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    Quel est le rapport entre la beauté et un esprit religieux ?

  

    Vous allez peut-être vous demander pourquoi les religions et les rituels traditionnels ne se réfèrent jamais à la beauté. Mais la compréhension de la beauté fait partie de la méditation, pas la beauté d'une femme ou d'un homme, ou la beauté d'un visage qui a sa propre beauté, mais la beauté elle-même, la véritable essence de la beauté. La plupart des moines, des sannyâsins et des esprits que l'on dit portés à la religion, négligent totalement cela et s'endurcissent vis-à-vis de leur environnement. Un jour, où nous étions dans l'Himalaya avec des amis, il y avait un groupe de sannyâsins devant nous, descendant le chemin en chantant ; ils ne regardaient jamais les arbres, ils ne voyaient pas la beauté de la terre, la beauté du ciel bleu, les oiseaux, les fleurs, les eaux vives ; ils étaient totalement préoccupés par leur salut et leur divertissement personnels. Et cette coutume, cette tradition, dure depuis des milliers d'années. Un homme qui est supposé être religieux, doit fuir, éviter toute beauté, et sa vie devient terne, sans le sens de l'esthétique ; et pourtant la beauté est un des délices de la vérité.

  

    Quand vous donnez un jouet à un enfant qui a été bavard, dissipé, qui a joué, crié, quand vous donnez un jouet compliqué à cet enfant, il s'absorbe totalement dans ce jouet, il devient très calme, trouvant du plaisir dans son mécanisme. L'enfant devient complètement concentré, complètement absorbé par ce jouet. Toute l'agitation a été résorbée. Et nous aussi, nous avons des jouets, les jouets de l'idéal et des croyances qui nous absorbent. Si vous adorez une image — parmi toutes les images de la terre, aucune n'est sacrée, elles sont toutes faites par l'esprit de l'homme, par sa pensée — alors nous sommes absorbés, comme un enfant est absorbé par un jouet et nous devenons extraordinairement calme et doux. Quand nous voyons une montagne merveilleuse, couronnée de neige sur un ciel bleu et les vallées profondes qui sont dans l'ombre, leur grande splendeur et leur grande majesté nous absorbent complètement ; pendant un moment, nous sommes complètement silencieux car leur majesté nous envahit, nous nous oublions. La beauté est là où vous n'êtes pas. L'essence de la beauté, c'est l'absence de "moi ". L'essence de la méditation, c'est d'explorer le renoncement au moi.

    Il faut énormément d'énergie pour méditer et la friction est une perte d'énergie. Quand dans notre vie il y a beaucoup de friction, de conflit entre les gens et d'aversion pour le travail que l'on fait, il y a gaspillage d'énergie. Et pour examiner vraiment très profondément — pas superficiellement, ni verbalement — il faut aller très profondément en soi, dans son propre esprit et voir pourquoi nous vivons comme nous le faisons, toujours en train de perdre de l'énergie, car la méditation est la libération de l'énergie créative.

  

    La religion a joué un rôle immense dans l'histoire de l'homme. Depuis le début des temps, il a lutté pour trouver la vérité. Et maintenant, les religions reconnues du monde moderne ne sont plus du tout des religions, ce ne sont que de vaines répétitions de phrases, de charabia et d'absurdités, une sorte de distraction personnelle sans grande signification. Tous les rituels, tous les dieux — tout particulièrement dans ce pays où il y a, je ne sais combien de milliers de dieux — sont inventés par la pensée. Tous les rituels sont inventés par la pensée. Ce que la pensée crée n'est pas sacré ; mais nous attribuons à ces images fabriquées les qualités que nous aimerions qu'elles aient. Nous nous adorons constamment, même si c'est inconsciemment. Tous les rituels dans les temples, les pujas et tout ce que la pensée a fabriqué dans les églises chrétiennes, sont inventés par la pensée ; et nous adorons ce que la pensée a créé. Voyez l'ironie, l'illusion et la malhonnêteté de tout ceci.  

    Les religions du monde ont complètement perdu leur signification. Tous les intellectuels, dans le monde, les évitent, les fuient. Ainsi, quand on utilise les mots « l'esprit religieux », comme le fait souvent l'orateur, ils demandent : « Pourquoi utilisez-vous le mot religieux ? »

    Étymologiquement, le sens premier de ce mot n'est pas très clair. A l'origine, il signifiait un état de relation avec ce qui est noble, avec ce qui est grand ; et pour cela il fallait vivre une vie très laborieuse, scrupuleuse et honnête. Mais tout cela a disparu ; nous avons perdu notre intégrité. Si vous écartez ce que sont devenues toutes les traditions religieuses actuelles, avec leurs images et leurs symboles, alors qu'est-ce que la religion ? Pour découvrir ce qu'est un esprit religieux, on doit d'abord découvrir ce qu'est la vérité ; aucun chemin ne mène à la vérité. Il n'y a pas de chemin. Quand on a de la compassion, avec son intelligence, on rencontre ce qui est éternellement vrai. Mais il n'y a pas de direction. Il n'y a pas de capitaine pour nous diriger sur cet océan de la vie. En tant qu'être humain, nous devons le découvrir. On ne peut appartenir à aucun culte, à aucun groupe si l'on veut découvrir la vérité. L'esprit religieux n'appartient à aucune organisation, à aucun groupe, à aucune secte ; il a la qualité d'un esprit global.

 

    Un esprit religieux est un esprit qui est totalement libre de tout attachement, de toute conclusion et de tout concept, il ne s'intéresse qu'à ce qui a vraiment lieu et pas à ce qui devrait être. Il s'occupe chaque jour de sa vie, de ce qui arrive réellement à la fois extérieurement et intérieurement ; il comprend tout ce problème complexe de la vie. L'esprit religieux est libre de tout préjugé, de toute tradition, de tout sens de direction. Pour rencontrer la vérité, vous devez avoir un esprit clair, pas un esprit confus.

    Donc, après avoir mis de l'ordre dans notre vie, examinons ce qu'est la méditation — pas comment méditer, ce qui est une question absurde. Quand on demande comment, on veut un système, une méthode, un plan soigneusement conçu. Regardez ce qui arrive quand on suit une méthode, un système. Pourquoi veut-on une méthode, un système ? On s'imagine que c'est plus facile de suivre quelqu'un qui vous dit : « Je vais vous dire comment méditer. » Quand quelqu'un dit comment méditer, il ne sait pas ce qu'est la méditation. Celui qui dit « Je sais ! » ne sait pas. On doit d'abord se rendre compte à quel point un système de méditation est destructif, que ce soit une des nombreuses formes de méditation qui semblent avoir été inventées, indiquant comment s'asseoir, comment respirer, comment faire une chose ou l'autre. Car si l'on observe, on s'apercevra que lorsqu'on pratique quelque chose très souvent, à maintes reprises, notre esprit devient mécanique. Il est déjà mécanique et on y rajoute encore plus de routine ; de cette façon notre esprit s'atrophie progressivement. C'est comme un pianiste qui pratiquerait toujours la même fausse note, aucune musique n'en sortirait. Quand on voit la vérité qu'aucun système, aucune méthode, aucune pratique ne nous conduira jamais à la vérité, on les abandonne tous, comme étant fallacieux et inutiles.

 

    Il faut aussi approfondir tout le problème du contrôle. La plupart d'entre nous essaient de contrôler leurs réponses, leurs réactions ; nous tentons de supprimer ou de modeler nos désirs. Dans tout cela, il y a toujours le contrôleur et le contrôlé. On ne se demande jamais : qui est le contrôleur et qui est celui que l'on essaie de contrôler dans cette soi-disant méditation ? Qui est ce contrôleur qui essaie de contrôler ses pensées, sa façon de penser et le reste ? Qui est le contrôleur ? Le contrôleur est certainement cette entité qui a décidé de pratiquer cette méthode ou ce système. Mais qui est cette entité ? Elle provient du passé, c'est la pensée — elle est basée sur la récompense et la punition. Donc le contrôleur appartient au passé et il essaye de contrôler ses pensées ; mais le contrôleur est le contrôlé. Regardez, tout cela est vraiment très simple.                                                                             

    Quand vous êtes envieux, vous vous séparez de votre envie. Vous dites : « Je dois contrôler l'envie, je dois la supprimer — ou la rationaliser. » Mais vous n'êtes pas séparé de l'envie, vous êtes l'envie. L'envie n'est pas séparée de vous. Et cependant nous rusons en essayant de contrôler l'envie comme si elle était séparée de nous. Donc, pouvez-vous vivre une vie sans aucun contrôle ? Ce qui ne signifie pas que l'on doive se laisser aller à faire tout ce que l'on veut. Je vous en prie, posez-vous cette question : pouvez-vous vivre une vie — qui actuellement est tellement désastreuse, mécanique et répétitive — sans aucune sorte de contrôle ? Cela ne peut se faire que lorsque vous percevez avec une clarté totale ; que lorsque vous faites attention à toute pensée qui surgit — sans se mettre à penser. Quand vous êtes complètement attentif, vous découvrez que vous pouvez vivre sans le conflit qui découle du contrôle. Savez-vous ce que cela veut dire — avoir un esprit qui a compris ce qu'est le contrôle et qui vit sans l'ombre d'un conflit ? — cela signifie la liberté totale. Et on doit avoir cette liberté complète pour découvrir ce qui est éternellement vrai.

 

 

J.Krishnamurti.

La flamme de l'attention.

Edition du rocher, collection point, sagesses.

Extrait du chapitre 2, New Delhi.

Pages 29 à 33.

 

 

 

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