4 février 2019 1 04 /02 /février /2019 11:38

   

 

  Voici un des extraits du texte qui a servi de support à un séminaire d'étude Krishnamurti au centre culturelle de Beaumont (la Maison), qui a eu lieu du 28 février eu 3 mars 2019.

 

 

 

Voir et écouter, l'art, la beauté, l'austérité,

les images, les problèmes, l'espace.

 

 

Extrait 1.

 

 

  Nous nous sommes interrogés sur la nature de l'amour et nous sommes parvenus à un point qui, me semble-t-il, nécessite une plus grande pénétration, car il nous faut prendre davantage conscience de ses prolongements.

    Nous avons découvert que, pour la plupart des personnes, l'amour est le réconfort que procure une existence assurée, la garantie d'une satisfaction émotionnelle capable de durer toute une vie. Je me suis avancé alors et j'ai posé la question: « Est-ce cela, l'amour? » Je vous ai incités à regarder en vous-mêmes et peut-être cherchez-vous à ne pas voir la réponse à cette question car elle est de nature à vous troubler. Peut-être préféreriez-vous que nous nous entretenions de ce qu'est l'âme ou de la situation économique? Mais en supposant que je vous aie mis le dos au mur, vous avez pu vous rendre compte que ce que vous avez jusqu'ici appelé amour n'est que satisfaction mutuelle et exploitation réciproque.

    Lorsque je dis: « L'amour n'a pas d'hier et pas de demain », ou bien: « Où il n'y a pas de centre est l'amour », cela a une réalité pour moi, mais pas pour vous. Vous pouvez citer ces phrases et en faire des formules, mais cela n'aurait aucune validité. Il vous faut voir clair en vous-mêmes, mais pour cela, vous devez avoir la liberté de regarder sans juger: sans condamner ou absoudre, rejeter ou acquiescer.

 

   Voir est une des choses les plus difficiles au monde: voir ou entendre, ces deux perceptions sont semblables. Si vos yeux sont aveuglés par vos soucis, vous ne pouvez pas voir la beauté d'un coucher de soleil. Nous avons, pour la plupart, perdu le contact avec la nature. La civilisation nous concentre de plus en plus autour de grandes villes ; nous devenons de plus en plus des citadins, vivant dans des appartements encombrés, disposant de moins en moins de place, ne serait-ce que pour voir le ciel un matin ou un soir. Nous perdons ainsi beaucoup de beauté. Je ne sais pas si vous avez remarqué combien peu nombreuses sont les personnes qui regardent le soleil se lever ou se coucher, ou des clairs de lune, ou des reflets dans l'eau.

    N'ayant plus ces contacts, nous avons une tendance naturelle à développer nos capacités cérébrales. Nous lisons beaucoup, nous assistons à de nombreux concerts, nous allons dans des musées, nous regardons la télévision, nous avons toutes sortes de distractions. Nous citons sans fin les idées d'autrui, nous pensons beaucoup à l'art et en parlons souvent. A quoi correspond cet attachement à l'art? Est-ce une évasion? Un stimulant. Lorsqu'on est directement en contact avec la nature ; lorsqu'on observe le mouvement de l'oiseau sur son aile ; lorsqu'on voit la beauté de chaque mouvement du ciel ; lorsqu'on regarde le jeu des ombres sur les collines ou la beauté d'un visage, pensez-vous que l'on trouve le besoin d'aller voir des peintures dans un musée ? Peut-être est-ce parce que vous ne savez pas voir tout ce qui est autour de vous que vous avez recours à quelque drogue pour stimuler votre vision.

 

    Il y a l'histoire d'un maître religieux qui parlait tous les jours à ses disciples. Un matin où il se trouvait sur son estrade, s'apprêtant à parler, un petit oiseau se posa sur le rebord de la fenêtre et se mit à chanter de tout cœur. Lorsqu'il se tut et qu'il s'envola, le maître dit : « Le sermon de ce matin est terminé. »

    Une de nos plus grandes difficultés est, à mon sens, celle qui consiste à voir par nous-mêmes, d'une façon réellement claire, non seulement le monde extérieur, mais notre vie intérieure. Lorsque nous pensons voir un arbre, une fleur, ou une personne, les voyons-nous réellement, ou voyons-nous l'image que le mot a créée ? Lorsque vous regardez un arbre, un nuage, par une soirée lumineuse et délicieuse, ne les voyez-vous qu'avec vos yeux et votre intellect, ou les voyez-vous totalement, complètement?

    Avez-vous jamais essayé de regarder un élément quelconque du monde objectif – un arbre, par exemple sans les associations et les connaissances que vous avez acquises à son sujet, sans préjugés, sans jugements, sans aucun des mots qui font écran entre vous et l'arbre et qui vous empêchent de le voir tel qu'il est dans sa réalité? Essayez donc, et voyez ce qui se produit lorsqu'on observe de tout son être, avec la totalité de son énergie. Vous verrez que dans cette intensité il n'y a pas du tout d'observateur: il n'y a que de l'attention. Ce n'est que l'inattention qui sépare l'observateur de la chose observée. Dans l'attention totale il n'y a pas de place pour des concepts, des formules ou des souvenirs. Il est important de comprendre ce point, car nous allons entrer dans un domaine qui exigera une très soigneuse investigation.

 

    

    Seuls ceux qui savent regarder un arbre, les étoiles, les eaux scintillantes d'un torrent, dans un état de complet abandon, savent ce qu'est la beauté. Cet état de vision « réelle » est l'amour. En général c'est par des comparaisons, ou à travers ce que l'homme a assemblé que nous apprécions la beauté, ce qui veut dire que nous l'attribuons à quelque objet. Je vois ce que je considère être un bel édifice, et j'apprécie sa beauté à cause de mes connaissances en architecture qui me permettent de le comparer à d'autres édifices que j'ai vus. Mais je me demande maintenant: « Existe-t-il une beauté sans objet? » Lorsque l'observateur, qui est le penseur, le censeur, celui qui vit l'expérience vécue, est présent, la beauté est un attribut extérieur que l'observateur voit et juge. Mais lorsque cet observateur n'est pas là – ce qui demande des recherches et de longues méditations – alors apparaît une beauté sans objet.

    La beauté réside dans le total abandon de l'observateur et de l'observé, et cet abandon de soi n'est possible qu'en un état d'austérité absolue. Ce n'est pas l'austérité du prêtre avec sa dureté, ses sanctions, ses règles, son obédience ; ce n'est pas l'austérité des vêtements, des idées, du régime alimentaire, du comportement ; c'est celle de la simplicité totale, qui est une complète humilité. Il n'y a, alors, rien à accomplir, aucune échelle à grimper, mais un premier pas à faire, et le premier pas est celui de toujours.

    Supposez que vous vous promeniez seul, ou en compagnie, que vous ayez cessé de parler, et que vous soyez plongé dans la nature. Aucun aboiement ne se fait entendre, pas un bruit de voiture, pas un battement d'ailes. Vous êtes complètement silencieux et la nature autour de vous est totalement silencieuse aussi. Cet état de silence, à la fois de l'observateur et de l'observé, lorsque le témoin ne traduit pas en pensées ce qu'il observe, ce silence dégage une beauté d'une qualité particulière où ni la nature ni l'observateur ne sont là, mais un état d'esprit entièrement, complètement seul: seul, non isolé, seul en une immobilité qui est la beauté.

 

    Lorsque vous aimez, l'observateur est-il là? Il n'est là que lorsque l'amour est désir et plaisir. Mais lorsque le plaisir et le désir ne lui sont pas associés, l'amour est intense ; il est, telle la beauté, quelque chose de totalement neuf tous les jours. Ainsi que je l'ai dit, il n'a pas d'hier et pas de demain.

 

 

J. Krishnamurti.

Se libérer du connu.

Chapitre 11. Voir et écouter; L'art ; La beauté ; L'austérité ; Les images ; Les problèmes ; L'espace.

Extrait 1, pages 89 à 92.

 

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Paul Pujol - dans Textes de K