Voici le compte rendu écrit de la conférence qui a eu lieu le 24 janvier 2010 à Trévoux.
Ce travail de retranscription n'aurait pas été possible, sans l'initiative d'une amie, qui a pris de nombreuses notes lors de l'intervention. Je tiens aussi à signaler qu'une autre personne a bien voulu relire et corriger les fautes d'orthographe et de ponctuation.
Ces deux amis ont voulu garder l'anonymat, mais je tenais à vivement les remercier.
Vous excuserez j'espère la longueur du texte, mais je n'ai pas voulu couper le développement de l'intervention, en vous remerciant par avance de votre indulgence.
Thèmes de la conférence: Krishnamurti "Esprit insoumis, esprit libre".
La connaissance de soi, profonde et authentique, ne peut-être que si l’homme demeure libre de toutes idéologies, qu’elles soient traditionnelles ou contemporaines.
Krishnamurti nous invite à voir que toute soumission à un modèle, un exemple ou un maître à penser, entraîne inévitablement confusion et douleur.
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Avant toute chose, il est important de préciser que l’orateur ne représente pas Krishnamurti, personne ne peut parler en son nom. Krishnamurti n’a pas d’interprètes, et il n’y a aucune autorité dans ce domaine. Ce qui est exprimé lors de cette intervention n’engage que l’orateur lui-même, cela est très important.
Pouvons nous voir que dans la société, il y a de très nombreuses idéologies, religieuses, philosophiques, politiques, psychologiques ? Quand l’homme adhère à une idéologie, il se sépare des autres ; et chaque groupe a naturellement son idéologie propre. Voyons bien que ces différents groupes divisent la société, ils s’observent et se scrutent derrière leurs certitudes.
Et après la séparation, nous voyons venir la volonté de convaincre l’autre, de le convertir. Donc la division mène inévitablement aux tensions, aux conflits de toutes sortes.
Mais qu’est-ce qu’une idéologie ? Essayons de définir ce terme, voulez-vous ?
Une idéologie, c’est un ensemble d’idées, un ensemble de points de vue, politiques, religieux, culturels, sociaux ou autres…... Par exemple, le communisme vient de l’observation de l’exploitation des masses populaires par le monde patronal, ou par les classes dirigeantes. La perception d’un fait sert de base à l’idéologie, celle-ci part toujours d’un constat, d’une observation, suivis de conclusions, et enfin se crée un point de vue global concernant le sujet. Il y a ensuite une cohérence de développée, puis l’homme met en place une force de persuasion, ayant pour conséquences un rapport de force avec autrui, avec celui qui n’est pas du même bord.
Plus on est habile à manipuler autrui, plus on soumet autrui à notre idée.
Donc les idéologies ne servent pas uniquement à expliquer le monde, elles désirent aussi le changer, agir sur lui. Elles créent un savoir, une connaissance ; en fait, tout ceci est non seulement une stratégie de compréhension, mais également une volonté de transformer les conditions extérieures de la vie. Mais dans la réalité, cela sert surtout de propagande afin de rallier des personnes à une cause, et avec l’argumentaire crée, on obtient alors leurs soumissions et leurs obéissances.
L’idée suit l’observation d’un fait, ou plutôt c’est l’expérience qui est mémorisée, et à partir cette mémoire, la pensée va entrer en jeu.
Mais pouvons-nous poser une question : est-on obligé de faire un commentaire suite à l’observation d’un fait ? Ne pouvons-nous pas rester simplement avec le fait ?
La mémoire d’un sourire n’est pas un sourire, n’est-ce pas ? Je connais ma femme, mon voisin, je connais surtout l’idée que je me fais de cette personne. Dès que l’esprit a une idée, une croyance, il cherche à les confirmer par l’expérience. Voyons bien que l’autre a aussi ses propres idées, naturellement différentes des miennes. En fait, les images intérieures de chacun entrent en rapport, mais on est rarement en relation directe les uns avec les autres.
Chaque croyance, chaque idéologie divise la société, la fractionne, voyez ce que fait le nationalisme à travers le monde….
Dès qu’il y a séparation, division, il y a création de camps, de parties ; et ces fragments se confrontent mutuellement, et cherchent à imposer leurs points de vue aux autres fragments. Il s’en suit un grand désordre, une grande violence, et en fait nous semons les graines de la barbarie humaine entre-nous, n’est-ce pas ?
Ce qui accompagne les croyances ou les idéologies, c’est la constitution d’un groupe ; plus ou moins important, plus ou moins habile. Mais une fois qu’il y a une construction mentale stable, vient toujours la création d’un groupe, d’une religion, d’une secte, d’un parti politique ou autres ……Peut-on dire que nous reconstruisons une nouvelle appartenance tribale ? Il semble bien que oui.
Mais pourquoi adhère-t-on à un groupe ? Serait-ce pour fuir sa solitude, son isolement et aussi sa pauvreté intérieure ? On est perdu dans ce monde de chaos, on ne sait que faire. Alors le groupe, la religion, la nation, avec sa cohérence, sa propagande ses réponses toutes faites, ce groupe me rassure, et il me donne confiance et force. En son sein, je ne suis plus perdu.
Il semble qu’il en soit partout ainsi de par le monde, les hommes seuls, véritablement face à eux même sont très, très rares. N’est-ce pas ?
Nous voyons en fait que dans un groupe de personnes constitué, la cohésion se fait en parlant et en répétant, encore et encore, la propagande de base, cette répétition est comme une maladie qui ronge les esprits.
Mais ce processus est basé en premier sur notre envie viscérale de commenter, cela semble un besoin vital pour l’esprit ; il faut qu’il commente en permanence ce qu’il voit autour de lui.
Pourquoi l’esprit humain a-t-il tellement besoin de commenter les choses qui lui arrivent ?
Apparemment, il lui est nécessaire de traduire la vie en pensées. L’être humain a un attachement très fort aux commentaires ; serait-ce pour se sentir intelligent, instruit ? Cette connaissance donne un certain pouvoir, nous pouvons nous différencier des autres : « Mon commentaire est bien plus intelligent que le vôtre! »
Nous voyons assez bien ce processus, qui vise à s’affirmer, mais aussi et surtout à s’isoler des autres. A ne fréquenter que ceux qui pensent comme moi, et même parmi mes amis, il y en a certains avec qui je suis plus proche. Donc même dans le clan, il y a des préférences et donc des divisions, la séparation est aussi présente dans ma famille, dans mon pays, et dans ma religion.
Il semble nécessaire maintenant de voir ce qu’est penser. Qu’est-ce que la pensée ? L’acte de commenter la vie, se fait par le mouvement des pensées, c’est un mécanisme qu’il est important de comprendre profondément.
Donc qu’est-ce que la pensée ?
Comme nous l’avons vu, il y a d’abord l’expérience, la sensation, puis la mémorisation de l’événement. Quand une nouvelle expérience se profile, l’esprit ressort la mémoire de l’événement, et la pensée prend vie et se forme.
La pensée c’est l’expression de la mémoire ; voyons-nous bien cela, est-ce un fait ou une idéologie ? Il faut simplement voir les choses telles qu’elles sont, et voir aussi que sans la mémoire il n’y aurait pas de vie, et comprendre que la pensée est aussi un outil merveilleux.
Quand l’esprit enregistre, c’est donc tout à fait normal, c’est le fonctionnement du cerveau, sans mémoire et sans pensées, nous ne serions pas ici en train de parler ensemble. Mais voyons que la mémorisation devient une chose plutôt fixe, notre souvenir est relativement figé, alors que la vie n’est que mouvement. Tout change constamment dans le monde, et pour être tout à fait exact, le souvenir est mouvant également, mais il se meut dans l’esprit, alors que l’événement vit dans le monde.
Lorsque l’homme pense au monde, il pense à « son monde », et le monde lui, est bien différent de ce que l’homme pense; par son action l’homme essaie de conformer le monde à l’image qu’il en a. De même que la société doit correspondre à ce que je pense d’elle, de même l’autre doit être conforme à mes plans intérieurs, à mes idées et à mes croyances. Nous voyons par là que nous agissons comme des petits « dictateurs », le monde doit être conforme à mes projets, je veux qu’il se soumette à mes idées….
Donc ce qui est extérieur ne nous intéresse que pour confirmer nos points de vue, en fait le monde ne nous intéresse pas du tout ; nous l’utilisons pour nous glorifier nous-mêmes. Nous utilisons les expériences, les contacts avec la vie, uniquement pour valider nos conceptions.
Et puis-je vous demander de quoi parlent ces conceptions, toutes ces idées subtiles que cultive l’esprit ? Elles parlent bien évidemment de l’homme, du « moi », ou du « je », l’esprit se sanctifie lui-même constamment.
Mais voyons bien ce qui se passe réellement, l’esprit à une idée assez figée de la vie et des autres, et pourtant la vie est sans cesse changeante, sans cesse mouvante. Et donc mes idées vont entrer en friction avec les événements de tous les jours ; l’idée de mon épouse va se heurter à mon épouse telle qu’elle est, et en permanence la vie va se confronter à mes croyances internes.
A ce niveau, nous ne sommes pas conscients que l’esprit ne voit, et n’enregistre les faits que teintés par ses croyances et ses a priori. Cela toujours dans le but de fortifier ses constructions internes mentales. Donc percevons-nous que nous ne voyons le monde qu’au travers de nos idéaux, est-ce réel, ou est-ce encore une autre idée ?
Si cela est perçu, la question suivante est : L’esprit peut-il voir directement quelque chose, c’est à dire sans l’intervention de la pensée ou de la mémoire ?
Si l’on est attentif, ce qui compte c’est ce que l’on regarde, c’est l’objet de mon attention qui compte, et pas mes commentaires sur l’objet.
Donc qu’est-ce que l’observation ? Si l’on observe profondément quelque chose, l’esprit est très attentif à ce qu’il regarde, seul compte ce que j’ai devant moi, cet arbre, cette rivière.
Si je suis vraiment dans l’attention, je ne commente pas ce que je vois, je l’observe pour lui-même, je le regarde intensément ; je vois la lumière sur l’écorce de l’arbre, la couleur de feuilles délicates, alors le mouvement des pensées s‘apaise tranquillement, le cerveau se fait plus silencieux. Voyons que si l’on est très, très attentif, profondément, alors se met en place un véritable silence intérieur, l’esprit alors est immobile, là, dans cet état nous ne faisons qu’un avec ce qui est observé.
Nous voyons le monde tel qu’il est réellement, sans fard, ni détours.
Et nous constatons aussi, que l’action de ne pas penser, est aussi naturelle que l’acte de penser lui-même. Il est important de laisser de l’espace dans l’esprit.
Pourrions-nous revenir au monde dans lequel nous baignons, ce monde de misère et de violences qui nous entoure ?
Quel lien y a-t-il entre ce que nous venons de dire, et ce monde brutal et cruel ? Il règne la violence en ce monde, mais suis-je véritablement différent de ce même monde ? Je suis formé par ce monde, par la société, la culture, par la religion de mon pays ; je suis le produit de ce monde, j’en suis le représentant, et par conséquence je porte et je suis cette même violence.
De par le monde, chacun aspire à vivre en paix, mais personne n’arrive à vivre cela, la paix sur terre aux hommes de bonne volonté….. On cherche la paix, mais on crée le contraire, y aurait-il un dysfonctionnement dans l’esprit humain ?
Peut-on créer cette paix, quand on porte la violence du monde en soi, n’est-ce pas là le dysfonctionnement de l’esprit humain ?
D’où pour certains le désir de comprendre, et de remédier à ce dysfonctionnement. Nous n’avons pas de mal à voir que notre violence vient du monde dans lequel nous vivons, par contre nous n’acceptons pas que l’on nous dise que cette violence nous a conditionnés. La société nous a conditionnés, par des siècles de propagande, de pressions, de persuasions diverses. Nous sommes totalement formés par le monde, et notre mode d’action est lui aussi le résultat de ce processus.
Donc vient la question suivante, y a-t-il une action qui puisse déconditionner l’esprit ? Mettre fin à ce disfonctionnement ?
Il nous faut bien observer, ce qu’est par exemple la croyance, quels sont ses tours de passe passe, et comment elle se joue de l’esprit.
Voyons bien que la croyance entraîne l’expérience. Comment se fait-il qu’un croyant voit partout la confirmation de sa croyance ? Est-il uniquement dans un simple délire, une hystérie religieuse ou bien expérimente-t-il vraiment ce qu’il dit ?
Pouvons-nous bien regarder ce qui est, dans la grande diversité de la vie, tout est présent. Mais le croyant ou l’idéologue cherche et trouve partout des preuves extérieures de ses idées. Si vous idolâtrez les nuages, le ciel vous comblera, si vous choisissez certains mots particuliers, votre œil les verra et les trouvera partout et dans de nombreux livres. L’esprit considérera alors ces expériences comme des faits incontournables, comme des preuves indiscutables de la justesse de sa foi.
Mais les nuages ont toujours été dans le ciel, et les mots découverts étaient là bien avant votre lecture extasiée ; votre perception est déformée par votre pensée et tout ceci n’est que mirages illusoires et vues de l’esprit.
Pourquoi un malaise s’installe-t-il si l’on vous démontre votre erreur ?
Pourquoi cette résistance devant cette explication simple de l’illusion de la croyance ? Quand on choisit une voie, on ne veut pas être dérangé, pas être remis en question ; en fait, on veut juste un système soporifique qui endorme l’esprit, afin d’oublier la souffrance et la peine de la vie.
Avons-nous remarqué que l’idéologie est un choix qu’on nourrit ? Il faut lui donner corps avec des expériences, il faut l’alimenter en sensations ; sinon elle reste bien creuse et très, très superficielle. Quand l’esprit à fait un choix, en faisant partie d’une religion, d’un club sportif, ou d’un mouvement politique, il faut entretenir ce choix.
L’attention est-elle différente du choix ? Pouvons-nous voir cela ensemble ?
L’attention, quand elle est en place, regarde ce qui est ; pouvons-nous observer cela : elle regarde ce qui est, sans faire un choix, le choix étant l’acte de la volonté, qui décide de regarder quelque chose en particulier, et rejette ce qui est autre car inintéressant.
Pouvons-nous voir que l’attention, même si elle regarde un arbre en particulier, elle le regarde toujours en relation avec l’ensemble de ce qui est. L’action se situe toujours en relation complète et totale, sans aucune exclusion.
L’attention en fait, ne dépend jamais de ce qu’elle observe, ce n’est pas l’objet d’observation qui compte, c’est l’attention elle-même qui importe.
Et voyons que dans ce non choix, la notion même d’effort disparaît naturellement, l’effort étant le mouvement ou l’expression de la pensée….
Pourrions-nous également parler, si cela est possible de la recherche du résultat?
Quand on fait une action, en général on en attend, ou on recherche un résultat. C’est d’ailleurs le propre de la science, qui reproduit des expériences plusieurs fois pour valider des théories exprimées.
Dans le domaine psychologique, l’homme fait de même ; on agit en espérant telle ou telle chose, j’adhère à une religion en espérant finir au paradis, j’entre dans une société, et j’ambitionne d’en devenir le directeur…Donc quand on agit, on escompte un résultat futur, intérieurement on se projette en s‘imaginant dans telle ou telle situation ; naturellement la plus agréable possible, on ne se projette pas en tant que mendiant misérable.
La recherche de résultat existerait-elle sans idéologies ? L’expérience religieuse existerait-elle sans la croyance ? Ce sont les idéaux qui nourrissent cette recherche, non ?
En s’échappant vers le futur, l’esprit une nouvelle fois, ne regarde pas ce qui est devant lui ; en fait il fuit le présent.
Dans l’attention véritable, l’esprit n’a aucun mouvement de fuite, aucun mouvement vers un futur imaginaire, seul compte ce qui est observé, ce qui regardé.
Il y a cet exemple que tout le monde comprend parfaitement : quand des musiciens jouent ensemble s’ils sont totalement dans l’action, complètement dans la musique, à un moment donné il n’y a plus de musiciens, véritablement il n’y a plus que la musique qui existe.
Et chacun « est » cette musique…..
Là, on ne pense pas au résultat, ni à la confirmation d’une croyance, car on vit intensément et il n’y a plus de questionnement.
Evidemment, quand la musique cesse, les musiciens reviennent, avec tout le reste. La vie reprend le dessus, et rien n’a en fait été changé. Il y a eu cette sensation d’unité, cette sensibilité, mais cela finit et la peine, les plaisirs et le chagrin de la vie sont toujours là.
Ce sentiment, cette sensation ne déconditionne pas l’esprit ! N’est-ce pas ?
Si l’on considère un événement comme très important, l’esprit va rechercher la répétition de cet événement, et alors l’homme va partir dans une recherche de plaisirs. Dans la reproduction d’événements passés, le désir va s’emparer de lui, et regardons bien : la joie qui était un instant liée au présent, cette quête va l’envoyer vers le futur imaginaire. Et donc la joie, le bonheur vont devenir «un projet », et ils ne sont plus dans le présent, ils nous échappent déjà…
Il en va de même pour la liberté, elle ne peut être le résultat de causes ; premièrement car elle n’est pas une chose du futur, elle « est » ou bien elle « n’est pas ». Seul le présent peut la voir fleurir. Et deuxièmement, elle est par essence inconditionnelle, de tel sorte qu’il n’existe aucune condition qui puisse la faire naître, il n’existe pas de bonnes ou de moins bonnes conditions. La liberté n’a pas de causes.
La liberté, la vérité n’est pas une quête de plaisir, cela ne peut être le fruit du désir. Qu’est-ce que le plaisir ? Est-ce qu’il libère ? Le plaisir ne remet rien en question n’est-ce pas ? C’est juste la continuité de ce qui est, son prolongement…..Et n’est-ce pas aussi, la continuité du dysfonctionnement de l’esprit ?
Alors nous revenons à cette question, qu’est-ce qui va mettre fin au dysfonctionnement de l’esprit humain ?
Krishnamurti nous propose une révolution intérieure totale, une mutation de l’esprit, c’est à dire un événement sans retour en arrière, c’est cela la mutation, un changement profond irréversible.
Quel est le lien avec tout ce que nous venons d’explorer ? Une mutation, c’est une transformation radicale, mais, pour que cela ne soit pas la suite de ce qui est, « ce qui est » doit d’abord finir……..N’est-ce pas ?
Donc comprendre profondément le dysfonctionnement de l’esprit, c’est mettre fin « pour toujours » à ce même disfonctionnement ; et si l’on regarde précisément, on voit en fait que c’est l’esprit rempli de confusion qui doit prendre fin, n’est-ce pas ?
Comprendre quelque chose, c’est d‘abord y mettre fin, voir la prison de l’esprit, c’est dissoudre cette prison, totalement, entièrement.
Qu’est-ce qui va mettre fin à la confusion ? Au désordre dans l’esprit ? Nous avons vu, que la simple sensation, si intense soit-elle, ne fait pas naître cette « intelligence autre » ; elle ne déconditionne pas l’esprit. Alors, que fait l’attention pure face au désordre et à la confusion ? Peut-on les regarder comme le coucher de soleil, comme la rivière, avec le même regard silencieux ? Peut-on observer tout le panorama, sans avoir recours à la pensée ?
Quand on perçoit un danger, quand la perception est réelle, on s’écarte du danger, on ne court pas vers le précipice ou le serpent à sonnettes. Perçoit-on réellement le dysfonctionnement de l’esprit ? On en parle, on en discute, mais le perçoit-on véritablement ?
Si celui-ci persiste, c’est que naturellement notre perception est faite de mots, mais n’est pas réelle. Nous décrivons une idée, nous ne voyons pas le fait. Nous revenons donc à la confusion entre l’idéologie et le fait, entre la croyance qui crée l’expérience, et la pure vision.
Nous n’avons pas saisi ce qu’est l’idéologie, cet ensemble de mots et de symboles, nous n’avons pas perçu sa nature illusoire, et en fait nous sommes toujours dans le sortilège de la pensée.
Que se passe-t-il quand l’esprit se rend compte qu’il se joue des tours, qu’il n’a pas bougé d’un seul pas depuis le début ? Quand nous nous rendons compte, que chaque action « est » l’expression de cette confusion, que se passe-t-il vraiment ? Si l’on se rend compte que l’acte de commenter est totalement destructeur, alors les commentaires cessent d’eux mêmes, sans effort aucun, le silence se fait dans l’esprit. Cette fin des commentaires est la fin de l’idéologie, c’est aussi la fin de l’esprit confus, c’est à dire que quelque chose de très ancien a cessé d’exister, et seul demeure le silence immobile.
Alors l’esprit est totalement différent, il n’est plus en quête de plaisirs, d’expériences, il ne cherche plus aucun résultat. Et dans ce regard autre, toute les idéologies du monde des hommes tombent, les croyances n’existent plus, il y a une existence hors du monde de la pensée.
Aucune référence autre que sa propre vision n’existe, alors on devient sa propre lumière, et la rupture avec le monde est totale, complète ; et l’esprit goûte à la vie comme pour la première fois, comme au matin du monde….
Pour qu’un monde neuf soit, l’ancien monde doit finir.
Krishnamurti nous invite à ce voyage, mais c’est à chacun de se mettre en mouvement, à chacun d’entreprendre le voyage.
Et lors de ce voyage, l’homme voit très clairement, très précisément, que la souffrance humaine n’est pas une fatalité ; et il perçoit aussi que nous sommes responsables de sa présence sur terre.
Alors le voyage c’est la fin même de cette souffrance.
Paul Pujol
Trévoux, le 24 janvier 2010.
Je tiens à rappeler que ce texte n'engage, bien évidemment, que ma seule parole.