16 mai 2024 4 16 /05 /mai /2024 14:09

  Les berges de Saône

                
                                                                                         

     Suite à notre réunion où nous avons abordé le sujet de la méditation, je me permets d'apporter cette vision, car le sujet est important, et il me semble que nous avons peut-être différents malentendus entre nous.

 

    Tous d'abord, qu'est-ce que la méditation ? L'origine étymologique est connue de tous, il s'agit "de soupeser, de peser les choses, de les évaluer en profondeur", en quelque sorte mener un examen attentif concernant un sujet. Donc il y a une démarche de compréhension, de perception de ce que l'on observe, n'est-ce pas ? Concernant une prison mentale par exemple, pourrait-on dire que quand la perception est vivante, elle met fin à la prison ? Et comme nous l'avons vu ensemble, alors cette fin, cette mort, donne naissance à quelque chose d'autre. La démarche de "la connaissance de soi", met fin aux conflits, aux tensions internes, de cette fin naît véritablement l'ordre dans la maison du mental. Alors quelle est maintenant le mouvement de la méditation ? La prison n'est plus, et maintenant commence toute l'exploration de la liberté, et en cela l'esprit aborde la dimension profondément religieuse de la vie. L'ordre est là, l'énergie qui était dépensée depuis toujours pour mettre de l'ordre, cette énergie se trouve donc totalement disponible. C'est comme le mouvement non pas dans l'infini, mais le mouvement de l'infini lui-même. L'infini, cela veut dire ne pas avoir de fin, et s'il n'y a pas de fin, excusez-moi, cela veut dire qu'il n'y a pas de début ! N'est-ce pas ? Donc la liberté commence-t-elle vraiment un jour ?

 

     Cela me paraît très important, je me permets d'insister un peu. La liberté débute-elle véritablement ? Ce qui est certain, c'est que la prison, elle, finit, si on voit directement un danger, on s'écarte de cela. Quand on voit le non-sens total des croyances, véritablement, aussi clairement qu'une montagne, alors l'attachement aux croyances cesse, et tous ces systèmes n'ont plus aucune prise sur l'esprit. Cela est fini, pour toujours ! Pouvons-nous observer quelque chose, s'il vous plaît ? Ce qui est né, cela peut également finir n'est-ce pas ? Les croyances existent parce qu'il y a des causes qui les ont engendrées, elles ont une origine, et ce qui a une cause peut subir un effet. Voyons-nous bien ce que nous disons ici ? Une cause est une condition d'origine, la croyance est liée aux traditions religieuses, à la culture, à l'environnement social. Les croyances sont le résultat de la pression exercée par l'extérieur, elles sont conditionnées par l'histoire de l'humanité ! 
    Si nous disons, "non-merci je ne veux pas de ces traditions, très peu pour moi. Aucun de ces dieux ne m'intéresse, je vous en prie !" Si l'esprit s'arrache vraiment aux religions, existe-t-il encore quelques croyances ? Mais alors est-ce la liberté qui commence ? Ou bien est-ce simplement la fin d'une illusion, et par cela l'esprit accède au réel. C'est la découverte de cela, mais la fin de l'illusion n'a pas créé le réel. Par la fin du temps, se révèle l'intemporel. La liberté ne commence pas, car elle est sans cause aucune.

 

    Il me semble que le mouvement de la méditation, c'est toute l'exploration de ce vaste continent ; et en cela aucune halte ne peut exister, car il n'y a personne pour faire cette halte. Seul existe ce mouvement sans fin, cette énergie sans limite. Excusez-moi encore d'ajouter ceci : L'énergie pure est sans ordre aucun, la liberté n'a aucun plan, ni tracés prédéfinis. Cette vérité n'a donc absolument aucun chemin d'accès. Mais alors, qu'est-ce donc que tous ces exercices ? Qu'est-ce donc que la méditation des traditions religieuses, principalement orientales ? Il existe différentes méthodes, selon les écoles et les maîtres en vigueur. Il n'y a pas une méditation, mais il y a de très nombreuses formes d'exercices, tous très différents, du plus simple au plus complexe. Du plus beau au plus torturé, il existe même certaines mortifications.

 

    Pourrions-nous déjà ne pas appliquer le terme de méditation à toutes ces choses ? Car nous essayons d'avoir une approche nouvelle de tout cela, donc peut-on ne pas employer le mot méditation pour tous ces exercices ? Pourquoi faire cela ? Pour simplifier et démystifier toute cette fantasmagorie ! Maintenant peut-on apprendre cela, sans adhérer de nouveau à une croyance, et sans se soumettre à une autorité ? Il existe le hatha yoga, le yoga physique, où normalement très peu de croyances existent. Mais si on vous propose par exemple une "méditation" sur une divinité, cela sous-tend que vous devez accepter la possibilité de son existence, et vous voilà repartis dans un système de croyance. De même, si on sous-entend qu'il vous faut être initié par un maître authentique, car celui-ci vous donnera l'énergie pour que la "méditation" soit opérationnelle, vous devenez dépendant de ce maître. Et par cette personne, par votre soumission, vous vous rattachez à toute la lignée de gurus dont il se réfère. Par cette action vous êtes lié, et vous devez le respect, de là fleurissent les prosternations et les génuflexions devant des images d'idoles au début, puis bien vite devant des personnes.

 

    Au-delà de ces formes d'asservissement, existe-t-il des exercices utiles, où des jeux mentaux qui permettent de voir ce qu'est notre mental, ce qu'est notre pensée ? Il est évident que si l'on n'a jamais observé son esprit, on ne peut le comprendre ! Peut-on parler du mouvement des pensées, sans jamais l'avoir observé une seule fois ? Là, nous restons dans quelque chose de sain, de non-corrompu. Donc il est important d'observer son esprit, de le regarder attentivement, comme dans l'origine étymologique du mot méditation. Simplement observer le mouvement des pensées, voir comment elles arrivent dans l'esprit, comment elles se pressent les unes les autres. Prendre conscience de ce mouvement incessant, l'observer et voir que c'est nous, l'esprit qui alimentons ce flux. Là dans cette observation, on remarque que si on regarde de manière neutre, en prenant de l'espace, ce mouvement se fait moins impérieux, et si on commente, les pensées affluent à nouveau très rapidement.

    Donc on prend conscience de ce mécanisme, alors on cesse d'alimenter ce mécanisme, et l'on voit le mouvement des pensées se tarir de lui-même sans effort. Dans cette action existe un espace différent, où les pensées sont moins dominatrices, et dans cet état apparaît alors une quiétude nouvelle, une tranquillité profonde. On prend conscience de ce calme profond qui existe au-delà des pensées, on l'explore tranquillement. Il n'y a rien de mystique dans cela, c'est comme l'inspiration et l'expiration de l'air dans les poumons, il y a pensées et il existe également absence de pensées. Bientôt, on trouve plus rapidement ce calme profond, il devient intime et familier, mais si l'on est intègre, alors on n'accorde plus aucune importance à ce calme même. On ne s'attache pas à cela, et l'on demeure dans le silence. Là, dans ce grand silence, une pensée peut advenir, cela n'a pas d'importance, car elle meurt aussitôt, on oublie même le calme et le silence. Alors on découvre quelque chose de très très différent, une qualité de présence autre, quelque chose de profondément immense...

 

    Excusez-moi pour cette description, mais avec de l'entraînement beaucoup de personnes connaissent ces états, et alors ? De cela surgit-il une compréhension, une vision pénétrante de l'esprit ? Cela amène-t-il l'esprit à se déconditionner ? Il me semble que tout ceci est plutôt une décontraction profonde, ou plutôt une relaxation très profonde, cela donne du bien-être. Mais pourquoi vouloir lui attribuer une valeur "spirituelle" ? C'est comme le Yoga, cela est bon pour le corps, pour sa santé, mais de là à dire "faites du yoga, et vous progresserez dans la connaissance de soi, vous vous rapprocherez du divin". Mais il y a du danger dans tout cela, car ce grand calme profond, l'esprit peut en faire son jouet. Cet état peut devenir objet de désir, de plaisir, car en fait, c'est plutôt bon, n'est-ce pas ? Je pense qu'à une époque récente, ou peut-être encore de nos jours certaines personnes expérimentent des choses proches en prenant des drogues, cela est plus expéditif, mais assez similaire. Si l'esprit n'était pas puéril, il ne transformerait pas tout ceci en recherche de simples sensations. En slogans vite trouvés, et vite devenus propagandes.

    La relaxation profonde existe, mais le terme de "méditation" n'est pas approprié, n'est-ce pas ? Ce qui est certain : C'est qu'il ne peut exister de méthodes ou d'exercices, qui puissent amener à l'éveil. La liberté ne peut avoir de causes, cela ne peut-être le résultat d'une action mécanique, même subtile. Tout cela me parait très important, afin de ne pas retomber dans le même monde de traditions et religions créées par l'homme. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas de respect pour les personnes qui sont dans ces pratiques. Ce n'est pas par arrogance ou mépris que nous disons cela, c'est l'injonction de la vérité qui nous demande d'observer cela, sans jugement aucun, mais avec lucidité et équité. Excusez-moi messieurs et mesdames, mais nous connaissons tous quelqu'un qui est allé au-delà de tout cela, au-delà de ces systèmes, de ces traditions et de toutes ces autorités.

 

    Pourrions-nous éviter de retomber dans le monde des limitations, cela n'est sûrement pas lutter contre quelqu'un ou quelque chose, mais dire simplement ce qui est, l'apparence de la vérité n'est pas la vérité. Une partie de la vérité n'est rien, la totalité de l'existence se doit d'être éclairée par cette vérité. Voyons bien, le yoga ou les relaxations profondes peuvent peut-être avoir leurs utilités, mais cela reste au niveau de la connaissance mécanique de la pensée. On peut voir les pensées arriver et aussi les voir mourir, on peut constater qu'il existe un silence au-delà de ces pensées. Un calme profond peut naître dans l'esprit quand celui-ci n'est pas submergé par le mouvement du mental. Mais l'esprit peut se fourvoyer dans cette action, il peut en faire maintenant une recherche de plaisir, une volonté de rester dans cet état de quiétude. L'esprit puéril peut très bien en faire son jouet, "quel plaisir quand je suis dans cet état, quelle paix" et l'on compare cela à notre vie quotidienne qui est exsangue de toute cette paix. Donc, cette relaxation profonde devient le stimulant de notre vie, sans cet exercice, ma vie n'a plus de sens. N'est-ce pas ? Bien des gens, ces fameux pratiquants de toute sorte, dès que l'on ose mettre en question leur pratique, on voit dans leur regard la peur et le désarroi, et parfois même arrive rapidement un sentiment de grande violence. L'esprit pratique depuis très longtemps toutes ces techniques, l'Asie est devenue pour certains la spécialiste de toutes ces choses. Mais puis-je poser une question et demander une observation honnête et sincère de tous, dans tous ces exercices, y a-t-il apparition de la vision pénétrante, y a-t-il déconditionnement de celui qui observe ?

    C'est comme dans les phénomènes de visions extatiques, si on regarde vraiment ce qui se passe, avec sincérité, y a-t-il compréhension profonde ? Ne serait-ce pas des sensations, certes hors-normes, mais ce sont des sensations. Des expériences comme d'autres expériences, ni plus, ni moins. Dans ces états provoqués - car ils sont provoqués, n'est-ce pas ? Sincèrement, il y a très peu de vision pénétrante, de libération et de déconditionnement. Cela serait trop simple, il est tellement facile de vivre ces états, avec de l'entraînement de très nombreuses personnes peuvent arriver à vivre cela. Autre chose, il me semble que tant qu'il y a un sentiment de plaisir, ou de quiétude, véritablement c'est que l'esprit n'est pas en silence. Dans une décontraction profonde, très profonde, il n'y a plus de notion de bien être ou de plaisir, il y a le silence et absolument rien d'autre. Il faut être vigilant, et ne pas verbaliser ou chercher à définir ce contact. Le silence véritable, existe quand l'esprit est totalement immobile ! Il me semble sinon, que nous repartons avec toutes ces vieilles choses que l'homme a inventé, pourquoi ne pas repartir dans une grotte en Himalaya ? Il ne s'agit de mépriser, ou de dénigrer qui que ce soit, un homme qui donne sa vie pour étudier la religion est tout à fait respectable ; mais respecter ne veut pas dire se soumettre, ou accepter. Nous pouvons dialoguer avec amitié et affection avec tout homme, quel qu'il soit, moine asiatique, prêtre occidental ou autre. Car c'est avec l'homme que nous parlons, pas avec sa fonction, ou son statut social. En fait ce n'est pas un moine ou un prêtre, c'est simplement un homme comme vous et moi, un être humain en proie à la souffrance de ce monde, comme tout un chacun.

 

    Dire que les religions qui enseignent "la méditation" sont différentes des autres religions, c'est évidemment une erreur, et penser que l'Orient connaît bien mieux tout cela, c'est d'un tel lieu commun...Elles ont tracé les chemins qui mènent à la libération, avec certitude et affirmation, "si vous faites cela, vous progresserez et vous verrez bientôt le très-haut en face à face !" Qu'y a-t-il de nouveau sous le soleil des hommes ? Où est ce sentiment de neuf, de quelque chose qui est bien au-delà des inventions humaines ? Peut-on mettre l'innommable en mots ? Peut-on enfermer la liberté dans des systèmes de pensées, dans des tracés bien aplanis par ceux qui savent ? Krishnamurti n'a-t-il pas existé, n'a-t-il pas indiqué la folie de toutes ces méthodes ? Nous ne comprenons pas bien ce qu'il veut nous indiquer, et nous ne savons pas rester avec cette non-compréhension, n'est-ce pas ? Nous sommes gênés de ne pas saisir ce qu'il nous dit, alors nous allons voir d'autres personnes, des spécialistes du genre, et nous leur demandons ce qu'est la méditation. Alors les explications traditionnelles reviennent, cela nous rassure et de ce fait, nous perdons la lumière de la vérité.

 

  Pourquoi ne pas rester avec cette non-compréhension, cela est notre réel, je ne comprends pas ce que veut dire cet homme ! Tant pis, mais je ne m'endors pas, je reste avec cette présence, ce fait. Je ne lutte pas avec mon état, je suis conscient que je ne saisis pas vraiment. Cela, c'est la vérité, je ne sais pas ce qu'est la méditation ! Voilà le fait, concret, comme la souffrance et la peur. Mais cette même vérité m'indique aussi que ce n'est pas dans les trucs proposés par les religions ou les sectes, que se trouve cette chose que je ne saisis pas. Cette méditation doit avoir un parfum de liberté, comme l'essence de la religion véritable ! Depuis deux mille cinq cents ans ou plus, l'Inde et l'Asie pratiquent ces méthodes, ces continents sont-ils foncièrement différents d'autres continents ? N'y a-t-il pas aussi des guerres, des violences, qu'elles soient politiques ou religieuses ? L'esprit humain est le même, qu'il soit Hindou, Chinois, Européen ou Américain, quel que soit sa religion ou son pays, l'esprit n'a pas changé. C'est une réalité qu'il nous faut voir très concrètement, l'Orient a des traditions spirituelles et religieuses, mais qu'ont-elles fait du sacré ? Une suite de rites, de textes sacrés, une hiérarchie bien précise, et une foultitude de techniques et autres méthodes méditatives. Il existe également de très nombreuses écoles de pensées et de philosophies, mais est-ce différent à travers le monde ? D'autres religions n'ont pas la méditation, mais elles ont la prière, et dans les deux cas maintenant on parle également d'avoir foi, dans les textes et dans les enseignements.

 

    Donc la vérité me montre tout cela, tout ce que n'est pas la méditation ; donc j'élimine le faux, je me débarrasse de ces fardeaux inutiles ? C'est très important, le faux doit bien être perçu pour le faux, il peut y avoir une part de vérité dans ce que disent ces religions, mais une partie n'est pas le tout ! Voyons bien cela, ce n'est pas parce qu'il y a des aspects justes dans une croyance, que la croyance elle-même est vérité. Un fou peut bien vous donner l'heure exacte, ou bien vous indiquer le bon chemin pour aller à la gare, il n'en est pas moins fou. Ce n'est pas parce qu'il dit vrai dans un domaine restreint, un domaine précis, que sa vie et son esprit sont dans la vérité. Donc au fur et à mesure de mon observation j'apprends, je vois ce que n'est pas la méditation, et je vois qu'il y a un rapport étroit avec la vérité.  Je perçois très bien que la vérité doit éclairer toute la vie, doit toucher la totalité de l'esprit. Un éclairage particulier doit être en relation avec d'autres éléments, par exemple, qu'est-ce que la relaxation profonde ? Y a-t-il en cela une dimension du sacré, du religieux ? Pourquoi les religions sanctifient-elles ces actions, comme la méditation ou la prière ? Les religieux accordent une grande importance à tout ce cirque, parce qu'ils estiment que c'est par ce biais que l'homme est en contact avec le divin, c'est cela n'est-ce pas ? C'est par ces moyens que l'homme pense être en contact avec l'autre monde, avec le non-né, l'inconditionné !

    Donc, l'homme veut entrer en contact avec quelque chose de plus grand que lui, mais pourquoi cela ? Pourquoi cette volonté, ce désir universel ? Ne serait-ce pas parce que la vie lui parait insignifiante, dénuée de tout sens, injuste et cruelle ? "Si la vie se réduit à cette immense souffrance, quelque chose ne va pas, ce n'est pas possible ! Il doit exister autre chose, quelque chose que je ne perçois pas, mais il doit exister autre chose", et ainsi naît l'espérance dans le cœur des hommes. De cette espérance découlent alors toutes les affabulations créées par l'homme : Dieu, le diable, les anges et tous les saints, tous les sauveurs du monde Bouddha, Jésus et tant d'autres ; et selon les cultures le nirvana ou le paradis, mais surtout après la mort. Tout ce mouvement vient de la perception du non-sens de la vie, mais surtout de la peur devant ce non-sens. C'est bien la peur de la vie qui anime toutes ces traditions, mais jamais elles ne se penchent vers la cause première : Pourquoi l'esprit ne trouve-t-il pas de sens à la vie ? Pourquoi se fait-il que l'esprit trouve sa vie insignifiante, sans aucun sens, sans justice ?

 

    L'homme voit que la vie est une suite de grandes souffrances, il y a une grande insécurité dans ce monde. La maladie peut m'emporter, on peut me licencier du jour au lendemain, mon amour pour ma femme peut tarir, elle peut également me quitter pour un autre ! Il n'y a rien de certain, de durable, et puis il y a la grande violence des hommes envers les hommes, tellement de guerres, de tueries. Comment cela peut-il cesser à tout jamais ? Peut-on mettre fin à cette immense souffrance humaine, définitivement ? Voilà, la vérité me mène à cette question cruciale, et je perçois que tout le mouvement de l'humanité tourne autour de cette interrogation !

 

  Donc la méditation me guide vers le fait que l'être humain est en grande souffrance depuis toujours, et je vois qu'aucune religion ou autre construction mentale de l'homme n'a pu amener la fin de cette souffrance. Par cette perception, je constate l'inefficacité de toutes les constructions mentales élaborées par l'homme. Je vois parfaitement que tout cela n'a servi à rien, alors dans un éclair de vision pénétrante, l'esprit se déleste de toutes ces choses. Maintenant existe un silence total, aucune théorie ne subsiste dans l'esprit ; alors quand la souffrance se fait jour, on la regarde directement, sans un seul mot, on fait corps avec elle. On apprend à la découvrir, par-là on voit que la peur a cessé d'exister. Quand on voit directement quelque chose, la peur ne peut s'immiscer dans l'intervalle entre celui qui observe et l'objet observé, donc la peur a totalement disparue. Cela est très important, car la peur empêche de voir directement et simplement l'esprit tel qu'il est.

     Maintenant, la vérité me révèle une perception active qui est au-delà des mots et des théories de l'homme. Dans cette perception, j'observe sans peur cette souffrance, je suis avec elle, je ne m'en sépare jamais. Mais je l'examine, et je laisse un espace afin de ne pas être emporté de manière quasi mécanique par son mouvement, donc l'observation se crée. Dans cette dimension, qui est un espace au-delà de la pensée, dans cette liberté, alors vient la compréhension du danger. Voir un précipice, c'est s'en écarter de manière très rapide, sans intervention de la pensée. Comprendre que la souffrance n'est pas une fatalité, mais une création de l'homme, c'est voir et comprendre qu'il y a des causes qui l'ont engendrée, c'est également voir tous les effets terribles qui sont produits par son existence. S'il y a des causes, alors ce qui est peut finir par la suppression de ces mêmes causes, ce qui est créé peut finir ! Alors dans cette perception, l'esprit décide impérieusement de mettre fin à cette souffrance, et déjà un autre mouvement s'anime dans l'esprit, dans le cerveau. On découvre que la méditation est là, c'est le fait de rejeter toutes les valeurs des hommes, toutes ces constructions mentales, c'est cette action qui met en œuvre ce silence immobile. C'est par cette action de liberté, que vient la perception et la compréhension, alors la méditation découvre le réel. Dans cette découverte, par l'action de la vérité, la réalité se transforme alors totalement. C'est cette vérité qui met un terme à la souffrance, ce mouvement met chaque chose à sa place ; alors l'ordre advient, et dans cet ordre nouveau, la méditation aborde un autre rivage. Les conditionnements sont tombés, plus aucune croyance ne subsiste, aucun système pour toucher au divin ne demeure dans l'esprit, plus aucun mouvement, plus un mot, aucune pensée.

 

    Vivre dans ce silence, ne plus avoir quelque chose à comprendre, ne plus avoir de chaînes à démonter, ne plus avoir d'action à faire, être seul face à ce silence insondable. Être attentif à ce qui est, voir la fenêtre et le monde au dehors, les arbres et entendre le chant des oiseaux. Sentir le vent souffler, et soudain être hors du monde. La méditation est l'action d'ouvrir la porte, ensuite le sacré viendra peut-être nous rendre visite ; mais qu'il vienne ou pas, qu'importe, aucun attachement ne doit tenir la lumière de l'esprit. S'il vous plaît, je vous en prie cher amis, ne réduisons pas notre démarche à des choses très banales et mondaines. Ne pouvons-nous pas nous élever au-dessus des idéologies et pratiques humaines ? Gardons haute notre étude de l'esprit, soyons subtiles et attentionnés dans notre démarche ! Je vous remercie encore pour tous nos échanges et ces rencontres, puissions-nous avoir une démarche saine et vivifiante pour l'esprit. Veuillez m'excuser pour la longueur exceptionnelle de ce message, mais le sujet est des plus importants, n'est-ce pas ? Si nous ne prenons garde nous risquons de perdre quelque chose de très précieux.

 

 

 

  Paul Pujol, "Correspondances".

  Editions Relations et Connaissance de soi.

  "La méditation et les traditions religieuses", pages 74 à 87.   

Partager cet article
Repost0
19 avril 2024 5 19 /04 /avril /2024 09:35

 

                       

 

 

 

     Un être libre n'est ni d'Orient, ni d'Occident, il se situe bien au-delà de ces points de vues partisans. La liberté ne peut en aucun cas se limiter à une partie du monde, elle englobe et dépasse les différents conditionnements dus aux cultures et traditions humaines.

     Il s'agit d'avoir une vision globale de la vie. Si on fractionne le monde en Occident et en Orient, on divise et on sème le germe de conflits entre les hommes.

 

     Les occidentaux conçoivent volontiers que leurs propres religions les ont conditionnés, mais pour beaucoup ils estiment grandement les religions et traditions Orientales. Ils les tiennent comme bien supérieures, et croient que les différentes approchent proposées peuvent assurément les déconditionner. L'exotisme devient facteur de vérité, ce qui vient d'ailleurs semble souvent plus beau, plus plaisant, et parfois plus vrai.

     Les orientaux quand à eux estiment grandement leurs religions et tiennent pour assez peu sérieuses et intéressantes les religions de l'Occident. Ils se croient volontiers supérieur aux autres êtres humains, et ne conçoivent pas que leurs traditions spirituelles puissent les conditionner. Mais peuvent-ils aborder la vie, sans citations de grands maîtres et sans citer les sutras des textes sacrés? Sont-ils libres de leur savoir ancestral?

    

     Une tradition millénaire parait source de vérité, mais en est-il vraiment ainsi? Ce qui est ancien est-il vrai? Chaque nouveau printemps dément cette affirmation, et la nouvelle fleur qui s'ouvre à la vie parle de bien autre chose.

     Les traditions sont comme des musées, ont y visite de vielles choses empoussiérées de savoir et de temps.

 

     Un esprit libre est neuf, frais, il est vierge de toute référence et de toute tradition. Car il est primordial de voir par soi-même, vis à vis du passé on n'est pas amnésique mais on demeure libre de la mémoire et du temps.

     Seul un tel esprit peut créer un monde entièrement différent, totalement nouveau, car cet esprit est profondément créatif.

     Au sein même de la vie, au cœur de la continuité du monde, il engendre l'apparition de ce qui n'a jamais existé auparavant. La véritable création c'est cela, c'est la naissance de quelque chose d'entièrement nouveau, c'est la rupture avec le fil de la continuité, c'est la brisure du temps.

    

     La véritable création est le mouvement même de la liberté. Un esprit libre, c'est comme un autre monde, inconnu, immense et sans fin.

 

 

 

     Paul Pujol

Partager cet article
Repost0
Paul Pujol - dans textes paul pujol
19 mars 2024 2 19 /03 /mars /2024 09:32

 

Ecole-de-Brockwood, le-Grove-et-les-environs. 

 

 Trévoux le 13 janvier 2015

   

 

    En ces temps qui sont, nous dit-on troublés, et où la liberté d'expression est menacée, il me semble important de favoriser plus que jamais les échanges, les réflexions et les contacts en dehors de tous fanatisme et dogmatisme d'où qu'ils viennent.

     Mais soyons bien conscient que ces temps qui sont les nôtres ne sont pas plus troublés que d'autres temps, c'est une hypersensibilisation de l'instant qui nous fait croire cela. Nous n'allons pas faire ici un inventaire de la souffrance humaine, mais la souffrance des hommes est aussi vieille que le monde. Ce qui n'est absolument pas une raison pour accepter sa laide existence.

   

     La violence nait de la séparation, du fractionnement de la société et des hommes. On considère les hommes justes sous une forme symbolique, religieuse, nationale, politique ou autre. Le symbole compte plus que l'être humain, car il est plus facile de contrôler, de dominer, et d'imposer un standard, que de cultiver la liberté et le sens critique.

    Le standard a un côté rassurant, il a des limites et des règles précises, il se situe toujours dans une certaine orthodoxie reconnue et acceptée par la société. Le modèle est toujours balisé, limité, en quelque sorte finit dans une fausse perfection. Car la perfection n'existe pas, seul existe le mouvement de la vie.

 

    Le sens critique n'est en aucun cas, juste une critique superficielle qui vise à démonter, à détruire ou à ridiculiser une thèse ou un point de vue. Le sens critique n'est pas la destruction, il est la recherche de la vérité ou de ce qui est juste. C'est mettre en doute ce que l'on nous dit, ne rien accepter sans l'avoir examiné par soi-même.

    Mais cela demande une grande honnêteté, il s'agit d'aller dans cette enquête sans avoir déjà une approche partisane. Si l'on veut juste défendre un point de vue, évidemment on n'aborde pas un être humain pour le comprendre, en fait on se fiche totalement de ce qu'il pense, dans les faits on veut uniquement lui prouver qu'il à tort et on veut le rallier, le convertir à notre cause. Cette attitude n'est pas du tout du sens critique, c'est une approche qui, sous l'apparence du questionnement, vise juste à endoctriner l'autre. Nos arguments sont issus d'une propagande et je suis un propagandiste obstiné.

    Donc le sens critique s'applique également à ce que je pense, peut-être faut-il même commencer par cela ? Mais en disant cela on ne peut pas dire au monde qui nous entoure : "Ne venez pas me voir, laissez-moi, je dois d'abord examiner mes propres idées et superstitions. J'aborderai les vôtres après, dans un second temps." Le monde vivant et changeant nous environne et nous influence ; pendant que j'examine mes vieilles croyances, il en vient sans cesse de nouvelles. On doit examiner ce qui est là devant nous, le fond des anciennes croyances et les contemporaines, le regard doit embraser tout d'une seule vision. Alors peut-être verra-t-on qu'elles ont toutes les mêmes racines, que les nouvelles ne sont que la suite des anciennes, les croyances prennent de nouvelles formes ou couleurs, mais le fond reste identique. Peur, ignorance, superstitions, sentiment de supériorité ou d'infériorité, appartenance à un groupe qui lutte contre tout ce qui lui est différent.

   

     J'ai ma croyance et vous avez la vôtre, nous pouvons vivre côte à côte, sans doute en paix, mais jamais nous ne nous rejoindrons. Jamais nous ne serons un, unis comme des frères d'une même famille. Si nous sommes raisonnables, cela se passera à peu près bien, mais dans le temps il y aura toujours des individus qui diront : " Oui les autres ont des croyances, des religions, elles sont certes respectables, mais notre religion à nous est vraiment supérieure. Elle est plus grande, plus vraie, elle englobe et surpasse toutes les autres."

 

    Les religions, les cultures sont évidemment les enfants de l'histoire et de la géographie, elles viennent du lointain passé de l'humanité. Mais aujourd'hui qu'allons nous faire, nous battre pour faire triompher un point de vue ? C'est effectivement ce qui se passe, non seulement actuellement mais également depuis que les hommes sont sur terre. Allons-nous continuer ainsi ? Nous disputer, nous entre-tuer pour des idées, pour des concepts et des symboles ? Nous nous tuons pour des mots !

 

    Ne peut-on regarder de quoi parle tous ces mots, tous ces penseurs, religieux ou pas, de quoi parlent-ils ? Ne peut-on pas regarder et voir alors par nous-mêmes ?

Nous avons accepté tant de choses, de grandes choses et de très laides, des idées subtiles et d'autre stupides.

    Nous avons la réelle capacité à comprendre par nous-mêmes la vie et toute sa complexité. Mais nous devons nous débarrasser de cette habitude absurde de nous appuyer sur des autorités. Nous ne pensons pas, nous répétons ce que d'autres ont dit. Que cela soit juste ou faux, ce n'est pas le problème, le problème c'est de répéter comme des perroquets les paroles d'un autre.

    Maintenant, dans le domaine qui nous préoccupe (comprendre la vie dans son ensemble, les relations humaines, la souffrance, la violence, le sens réel du religieux), il s'agit d'arrêter de penser mécaniquement comme un ordinateur, comme un automate. Avez-vous remarqué comme un mot ou une phrase nous font réagir immédiatement, sans même qu'on s'en rende compte, on a dit et déroulé tout un argumentaire...Les religions et les politiques sont très, très forts dans ce domaine.

 

    Donc nous devons réapprendre à penser consciemment, avec intelligence, avec subtilité. Penser étymologiquement veut dire "Peser les choses, les apprécier, les évaluer". Nous devons redécouvrir ce bonheur de saisir, de voir par nous-mêmes les choses de la vie, les complexes et les très simples.

    Voir toute l'ampleur du sacré de la vie, n'est pas séparé de l'acte de regarder une simple plante au bord d'un chemin. Cette petite herbe qui est là, dans la lumière du matin, si fragile, gracile, mais tellement belle. Elle aussi est vraiment sacrée. Ce sacré est dans la vie, il est la vie, et il ne réside dans aucun livre, aucun rituel ou dans aucun temple créé par la main de l'homme.

 

    Le sens critique nous fait donc penser par nous-mêmes, de manière consciente. Et si nous allons avec ardeur dans ce voyage, si nous sommes passionnés par la découverte, nous découvrirons qu'à un moment donné l'acte même de penser trouve ses limites. Cela n'enlève rien à la beauté de la pensée, à sa complexité, c'est vraiment un outil tout à fait extraordinaire, soyons très clairs sur ce point. La pensée qui siège dans le cerveau, est un processus biologique que nous pouvons vraiment admirer, il faut rendre hommage à cette création de la vie. La pensée, expression de la mémoire qui réside dans le cerveau est sans doute un des objets de l'univers le plus complexe qui soit.

    Voir toute la beauté de la pensée, c'est bien la comprendre et l'avoir en affection, par cela on perçoit bien ses limites et on peut alors essayer d'aller au-delà. On ne repousse pas la pensée en la condamnant, en la refusant, car elle fait partie intégrante du mouvement de la vie. C'est par la compréhension d'une limite que l'on peut aller au-delà, pas en fustigeant cette limite.

 

    Mais ce n'est pas parce qu'un objet est complexe qu'il n'a pas de limites, et la limite de la pensée c'est le passé, le temps. Elle est issue, bâtie sur les souvenirs, sur la mémoire, la pensée est l'expression de notre passé. Dans ce sens elle est bornée par le temps, elle ne peut engendrer le neuf, car toute son action, son mouvement se fait sur la mémoire. Donc la pensée c'est la continuité, le prolongement de notre histoire.

Maintenant, nous venons de dire quelque chose qui a au moins une conséquence certaine. Ne voyez-vous pas chers amis ? Si la pensée ne fait que prolonger l'histoire, le passé, elle continue l'état des choses en les modifiants, mais elle les continue...

La pensée en tant qu'outil d'investigation du réel, ne peut pas changer ce même réel ! Le mouvement de la pensée ne peut pas changer l'homme, et par conséquent elle ne peut absolument pas transformer la société.

    Chers amis, je vous prie de ne pas accepter cela, mais de voir par vous-mêmes si cela est vrai ou faux.

    La pensée ne change pas l'homme ? Ce qui est certain c'est que les hommes changent très peu, voire pas du tout, il suffit d'un événement pour faire resurgir des comportements violents et parfois barbares.

 

    La question qui vient alors est : "Existe-t-il un au-delà de la pensée, et l'homme peut-il rencontrer cela ?"

    N'y a t-il pas un lien avec le fait de voir par soi-même, directement sans l'intermédiaire d'un autre ? Si on regarde vraiment quelque chose, que cela soit un arbre ou bien une croyance, que se passe-t-il vraiment ? Peut-on aborder cette relation autrement que par la mémoire et donc la pensée ? Ne répondez pas trop vite s'il vous plaît, en disant soit "c'est impossible, on ne peut pas ne pas penser !" ou bien "évidemment qu'on peut le faire, c'est très facile je le fais tous les jours". Cela n'est dans les deux cas qu'une réaction mécanique, automatique à une question posée.    

    Est-ce cela penser consciemment ? Ce n'est pas si simple comme vous le voyez, n'est-ce pas ? Les pensées en quelque sorte s'imposent à nous, elles jaillissent dans notre esprit sans notre demande. Et nous parlons alors sans avoir vraiment conscience de ce que nous disons...

    Regardez bien, ce qui est décrit maintenant, est-ce un fait, ou bien est-ce une idée, une théorie ? Soyons très clairs, est-ce que c'est une idée, ou bien est-ce que nous voyons vraiment quelque chose ?

    Est-ce une idée ou bien est-ce une vision ?

    Pour l'auteur c'est une vision, comme tout le texte présent qui est en train de naître sous ses doigts. Pour vous amis lecteurs, à vous de voir, nous ne pouvons ni ne voulons nous prononcer...

 

    Quand la vision existe, tout l'esprit regarde complètement, entièrement, l'attention est totalement dirigée vers ce qui est regardé. C'est une énergie qui est libre de toute forme, elle regarde vraiment directement ce qui se porte à sa vision. Dans cette attention, dans cette curiosité intense, c'est l'objet observé qui compte, qui importe, et pas mes réactions à cette vision. C'est la beauté de ce brin d'herbe, de cette simple plante, qui chante dans l'esprit, cela dialogue avec le cœur même de l'homme. C'est extrêmement sensible, et cela fait en sorte que l'esprit devient totalement silencieux, immobile, comme suspendu dans un autre monde. Dans ce grand silence, le mouvement habituel de l'esprit a cessé, les pensées se sont tues. La mémoire devient inactive, inutilisée, elle est toujours là évidemment (on ne devient pas amnésique), mais l'esprit n'utilise pas la mémoire, il n'en a pas besoin.

    Voilà ce qu'est l'acte de voir par soi-même, il se situe au-delà de la mémoire et du temps, hors du champ habituel de l'esprit.

    Là dans cette perception existe la compréhension, le déconditionnement, mais aussi un espace où tout ce qui vit existe ensemble, sans exclusion aucune. Alors l'acte de voir par soi-même devient l'acte de voir ensemble, d'apprendre ensemble. Sans hiérarchie, sans dogmes et sans autorités, je pense tout à fait sincèrement que "voir ensemble, vraiment c'est vivre ensemble".

 

    Vivre ensemble, c'est découvrir la vérité ensemble, tout le reste n'est que distractions superficielles.

 

     

    Paul Pujol

Partager cet article
Repost0
Paul Pujol - dans textes paul pujol
26 février 2024 1 26 /02 /février /2024 10:21

 

00415.jpg 

 

 

   Nous étions à l'étranger et c'était une journée de rencontre et d'étude, comme à l'accoutumé, il n'y avait pas grand monde. Personne aujourd'hui ne veut vraiment étudier la connaissance de soi, on préfère plutôt un système où tout vous est expliqué par avance, où la tradition et les maîtres, les gurus, (ou bien comme on dit maintenant les "coachs") vous disent tout ce qui doit être fait, ou ce qui ne doit pas être fait. On vous prend en charge en totalité, de A à Z, et l'être humain immature aime cela, il est rassuré, il peut faire semblant de chercher tout en continuant à s'endormir dans la torpeur de son esprit. Mais nous ne proposions pas ce genre de programme, aussi il y avait rarement du monde intéressé par tout cela.

 

   Aujourd'hui c'était à nouveau le cas, seule une personne était venue, c'était une femme venue de la grande ville voisine. Nous ne l'avions jamais vu auparavant. Elle était d'origine Indienne, mais n'y avait pratiquement pas vécu, son père étant diplomate toute la famille avait beaucoup voyagé à l'étranger. Cette personne dégagée une beauté malheureusement perdue, son visage avait subi la souffrance de la vie, et il était ravagé par quelque mal intérieur. Elle avait dû être digne dans sa jeunesse, pleine d'une grande beauté, mais tout cela était parti, et elle paraissait à présent lasse et fatigué de la vie. Elle se présenta brièvement et l'on comprit qu'elle était assez fière de tous ses diplômes, et sans doute de son parcours professionnel.

 

   Nous commençâmes alors la discussion, nous indiquions d'abord que tous les êtres humains malgré les différents conditionnements dus à leur culture, à leur environnement, tous vivent au fond d'eux les mêmes affres de la souffrance. Chacun qu'il vive en Europe, en Inde, en Chine où aux États Unis, chacun connaît les mêmes joies et les mêmes peines. Il y a un fond commun de sentiments profonds qui dépasse les clivages conditionnés des sociétés humaines. C'était juste une simple introduction à la journée et il ne nous semblait pas qu'il y avait la moindre difficulté sur cette évidente constatation.

  Mais notre interlocutrice réagit vigoureusement, presque violemment contre ce qui venait d'être dit. "Ce n'est pas vrai, ce que vous dites est totalement faux ! Par exemple, un Indien ne ressent pas la souffrance de la mort de la même manière qu'un Américain ou un Européen. Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Votre point du vu est celui d'un Occidental, et vous vous limitez à des conclusions issues de votre propre culture." Comme première réaction, cela était assez vif, et aussi assez excessif et chargé de bien trop d'émotions. On voyait bien qu'il y avait quelque chose derrière cette réaction bien trop appuyé, mais nous n'en tenions pas compte pour l'instant ; et nous expliquions simplement que tous les être humains souffrent, tombent souvent malades, vieillissent et connaissent la mort, avec un sentiment de grand vide et de désarroi devant cette vie qui passe sans aucun sens et sans aucune beauté.

  Elle parut troublée par la réponse, mais pensa que nous n'en vîmes rien. Elle commença alors son explication et par là dévoila la raison de son émotion. Elle expliqua que justement, son métier était d'intervenir dans des entreprises pour expliquer que des différences culturelles peuvent engendrer des malentendus et des quiproquos, et par là nuire au bon fonctionnement même de l'entreprise. Elle intervenait également dans des écoles, et elle nous cita l'exemple où elle avait appris aux étudiants que le système des castes en Inde avait des fondements religieux. Elle semblait très fière de son dernier exemple, comme si l'origine religieuse d'une chose stupide, devient moins stupide parce qu'elle vient d'une religion.

  Nous indiquâmes, que naturellement nous avions des conditionnements différents, les hommes étaient façonnés par leur environnement immédiat, par la culture, par la religion, par le climat et l'alimentation, et par bien d'autres choses encore. Les conditionnements sont différents, mais ce sont des hommes que l'on conditionne, le support du conditionnement est le même. Nous avons tous un fond commun très, très semblable, la couleur de la peau peut être différente, mais le fonctionnement de l'esprit est partout le même. Effectivement il y a des différences, par exemple en Inde, quand on est d'accord, on dit "oui" en dodelinant la tête de gauche à droite, alors qu'en Occident cela veut dire "non". Mais c'est assez superficiel et extérieur, car l'homme partout sait dire "non" ou "oui". L'homme exprime la même chose, de manière un peu différente certes, mais l'essentiel c'est que les hommes disent la même chose, c'est cela l'important.

     

   Pourquoi met-on toujours en avant la différence ? Quel est ce culte voué à ce qui nous sépare, à ce qui nous différencie ? On explique la différence, mais en la valorisant, n'est-ce pas ? On ne cherche pas à aller au-delà, la différence semble en fait nous définir. Elle nous définit et nous sépare de l'autre, et quand cette séparation est trop sensible et douloureuse, on invente le groupe qui partage les mêmes différences. La religion, la nation, l'ethnie spécifique, les spirituels et athées, les communistes ou les libéraux. Mais tous ces groupes ne peuvent rester entre eux, ils en rencontrent d'autres, et les autres ont des croyances forcément différentes. Alors les hommes s'observent et se regardent avec étroitesse, ils jugent les autres d'après leurs propres références. Ils ne désirent pas rencontrer l'autre, le connaître, en fait leur esprit est un tribunal où on prononce des condamnations dès qu'une différence existe, dès qu'il y a divergence envers l'orthodoxie du groupe.

   En fait, dès que l'homme se sépare de l'humanité, il devient juge et "ses lois" condamne et frappe ceux qui sont autres, différents. Si c'est la différence qui prime, qui importe, alors la violence et la barbarie se répandent sur le monde. La différence, c'est la séparation, et la séparation c'est obligatoirement la création des camps, de factions, et il suffit juste de deux camps pour faire la guerre...

      

   La personne semblait acquiescer sans être vraiment convaincue, puis elle désira parler de la mort. Elle indiqua qu'elle fréquentait un cercle ésotérique à tendance occulte, et lors de séances spéciales, il y avait eu des contacts avec des disparus. Nous écoutions en silence ses paroles, car elle semblait prise d'une grande et soudaine passion. Elle raconta comment elle avait vu une jeune femme totalement secouée et déroutée après une des ces séances, ne sachant quoi faire, elle lui avait offert un verre d'eau pour se désaltérer et se remettre de ses émotions. Notre interlocutrice parla aussi des Roses croix, ainsi que d'autres choses tournant autour des sujets assez obscures.

   Comme il est surprenant de voir l'esprit chercher toujours le merveilleux, l'extraordinaire, même si cela l'amène dans des sentiers sans lumière, où seule la noirceur règne et où la joie n'est pas. Quand est-il de la vie ordinaire, quotidienne ? Que faisons-nous de nos vies, savons-nous parler aux êtres qui nous entourent ? Parler aux morts, c'est tellement pratique, ils ne sont plus là pour vous contredire, et leurs "messages" sont toujours sujets à interprétations. Mais parler à sa famille, à son enfant, à un parent ou à un ami, c'est tellement plus merveilleux. Entrer en contact véritablement avec un inconnu, c'est un des plus grands privilèges qui soit. Quand les gens sont partis, c'est bien tard pour chercher à communiquer, n'est-ce pas ?

   "Oui j'ai un fils, et c'est vraiment dur d'être en relation avec lui." Son visage était bouleversé, et les larmes étaient prêtes à jaillir de ses yeux, elle souffrait vraiment beaucoup. Pour contenir sa peine et se ressaisir, elle s'assit au bord de la porte fenêtre et alluma une cigarette. Elle ne pensa pas du tout à demander si cela pouvait gêner son interlocuteur, mais devant cette grande peine, nous ne dîmes évidemment rien. Comme cela est étrange, on parle aux morts, et on pleure de ne pas parler avec les vivants. Qui sont les vivants et qui sont les morts ?

      

   L'émotion avait été très grande, aussi il nous sembla qu'une pause était la bienvenue. Nous partîmes donc à pied pour prendre un repas dans un restaurant du village. L'ouverture était finie, et la conversation fut très légère et assez superficielle, après s'être dévoilée un bref instant, la maîtrise et le contrôle de soi étaient de nouveau en place. Notre interlocutrice parla de tout et de rien, mais avec une grande assurance en toute chose. Nous nous séparâmes après le déjeuner, la belle rivière avoisinante était pleine de pitié pour cette personne.

   Tant de souffrance et si peu de lumière dans le cœur, avec un intellect si développé qu'il n'existait plus aucun espace, aucun questionnement réel sur quoi que ce soit. Quand l'esprit est encombré de connaissance, de savoir, il n'existe plus d'innocence, plus de doute, et en cela l'immense silence de l'existence ne peut être entendu.

 

 

 

   Paul Pujol, le 14 juin 2012.

Partager cet article
Repost0
Paul Pujol - dans textes paul pujol
8 janvier 2024 1 08 /01 /janvier /2024 11:12

  DSC00471

 

 

 

   L'intelligence n'est autre que le résultat d'une sensibilité sans cesse affinée. L'intelligence est, lorsque l'esprit exprime le fond même du coeur de l'homme, sans le dessécher.

      

  L'intelligence vraie enrichit la sensibilité, elle n'est pas faite de mots, mais de perception et de compréhension. Elle a pour action de se clarifier elle-même sans cesse.

 

 

  L'intelligence résulte d'une compréhension par les sens et par le coeur, par l'attention calme à ce qui est, - et non d'une spéculation intellectuelle, qu'elle soit méthodique, désordonnée, originale ou autre...

Partager cet article
Repost0
Paul Pujol - dans textes paul pujol