférence, il me « réprimanda » en remarquant:

    - Vous n'avez nul besoin de vous incliner devant moi. Vous pouvez le faire ailleurs, si vous y tenez, mais pas ici. Pas entre vieux amis.

Toutefois, je ne parvenais pas à me défaire de ce désir: me prosterner devant Krishnamurti au moins une fois dans ma vie. Aussi, à la fin de notre entretien, alors que nous étions tous les trois assis (l’auteur, son épouse et Krishnamurti) en tailleur sur le plancher, je sollicitai, non sans quelque hésitation, la permission de m'incliner respectueusement devant lui.

 « Puisque vous y tenez tant... », répondit-il en souriant. Et, à notre grande surprise, il s'inclina devant nous jusqu'au sol. Décontenancés, nous nous levâmes et le saluâmes les mains jointes.

 

Krishnaji se dirigea alors vers une petite table près du mur, s'assit et nous tourna le dos. D'ordinaire, il nous accompagnait jusqu'à la porte de la chambre. Mais cette fois-ci, ma sug­gestion, bien stupide au demeurant, semblait l'avoir déçu. « Manifester une trop grande dévotion est une mauvaise chose », avait-il affirmé un jour. Et sans doute étions-nous tombés dans ce travers...  »

......

 

* krishnaji : Le suffixe « ji », témoigne du respect et de l’affection que l’on porte à une personne.

 

Référence : Krishnamurti, Ultimes paroles, entretiens avec Lakshmi Prasad, page 128 et 129. Édition Albin Michel, espaces libres.

 

Dans le livre d’où est tiré cet extrait, il est à noter que l’auteur parle de Krishnamurti comme «  le maître  », appellation reprise de très nombreuses fois au cours de ce livre. Cette dénomination est quelque peu malvenue, et assez propre à l’Inde et à l’attitude envers les gurus et les sages traditionnels du pays.

Nous encourageons le lecteur éventuel, à faire preuve de discernement, sur tous les écrits concernant Krishnamurti ; et nous attirons simplement son attention sur le fait que ce livre a d’abord été publié aux États-Unis par «The Theosophical Publishing House, USA».

Il est utile de rappeler que Krishnamurti à pris très tôt ses distances avec la Société Théosophique, l’inverse de toute évidence ne c'est pas réalisé; il faut juste voir que leurs publications diverses, ont très souvent une certaine orientation….


    Étant dûment informé, à chacun naturellement, de se faire sa propre opinion.

 

  
 

Vous pouvez aussi consulter sur notre site:

   A propos de Krishnamurti

   Textes de J.Krishnamurti.

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Paul Pujol - dans J. Krishnamurti Krishnamurti