Veuillez trouver ci-dessous te texte intégral de la dissolution de l'ordre qui avait été crée pour J.Krishnamurti au niveau mondial. Cette dissolution, fût le premier geste de rupture avec la Société Théosophique, ainsi qu'avec toute approche traditionnelle.
Ensuite vint l'expression révolutionnaire de son "enseignement".
Cette expression eu lieu en 1929, et il faut voir que l'usage des mots chez Krishnamurti évolua sans arrêt ; le fond restant inchangé tout au long de sa vie, par contre "la parole" était vivante et en 1986 (année de son décès), il s'exprimait naturellement un peu différemment.
L’Ordre de l’Étoile en Orient fut fondé en 1911 par Madame Besant, Présidente de la Société Théosophique, pour proclamer la venue de l’Instructeur du Monde. Krishnamurti fut nommé Chef de l’Ordre. Le 2 Août 1929, jour d’ouverture du Camp de l’Étoile annuel d’Ommen (Hollande) Krishnamurti dissolvait l’Ordre devant 3. 000 membres. On trouvera ci-dessous Le texte intégral du discours qu’il fit à cette occasion. Ce qu’il dit alors est toujours valable aujourd’hui.
«Ce matin nous allons parler de la dissolution de l’Ordre de l’Étoile. Beaucoup en seront ravis, d’autres en seront plutôt tristes. Il n’est question ni de s’attrister ni de se réjouir, car c’est inévitable, comme je vais vous l’expliquer...
Vous connaissez peut-être l’histoire du Diable et d’un de ses amis qui marchaient dans une rue, quand ils aperçurent devant eux un homme qui se baissait pour ramasser quelque chose par terre et, qui, après l’avoir regardé, le mit dans sa poche. L’ami dit au Diable : «Qu’est-ce qu’il a ramassé ? ». «Un morceau de la vérité » répondit le Diable. « Sale affaire pour vous, alors », dit son ami. « Oh, pas du tout ! », répliqua le Diable, «je vais le laisser l’organiser ».
Je soutiens que la Vérité est un pays sans chemin : vous ne pouvez avancer vers elle par quelque voie que ce soit, par aucune religion, aucune secte. Tel est mon point de vue et j’y souscris entièrement, inconditionnellement. La Vérité étant infinie, non conditionnée, inapprochable par aucune voie, on ne peut l’organiser ; on ne peut pas non plus constituer une organisation pour amener ou forcer les gens à suivre un chemin particulier. Si vous avez compris cela, vous verrez combien il est impossible d’organiser la foi. La foi est quelque chose de strictement personnel, vous ne pouvez ni ne devez l’organiser. Si vous le faites, elle meurt, se cristallise, devient un credo, une secte, une religion, que l’on impose aux autres.
C’est ce que chacun essaye de faire de par le monde. La Vérité est réduite, elle devient un jouet pour les faibles, pour ceux qui ne sont mécontents que momentanément. On ne saurait abaisser la Vérité, c’est l’individu qui doit s’efforcer de se hisser jusqu’à elle. Vous ne pouvez porter le sommet de la montagne dans la vallée. Si vous voulez atteindre le sommet de la montagne, vous devez franchir la vallée, grimper les pentes, sans craindre les dangereux précipices. Vous devez faire l’ascension de la Vérité, elle ne peut pas être « abaissée » ou organisée pour vous. Les organisations entretiennent l’intérêt que l’on porte aux idées, mais elles ne font que le susciter de l’extérieur. L’intérêt, qui ne provient pas de l’amour de la Vérité en soi, mais qui est suscité par une organisation, n’a aucune valeur. L’organisation devient une structure dans laquelle ses membres peuvent se glisser confortablement. Ils ne luttent plus pour la Vérité ou pour le sommet de la montagne, mais plutôt pour se creuser une niche confortable pour s’y loger ou pour laisser l’organisation les y mettre et ils considèrent que l’organisation va par ce moyen les conduire à la Vérité.
Telle est, d’après moi, la première raison pour laquelle l’Ordre de l’Étoile doit être dissout. Malgré cela, vous allez probablement former d’autres ordres, vous continuerez à appartenir à d’autres organisations, dans votre recherche de la Vérité. Je ne veux faire partie d’aucune sorte d’organisation de nature spirituelle, comprenez bien cela. Je peux utiliser une organisation qui me conduira à Londres, par exemple ; c’est une organisation d’une nature totalement différente, purement mécanique, comme la poste ou le télégraphe. Je peux utiliser une voiture ou un paquebot pour voyager, ce ne sont que des aspects pratiques qui n’ont absolument rien à voir avec la spiritualité. Une fois de plus, je soutiens qu’aucune organisation ne peut conduire un homme à la spiritualité.
Si l’on crée une organisation dans ce but, elle devient une béquille, une faiblesse, un esclavage, elle rend l’individu infirme et l’empêche de se développer, d’établir son unicité qui, elle, réside dans la découverte personnelle de cette Vérité absolue et non conditionnée, Voilà une autre raison pour laquelle j’ai décidé, en tant que Chef de l’Ordre, de le dissoudre. Personne ne m’a convaincu de prendre cette décision.
Que je ne veuille pas de disciples n’est pas une initiative glorieuse, et je l’entends bien ainsi Dès l’instant où vous suivez quelqu’un, vous cessez de suivre la Vérité. Il m’importe peu que vous fassiez attention ou non à ce que je dis. Je veux accomplir une oeuvre en ce monde et je le ferai avec une inflexible détermination. Une seule chose m’importe et elle est essentielle : rendre l’homme libre. Je désire le libérer de toutes cages, de toutes peurs, non fonder des religions, de nouvelles sectes, ou établir de nouvelles théories ou de nouvelles philosophies. Alors, vous allez bien sûr me demander pourquoi je parcours le monde en parlant continuellement. Je vais vous dire pourquoi. Ce n’est pas pour que l’on me suive, ni pour trouver un groupe privilégié de disciples privilégiés. (Comme l’homme aime à être différent de ses semblables, quels que soient le ridicule, l’absurdité, et la futilité de ces distinctions ! Je ne veux pas encourager cette absurdité.) Je n’ai ni disciples, ni apôtres, que ce soit sur terre ou dans le royaume de la spiritualité.
Ce n’est pas non plus le charme de l’argent ni le désir de vivre une vie confortable qui m’attirent. Si je voulais mener une vie confortable, je ne viendrais pas dans un camp, je ne vivrais pas dans une contrée humide ! Je parle franchement car je veux régler cela une fois pour toutes. Je ne veux pas que ces discussions puériles se renouvellent année après année.
Un journaliste qui m’interviewait, considérait que c’était un acte superbe de dissoudre une organisation comprenant des milliers et des milliers de membres. Pour lui, c’est un acte superbe, car il m’a dit : « Que ferez-vous après ? Comment vivrez-vous ? Personne ne vous suivra, les gens ne vous écouteront plus. » S’il y a, ne serait-ce que cinq personnes pour écouter, pour vivre, pour avoir le visage tourné vers l’éternité, ce sera suffisant. A quoi cela servirait, des milliers de gens qui ne comprennent pas, qui sont complètement englués dans leurs préjugés, qui ne veulent pas ce qui est nouveau mais préfèrent interpréter le nouveau à la convenance de leur moi stérile et stagnant ? Si je parle avec force, ne vous méprenez pas, ce n’est pas par manque de compassion. Si vous allez voir un chirurgien pour une opération, ne fait-il pas preuve de bienveillance en vous opérant, même s’il vous fait mal ? Alors, de la même manière, si je parle franchement, ce n’est pas par manque de véritable affection - tout au contraire.
Comme je l’ai dit, je n’ai qu’un but : libérer l’homme, l’exhorter à aller vers la liberté, l’aider à dépasser ses limites parce qu’il n’y a que cela qui lui apportera le bonheur et la réalisation non conditionnée de son moi.
Parce que je suis libre, non conditionné, entier, non une Vérité partielle et relative mais la Vérité entière qui est éternelle, je désire que ceux qui cherchent à me comprendre, soient libres, qu’ils ne fassent pas de moi une cage qui deviendra une religion, une secte. Ils devront plutôt se libérer de toutes leurs peurs - peur de la religion, peur du salut, peur de la spiritualité, peur de l’amour, peur de la mort, peur de la vie elle-même. Comme l’artiste peint un tableau parce qu’il se délecte à le peindre, que c’est l’expression de lui-même, sa gloire, son bien-être, ainsi je fais cela, et non pas parce que je désire quoi que ce soit de quiconque.
Vous êtes habitués à l’autorité ou à l’atmosphère autoritaire que vous pensez devoir vous conduire à la spiritualité. Vous pensez et vous espérez que quelqu’un d’autre peut, grâce à ses pouvoirs extraordinaires - à un miracle - vous transporter dans ce royaume de liberté éternelle qui est le Bonheur. Toute votre conception de la vie est basée sur cette autorité.
Voici trois ans maintenant que vous m’écoutez, sans qu’aucun changement ne soit intervenu en vous, sauf chez quelques-uns. Maintenant, analysez ce que je dis, ayez l’esprit critique afin de pouvoir comprendre pleinement, fondamentalement. Quand vous recherchez une autorité pour vous conduire à la spiritualité, automatiquement vous êtes amenés à fonder une organisation autour de cette autorité. Mais cette organisation même, destinée à aider l’autorité à vous conduire à la spiritualité, vous enfermera dans une cage.
Si je vous parle franchement, souvenez-vous que je ne le fais pas par dureté, par cruauté ou par enthousiasme pour mon but, mais parce que je veux que vous compreniez ce que je dis. C’est la raison de votre présence ici et ce serait une perte de temps si je n’expliquais pas clairement et catégoriquement mon point de vue.
Voilà dix-huit ans que vous vous préparez à cet événement : la venue de l’Instructeur du Monde. Depuis dix-huit ans, vous avez organisé, vous avez cherché quelqu’un qui apporterait une joie nouvelle à vos cœurs et à vos esprits, qui transformerait toute votre vie, qui vous donnerait une compréhension nouvelle. Quelqu’un qui vous ferait accéder à un autre plan de vie, qui vous encouragerait à nouveau, qui vous rendrait libres, et voyez à présent ce qui arrive ! Réfléchissez, raisonnez avec vous-mêmes et découvrez comment cette croyance vous a rendus différents, non pas différents au sens superficiel par le port d’un badge, ce qui est futile et absurde. De quelle manière une telle croyance a-t-elle balayé toutes les choses non essentielles de la vie ? Voilà la seule façon de juger : de quelle manière êtes-vous plus libres, plus grands, plus dangereux pour toute la société basée sur le faux et le non essentiel ? De quelle façon les membres de cette organisation de l’Étoile sont-ils devenus différents ?...
Comme je le disais, vous vous préparez depuis dix-huit ans pour moi. Je ne m’occupe pas de savoir si oui ou non vous croyez que je suis l’Instructeur du Monde. Cela a bien peu d’importance. Puisque vous faites partie de l’organisation de l’Ordre de l’Étoile, vous avez donné votre soutien, votre énergie, vous avez reconnu que Krishnamurti est l’Instructeur du Monde - partiellement ou totalement ; totalement pour ceux qui cherchent vraiment et seulement partiellement pour ceux qui se satisfont de leurs demi-vérités.
Vous vous préparez depuis dix-huit ans et voyez les nombreuses difficultés qui se trouvent sur le chemin de votre compréhension, les nombreuses complications et toutes les choses dérisoires. Vos préjugés, vos peurs, vos autorités, vos églises nouvelles et anciennes - tout cela, je le maintien, est une entrave à la compréhension. Je ne peux pas être plus clair. Je ne cherche pas votre accord, je ne veux pas que vous me suiviez, je veux que vous compreniez ce que je dis.
Cette compréhension est nécessaire puisque votre foi ne vous a pas transformés, mais elle n’a fait que vous compliquer parce que vous ne voulez pas affronter les choses telles qu’elles sont. Vous voulez avoir vos dieux – de nouveaux dieux au lieu des anciens, de nouvelles religions au lieu des anciennes, de nouveaux systèmes au lieu des anciens – tous pareillement sans valeur, tous des barrières, des limitations, des béquilles. A la place des anciennes distinctions spirituelles, vous en avez de nouvelles et à la place des anciens cultes, vous en avez de nouveaux. Vous dépendez tous de quelqu’un pour votre spiritualité, pour votre bonheur, pour votre illumination et bien que vous vous prépariez depuis dix-huit ans, quand je dis que toutes ces choses sont inutiles, quand je dis que vous devez les écarter et chercher en vous-mêmes l’illumination, la gloire, la purification et l’incorruptibilité de soi, aucun de vous ne veut le faire. Il y en a peut-être quelques-uns, mais très, très peu.
Alors à quoi sert une organisation ?
Pourquoi des gens faux et hypocrites me suivent-ils, moi, l’incarnation de la Vérité. Souvenez-vous que je ne dis rien de dur ou de méchant, mais nous avons atteint un point où il faut affronter les choses telles qu’elles sont. J’ai dit l’an dernier que je refusais la compromission. Très peu m’ont écouté alors. Cette année, j’ai tenu à le rendre tout à fait clair. Je ne sais combien de milliers de membres de l’Ordre de par le monde se préparent à ma venue depuis dix-huit ans et cependant maintenant, vous n’êtes pas prêts à écouter inconditionnellement, complètement, ce que je dis.
Alors à quoi sert une organisation ?
Comme je le disais précédemment, mon but est de rendre l’homme inconditionnellement libre, parce que je maintiens que la seule spiritualité, c’est l’incorruptibilité du moi qui est éternel et l’harmonie entre la raison et l’amour. C’est la Vérité absolue et non conditionnée qui est la Vie elle-même. Je veux, par conséquent, rendre l’homme libre, plein d’allégresse comme un oiseau dans le ciel bleu, soulagé, indépendant, extasié dans cette liberté. Et, pour ceux qui se préparent depuis dix-huit ans, je dis maintenant que vous devez vous libérer de toutes ces choses, de vos complications et de votre confusion. Pour ceci, vous n’avez pas besoin d’une organisation basée sur les croyances spirituelles. A quoi sert une organisation pour cinq ou dix personnes dans le monde, qui comprennent, qui luttent, qui ont écarté tout ce qui est dérisoire. Et pour les faibles, il n’y a aucune organisation qui puisse les aider à trouver la Vérité, parce que la Vérité est en chacun, elle n’est ni lointaine ni proche, elle est éternellement là.
Les organisations ne peuvent pas vous libérer. Nul être ne peut vous rendre libres de l’extérieur ; nul culte organisé, non plus que votre immolation à une cause, ne peuvent vous rendre libres. Le fait de vous constituer en organisation, de vous précipiter dans le travail, ne peut vous rendre libres. Une machine à écrire vous sert à taper des lettres mais vous n’allez pas la placer sur un autel pour l’adorer. C’est pourtant ce que vous faites quand vous vous souciez uniquement d’organisations. « Combien y a-t-il de membres ? » C’est la première question que me posent les journalistes. « Combien de disciples avez-vous ? Par leur nombre, nous pourrons juger si ce que vous dites est vrai ou faux. »J’ignore combien il y en a et cela m’importe peu. S’il n’y avait qu’un seul homme de libéré, ce serait suffisant.
De plus, vous vous imaginez que seules certaines personnes détiennent la clé du Royaume du Bonheur. Nul ne la détient. Personne n’a l’autorité pour la détenir. Cette clé est votre propre moi ; dans le développement, la purification et l’incorruptibilité de ce moi seul, se trouve le Royaume de l’Éternité.
Ainsi, vous verrez l’absurdité de toute la structure que vous avez construite, en recherchant l’aide extérieure, en dépendant des autres pour votre réconfort, votre bonheur, pour vous sentir fort. Vous ne pouvez le trouver qu’en vous-mêmes.
Alors à quoi sert une organisation ?
Vous avez été habitués à apprendre par d’autres de combien vous avez progressé, quel est votre statut spirituel. Que c’est enfantin ! Qui sinon vous, peut vous dire si intérieurement vous êtes beau ou laid ? Qui sinon vous, peut vous dire si vous êtes incorruptible ? Vous n’êtes pas sérieux quand vous abordez ces questions.
Alors à quoi sert une organisation ?
Mais ceux qui désirent vraiment comprendre, qui sont à la recherche de ce qui est éternel, qui est sans commencement ni fin, marcheront ensemble avec une plus grande ardeur et seront un danger pour tout ce qui n’est pas essentiel, pour les chimères et les ombres. Et ils se concentreront, ils deviendront flamme parce qu’ils ont la compréhension. Tel est le corps que nous devons créer, et tel est mon but. Cette véritable compréhension permettra une véritable amitié. Car de cette véritable amitié – que vous semblez ignorer – naîtra une véritable coopération entre tous. Cela n’est pas dû à l’autorité, au salut, mais à votre compréhension véritable. Grâce à cela, vous pouvez vivre dans l’éternel. Cela dépasse tous les plaisirs, tous les sacrifices.
Telles sont donc quelques-unes des raisons pour lesquelles, après avoir mûrement réfléchi pendant deux ans, j’en suis venu à cette décision. Elle n’est pas dictée par une impulsion soudaine. Personne ne m’a persuadé de la prendre – nul ne peut me persuader de telles choses. Après avoir réfléchi, lentement, soigneusement, patiemment, pendant deux ans, j’ai pris la décision de dissoudre l’Ordre puisqu’il se trouve que j’en suis le Chef. Vous pouvez former d’autres organisations et attendre quelqu’un d’autre. Cela ne me concerne pas, pas plus que la création de nouvelles cages, de nouvelles décorations pour ces cages. Mon seul souci, c’est la libération totale et inconditionnelle de l’homme. »