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  Qu'est-ce que la méditation ?

 

    La concentration de pensée n'est pas une méditation, parce qu'il est relativement facile de se concentrer sur un sujet intéressant. Un général absorbé par le plan de la bataille qui enverra ses soldats à la boucherie est très concentré.

    Un homme d'affaire en train de gagner de l'argent est très concentré, ce qui ne l'empêche pas, à l'occasion, d'être cruel et de se fermer à tout sentiment. Il est absorbé dans ses desseins, comme toute personne dont l'intérêt est capté ; il se concentre naturellement et spontanément.

 

    Qu'est-ce donc la méditation ? Méditer, c'est comprendre ; la méditation du cœur est compréhension. Et comment puis-je comprendre s'il y a exclusion ? Comment puis-je comprendre s'il y a pétition et supplication ? En la compréhension il y a la paix, la liberté ; car on est libéré de ce que l'on a compris. Se concentrer, prier, cela n'éveille pas la compréhension, et celle-ci est la base même, le processus fondamental de la méditation.

    Vous n'êtes pas tenus d'accepter ce que je dis, mais si vous examinez la prière et la concentration de pensée très soigneusement, profondément, vous verrez que ni l'une ni l'autre ne conduisent à la compréhension, tandis que la méditation qui consiste à comprendre engendre la liberté, la clarté, l'intégration.

 

    Mais qu'appelons-nous comprendre ? Comprendre veut dire donner sa vraie valeur à toute chose. Être ignorant, c'est attribuer des valeurs erronées. La nature même de la stupidité est le manque de compréhension des vraies valeurs. La compréhension se fait jour lorsque s'établissent des vraies valeurs. Et comment établirons-nous les valeurs justes de nos possessions, de nos rapports humains, de nos idées ? Pour que surgissent des valeurs exactes, il me faut comprendre le penseur, n'est-ce pas ?

    Si je ne comprends pas le penseur - lequel est moi-même - ce que je choisis n'a pas de sens ; si je ne me connais pas, mon action, ma pensée sont sans fondement. Donc,  la connaissance de soi est le début de la méditation. Il ne s'agit pas des connaissances que l'on ramasse dans des livres, chez des guides spirituels, des gurus, mais de celle qui provient d'une enquête intérieure et d'une juste perception de soi. Sans connaissance de soi, il n'y a pas de méditation. Si je ne comprends pas mes mobiles, mes désirs, mes aspirations, ma poursuite de modèles d'action (lesquels sont des « idées ») ; si je ne me connais pas, je n'ai pas de bases pour penser ; le penseur qui demande, prie, exclut, sans se comprendre, doit inévitablement tomber dans la confusion de l'illusion.

 

    Le début de la méditation est la connaissance de soi, ce qui veut dire percevoir chaque mouvement de la pensée et de l'émotion, connaître toutes les couches stratifiées de ma conscience, non seulement les régions périphériques, mais les activités les plus secrètes, les plus profondément cachés. Pour connaître ces mobiles cachés, ces réactions, ces pensées et ces sentiments, il faut que le calme se fasse dans l'esprit conscient ; en effet, celui-ci doit être immobile pour percevoir la projection de l'inconscient. L'esprit conscient, superficiel, est occupé par ses activités quotidiennes : le pain à gagner, les gens qu'il faut tromper et ceux que l'on exploite, la fuite devant les problèmes, bref toutes les activités quotidiennes de notre existence.

 

    Cet esprit périphérique doit comprendre la vraie signification de ses activités, et ce faisant se donner la paix. Il ne peut pas provoquer ce calme et ce silence en se dominant, en se disciplinant, en se mettant au pas ; mais il permettra à cette tranquillité de se produire en comprenant ses propres activités, en en étant conscient, en voyant sa cruauté, la façon dont il se comporte par rapport à un domestique, à sa femme, à sa fille, à sa sœur, etc.

    Lorsque l'esprit superficiel et conscient perçoit de la sorte ses activités, il devient, grâce à cette compréhension, spontanément tranquille ; il n'est pas drogué par des contraintes ou par des désirs enrégimentés ; il est alors à même de recevoir les émissions, les suggestions de l'inconscient, des très nombreuses couches de l'esprit telles que les instincts raciaux, les souvenirs enfouis, les poursuites cachées, les profondes blessures non encore cicatrisées.

    Ce n'est que lorsque toutes ces zones se sont projetées et ont été comprises, lorsque la conscience toute entière se trouve déchargée, lorsqu'il ne reste plus une seule blessure, plus une seule mémoire pour l'enchaîner, que l'éternel peut être reçu.

 

    La méditation est connaissance de soi, sans connaissance de soi, il n'y pas de méditation. Si vous n'êtes pas conscient tout le temps de toutes vos réactions, si vous n'être pas pleinement conscient, pleinement averti du sens de vos activités quotidiennes, le simple fait de vous enfermer dans votre chambre et de vous asseoir devant le portrait de votre guru, de votre maître, est une évasion ; car sans cette connaissance de soi, votre pensée n'est pas orientée dans une direction juste et votre méditation n'a aucun sens, qu'elle que soit la noblesse de nos intentions.

    Ainsi la prière n'a aucune valeur sans cette connaissance de soi, mais celle-ci engendre une pensée correcte de laquelle découle une action correcte. Celle- ci dissipe la confusion, de sorte que l'homme qui se connaît n'a pas besoin de supplier qu'on le libère. L'homme pleinement conscient est en état de méditation ; il ne prie par parce qu'il ne désire rien.

    Par des prières, des disciples, des répétitions et tout le reste, vous pouvez provoquer une certaine immobilité, mais ce n'est qu'un abêtissement par lassitude, car vous avez drogué votre esprit.   L'exclusion - que vous appelez concentration - ne conduit pas à la réalité ; aucune exclusion ne peut le faire. Ce qui engendre la compréhension c'est la connaissance de soi, et il n'est pas très difficile d'être conscient, si l'intention y est. Si cela vous intéresse de découvrir tout le processus de vous-même - non seulement la partie superficielle, mais le processus de tout votre être - c'est relativement facile. Si réellement vous voulez vous connaître, vous fouillerez votre cœur et votre esprit afin de connaître tout le contenu ; et si vous avez l'intention de savoir, vous saurez.

 

    Alors vous pourrez suivre, sans condamnation ni justification, chaque mouvement de votre pensée et chaque sentiment au fur et à mesure qu'ils surgissent, vous engendrerez cette tranquillité qui ne serra pas forcée, qui ne serra pas enrégimentée mais qui proviendra de ce que vous n'aurez pas de problèmes, pas de contradiction.

    C'est comme l'étang qui devient calme et paisible n'importe quel soir lorsqu'il n'y a pas de vent. Lorsque l'esprit est silencieux, ce qui est immesurable entre en existence.

 

 

 

 

 

Krishnamurti : La première et dernière liberté.

Question- réponse 19 : - Sur la prière et la méditation.

Extrait 2, pages 238 à 242.

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     - L'aspiration exprimée dans la prière, n'est-elle pas une voie vers Dieu ?

  

    -  Examinons les différents problèmes contenus dans cette question. Ils portent sur la prière, la concentration et la méditation. Qu'appelons-nous prière ?

    La prière comporte d'abord une pétition, une supplication adressée à ce que vous appelez Dieu, ou la réalité. Vous, l'individu, vous demandez, quémandez, mendiez, vous cherchez assistance auprès de quelque chose que vous appelez Dieu ; en somme vous cherchez une récompense, un contentement.

    Vous êtes dans de graves difficultés nationales ou individuelles et vous priez pour avoir du secours, ou vous êtes dans la confusion et vous mendiez de la clarté ; vous demandez de l'aide à ce que vous appelez Dieu.

    Ceci comporte l'idée implicite que Dieu, quel que soit ce Dieu    (nous ne discutons pas de cela pour l'instant) va se mettre à éclaircir la confusion que vous et moi avons crée. Car c'est nous qui avons engendré cette confusion, cette misère, ce chaos, cette affreuse tyrannie, ce manque d'amour ; et nous voulons que ce que nous appelons Dieu vienne tout mettre en ordre.

 

    En d'autres termes, nous voulons que notre confusion, notre affliction, nos conflits, soient remis en ordre par un autre que nous, nous nous adressons à quelqu'un pour qu'il nous apporte de la lumière et du bonheur.

 

    Or, lorsque vous priez, quémandez et suppliez pour obtenir quelque chose, cette chose, en général, se produit. Lorsque vous demandez, vous recevez ; mais ce que vous recevrez ne créera pas l'ordre, car ce qui est susceptible d'être reçu ne donne ni clarté, ni compréhension, ne peut que satisfaire et faire plaisir, du fait que lorsqu'on demande, on reçoit ce que l'on a projeté soi-même. Comment la réalité - Dieu - peut-elle répondre à votre demande particulière ?

    Est-ce que l'immesurable, l'imprononçable, peut-être occupé à résoudre nos petits tracas, nos misères et nos confusions crées par nous ?

    L'immesurable ne peut pas répondre au mesurable, au mesquin, au petit. Mais alors qu'est-ce qui répond ?

    Lorsque nous prions, nous sommes plus ou moins silencieux, nous sommes dans un état réceptif ; et alors notre subconscient nous apporte un moment de clarté. Vous voulez quelque chose, vous le voulez très intensément ; au moment de cette intensité, de cette obséquieuse mendicité, vous êtes assez réceptif ; votre esprit conscient, actif, est relativement immobile, ce qui permet à l'inconscient de s'y projeter, et vous avez votre réponse.

    Ce n'est certainement pas une réponse qui provient de la réalité, de l'immesurable ; c'est votre propre inconscient qui répond. Ne commentez pas l'erreur de croire que lorsqu'il est répondu à votre prière, vous êtes en relation avec la réalité.

    La réalité doit venir à vous, vous ne pouvez pas aller à elle.

 

    Il y a encore un autre facteur dans cette question, c'est la réponse de ce que nous appelons la voix intérieure.

    Ainsi que je l'ai dit, lorsque l'esprit est en état de supplication, il est relativement immobile ; et lorsque vous entendez la voix intérieure,   c'est votre propre voix qui se projette dans cet esprit relativement silencieux. Comment pourrait-elle être la voix de la réalité ? Un esprit confus, ignorant, avide, quémandant, comment peut-il comprendre la réalité ?

    L'esprit ne peut recevoir la réalité que lorsqu'il est absolument immobile, et non pas entrain de demander, implorer, supplier, pour lui-même, pour la nation ou pour d'autres personnes. Lorsque l'esprit est tout à fait arrêté, que tout désir a cessé, alors seulement naît la réalité. La personne qui prie et qui aspire à être guidée recevra ce qu'elle cherche, mais ce ne serra pas la vérité. Ce qu'elle recevra sera la réponse des couches inconscientes de son esprit, lesquelles se projettent dans le conscient ; cette voix intérieure du silence n'est pas le réel mais la réponse de l'inconscient.

 

    Et dans ce problème il y a aussi celui de la concentration. Pour la plupart d'entre nous, la concentration est un processus d'exclusion, que l'on fait fonctionner par un effort, une contrainte, une direction, une imitation.

    Je m'intéresse à une soit-disant méditation, mais mes pensées sont distraites ; je fixe mon esprit sur une image ou une idée et j'exclus toutes les autres pensées. Cette concentration, qui est une exclusion, est censée être un moyen de méditer.

    N'est-ce pas cela que vous faites ?

    Lorsque vous vous asseyez pour méditer, vous fixez votre esprit sur un mot, sur une image, sur un portrait, mais l'esprit vagabonde partout. Il y a une constante irruption d'autres idées, d'autres pensées, d'autres émotions et vous essayez de les chasser ; vous passez votre temps à batailler avec vos pensées.

    Ce processus, vous l'appelez méditation.

 

    En somme, vous essayez de vous concentrer sur quelque chose qui ne vous intéresse pas et vos pensées continuent à se multiplier, à croître, à vous interrompre. Alors  vous dépensez votre énergie à exclure, à écarter, à expulser ; et si vous pouvez enfin vous concentrer sur la pensée de votre choix ou sur un objet particulier, vous croyez  avoir réussit à méditer.

    Mais cela n'est pas de la méditation.

 

    La vraie méditation ne consiste pas à exclure ou à écarter des pensées, ni à construire des résistances contre des idées importunes.

    La prière, pas plus que la concentration, n'est une vraie méditation.

 
 

 

Krishnamurti : La première et dernière liberté.

Question-réponse 19: - Sur la prière et la méditation.

 

Extrait 1, pages 236 à 238.

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    L’essence de l’enseignement de Krishnamurti est contenu dans sa déclaration de 1929 où il dit « la Vérité est un pays sans chemin ».  
    Aucune organisation, aucune foi, nul dogme, prêtre ou rituel, nulle connaissance philosophique ou technique de psychologie ne peuvent y conduire l’homme. Il lui faut la trouver dans le miroir de la relation, par la compréhension du contenu de son propre esprit, par l’observation et non par l’analyse intellectuelle ou la dissection introspective. L’homme s’est construit des images religieuses, politiques ou personnelles, lui procurant un sentiment de sécurité. Celles-ci se manifestent en symboles, idées et croyances. Le fardeau qu’elles constituent domine la pensée de l’homme, ses relations et sa vie quotidienne. Ce sont là les causes de nos difficultés, car, dans chaque relation, elles séparent l’homme de l’homme. Sa perception de la vie est façonnée par les concepts préétablis dans son esprit. Le contenu de sa conscience est cette conscience. Ce contenu est commun à toute l’humanité. L’individualité est le nom, la forme et la culture superficielle que l’homme acquiert au contact de son environnement. La nature unique de l’individu ne réside pas dans cet aspect superficiel, mais dans une liberté totale à l’égard du contenu de la conscience.  

  
      La liberté n’est pas une réaction ; la liberté n’est pas le choix. C’est la vanité de l’homme qui le pousse à se croire libre par le choix dont il dispose. La liberté est pure observation, sans orientation, sans crainte ni menace de punition, sans récompense. La liberté n’a pas de motif ; la liberté ne se trouve pas au terme de l’évolution de l’homme mais réside dans le premier pas de son existence. C’est dans l’observation que l’on commence à découvrir le manque de liberté. La liberté se trouve dans une attention vigilante et sans choix au cours de notre existence quotidienne.

  
    La pensée est temps. La pensée est née de l’expérience, du savoir, inséparables du temps. Le temps est l’ennemi psychologique de l’homme. Notre action est basée sur le savoir et donc sur le temps, ainsi l’homme se trouve toujours esclave du passé.

  
      Quand l’homme percevra le mouvement de sa propre conscience il verra la division entre le penseur et la pensée, l’observateur et l’observé, l’expérimentateur et l’expérience. Il découvrira que cette division est une illusion. Alors seulement apparaît la pure observation qui est vision directe, sans aucune ombre provenant du passé. Cette vision pénétrante, hors du temps, produit dans l’esprit un changement profond et radical.

    
     La négation totale est l’essence de l’affirmation. Quand il y a négation de tout ce qui n’est pas amour - le désir, le plaisir - alors l’amour est, avec sa compassion et son intelligence.


   

     Cette déclaration a été rédigée, à l’origine par Krishnamurti lui-même le 21 octobre 1980, pour figurer dans le second volume - « Les années d’accomplissement » - de la biographie de Krishnamurti par Mary Lutyens (Editions Arista (1984) , épuisée, pour la traduction française).
     En la relisant, Krishnamurti a ajouté quelques phrases au texte.
 
 
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Les expériences vécues,

la satisfaction, la dualité,

la méditation.

 
 

Extrait 1

 

  Chacun de nous veut vivre certaines catégories d'expériences, qu'elles soient mystiques, religieuses, sexuelles, ou celles de posséder beaucoup d'argent, d'exercer le pouvoir, d'avoir une situation, de dominer. En vieillissant, nous pouvons ne plus avoir d'appétits physiques, mais nous avons le désir de vivre des expériences plus vastes, plus profondes, de plus grande portée, et nous cherchons à les obtenir par toutes sortes de moyens tels que l'élargissement de notre conscience par exemple - qui est tout un art - ou l'intensification des sensations par des drogues.          

    Cet usage des drogues est un artifice qui existe depuis des temps immémoriaux. On mâche un morceau de feuille ou on absorbe le produit chimique le plus récent, pour obtenir, au moyen d'une altération temporaire de la structure des cellules cérébrales, une plus grande sensibilité, des perceptions plus élevées, qui ont un semblant de réalité. Ce besoin de plus en plus répandu d'expériences de ce genre, révèle la pauvreté intérieure de l'homme. Nous nous imaginons qu'elles nous promettent d'échapper à nous-mêmes, mais elles sont conditionnées par ce que nous sommes. Si nous avons un esprit mesquin, jaloux, inquiet, nous pouvons prendre la drogue la plus récemment inventée, nous ne verrons que nos propres créations à notre mesure, nos projections émanant de notre arrière-plan conditionné.

    La plupart d'entre nous aspirent à des expériences durables, que la pensée ne peut détruire, susceptibles de nous satisfaire pleinement. Ainsi, Sous-jacent à cette aspiration, est un désir de satisfaction qui détermine la nature de l'expérience. Il nous faut donc comprendre à la fois ce désir et les sensations que l'expérience procure.

    C'est un grand plaisir que d'éprouver une grande satisfaction. Plus une expérience est durable, profonde, vaste, plus elle est agréable. C'est ce plaisir qui dicte la nature de l'expérience à laquelle nous aspirons, et qui nous donne sa mesure. Or tout ce qui est mesurable est dans les limites de la pensée et susceptible de créer des illusions. On peut vivre des expériences merveilleuses et être dupé. Les visions qu'une personne peut avoir sont déterminées par son conditionnement. Vous pouvez voir le Christ ou le Bouddha ou tout autre personnage objet de votre culte, et plus vous serez croyant, plus intenses seront vos visions : ces projections de vos désirs.

    Si, à la recherche d'une notion fondamentale telle que celle de la vérité, nous voyons que sa mesure - pour nous - est notre plaisir, nous projetons déjà l'idée de ce que serait cette expérience, et elle ne serait plus valable.

    Qu'entendons-nous par vivre une expérience ? Existe-t-il rien de neuf, d'originel, dans ce que l'on éprouve au cours d'un tel événement ? Il n'est que la réaction d'un paquet de mémoires, en réponse à une provocation. Ces mémoires ne peuvent répondre que selon leur arrière-plan, et plus on est habile à interpréter l'expérience, plus cette réponse se développe. Vous devez donc non seulement mettre en question les expériences des autres, mais aussi les vôtres.

    Si vous ne reconnaissez pas une expérience, c'est que ce n'en est pas une. Chaque expérience a déjà été vécue, sans quoi vous ne la reconnaîtriez pas. Vous la reconnaissez comme étant bonne, mauvaise, belle, sainte, etc., selon votre conditionnement, donc sa récognition doit inévitablement être vieille.

 

    Nous voulons vivre l'expérience du réel - c'est ce que nous voulons tous, n'est-ce pas ? - mais vivre le réel c'est le connaître et dès que nous le reconnaissons, nous l'avons déjà projeté et il n'est plus réel parce qu'il est dans le champ de la pensée et du temps. Ce que l'on peut penser au sujet de la réalité n'est pas le réel. Nous ne pouvons pas « reconnaître » une expérience neuve : c'est impossible. On ne reconnaît que ce que l'on connaît déjà, donc lorsque nous déclarons avoir eu une expérience nouvelle, elle n'est pas du tout neuve. Chercher des expériences nouvelles au moyen d'une expansion de la conscience, ainsi qu'on le fait avec des drogues psychédéliques, c'est encore demeurer dans le champ limité de la conscience.

    Nous découvrons maintenant une vérité fondamentale, qui est qu'un esprit à la recherche des expériences vastes et profondes auxquelles il aspire est très creux et obtus, car il ne vit qu'avec des souvenirs.

    Si nous n'avions pas d'expériences, que nous arriveraient-ils ? Nous avons besoin de leurs provocations pour nous tenir éveillés. S'il n'y avait en nous ni conflits, ni perturbations, ni changements, nous serions tous profondément endormis. Donc ces rappels sont nécessaires pour presque tout le monde. Nous pensons que sans eux nos esprits deviendraient stupides et lourds, par conséquent nous avons besoin de provocations et d'expériences pour nous faire vivre plus intensément et pour aiguiser nos esprits. Mais en vérité, cet état de dépendance ne fait qu'émousser nos esprits. Il ne nous tient pas du tout éveillés.

    Je me demande donc s'il me serait possible d'être éveillé totalement, non en quelques points périphériques de mon être, mais totalement éveillé, sans provocations ou expériences. Cela exigerait une grande sensibilité, à la fois physique et psychologique. Cela voudrait dire qu'il me faudrait être affranchi de toute aspiration, car je provoquerais l'expérience dès l'instant que je l'appellerais. Pour être débarrassé de mes exigences intérieures, de mes désirs et de mes satisfactions, il me faudrait reprendre une investigation en moi-même et comprendre toute la nature de mon désir.

   

 

 

J.KRISHNAMURTI : Se Libérer du Connu

Éditions Stock.

Chapitre 15, pages 112 à 115.

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   Ainsi, cette énergie gigantesque est là pour répondre à la question : pourquoi ce sentiment de solitude ? J'ai rejeté les idées, les suppositions et les théories selon lesquelles il serait héréditaire ou instinctuel. Tout cela n'a aucun sens pour moi.  Se sentir seul, c'est ce « qui est». Pourquoi vient-il, ce sentiment que chaque être humain - s'il est un tant soi peu conscient - connaît, superficiellement ou très profondément ? Pourquoi survient-il ? Serait-ce que l'esprit fait quelque chose qui le crée ? J'ai rejeté les théories qui lui trouvent une origine dans l'instinct ou dans l'hérédité et je me demande : l'esprit, le cerveau lui-même engendre-t-il ce sentiment de solitude, d'isolement total ? Le mouvement de la pensée fait-il cela ? La pensée dans son fonctionne­ment quotidien le crée-t-il ? Au bureau je m'isole, parce que j'ambitionne de devenir un grand directeur et qu'en conséquence, la pensée fonctionne tout le temps, s'isolant. Je vois que la pensée travaille tout le temps pour se rendre supérieure, le cerveau s'entraîne sur la voie de l'isolement.  

   J'en viens donc à me demander : pourquoi la pensée fait-elle cela ? Est-il dans sa nature de travailler pour elle-même ? Est-il dans sa nature de créer l'isolement ? L'édu­cation provoque l'isolement ; elle nous prépare à une cer­taine carrière, à une certaine spécialisation et, partant, à l'isolement. La pensée, étant fragmentaire, étant limitée et temporelle, crée cet isolement. Dans cette limitation elle a trouvé la sécurité, en disant : « j'ai ma profession ; je suis un enseignant ; donc je jouis d'une sécurité absolue ». Cela étant, ma préoccupation est la suivante : pourquoi la pensée fait-elle cela ? Est-elle amenée à le faire de par sa nature même? Tout ce que la pensée fait ne peut qu'être limité.

   Dès lors voici le problème qui se pose : la pensée peut-elle se rendre compte que tout ce qu'elle fait est limité, fragmenté et, en conséquence, source d'isolement, et que tout ce qu'elle fera le sera aussi ? C'est là un point très important : la pensée elle-même peut-elle se rendre compte de ses propres limitations ? Ou est-ce moi qui lui dis qu'elle est limitée ? Cela, j'en ai conscience, il est très important de le comprendre ; c'est cela l'essence même de la question. Si la pensée elle-même réalise qu'elle est limi­tée, alors il n'y a pas de résistance, pas de conflit ; elle constate « je suis comme cela ». Si, par contre, c'est moi qui lui dis qu'elle est limitée, alors je deviens distinct de la limitation ; et je lutte pour la surmonter, ce qui est source de conflit et de violence et non d'amour.

   Donc, la pensée se rend-elle compte par elle-même qu'elle est limitée ? II me faut le découvrir. C'est un défi auquel je dois faire face. A cause de ce défi, j'ai une gigantesque énergie. Présentons la chose différemment. La conscience se rend-elle compte que son contenu est elle-même ? Ou serait-ce que j'ai entendu quelqu'un d'autre déclarer : « la conscience est son contenu ; c'est son contenu qui la constitue » à quoi j'aurais répondu « oui, c'est bien ça » ? Voyez-vous la différence entre les deux. La deuxième façon de voir, issue de la pensée, est imposée par le « moi ». Si j'impose quelque chose à la pensée, il y a conflit. C'est comme quand un gouvernement dictatorial impose sa loi par voie d'ukase, à la différence qu'ici, ce gouvernement, c'est ce que j'ai créé.

   Ainsi, je me demande : est-ce que la pensée s'est rendu compte de ses propres limitations ? Ou est-ce qu'elle prétend être quelque chose d'extraordinaire, de noble, de divin ? - ce qui serait absurde, étant donné qu'elle est issue de la mémoire. Je vois qu'il faut que ce point soit établi avec une limpidité absolue ; qu'il faut qu'à l'évidence aucune influence extérieure n'ait imposé à la pensée la notion qu'elle est limitée. Alors parce que rien n'a été imposé, il n'y a pas de conflit ; la pensée saisit, tout simplement, qu'elle est limitée ; elle sait que tout ce qu'elle fait - qu'il s'agisse d'adorer dieu et ainsi de suite - est limité, mièvre, mesquin - même si elle a parsemé l'Eu­rope de merveilleuses cathédrales destinées au culte de dieu.

   Ainsi, dans ma conversation avec moi-même, j'ai dé­couvert que le sentiment de solitude est créé par la pensée. La pensée s'est maintenant rendue compte par elle-même qu'elle est limitée et qu'elle ne peut donc pas résoudre le problème de la solitude. Puisqu'il en est ainsi, le sentiment de solitude existe-t-il ? La pensée a créé ce sentiment de solitude, de vide, parce qu'elle est limitée, fragmentaire, divisée ; or, quand elle prend conscience de cela, le senti­ment de solitude n'est pas et, partant, il y a libération de l'attachement. Je n'ai rien fait ; j'ai observé mon attache­ment, ce qu'il suppose, la rapacité, la peur, l'impression de solitude et tout cela ; et, en le suivant à la trace, en l'observant, non pas en l'analysant, mais simplement en regardant, regardant et regardant, le fait que c'est la pensée qui a fait tout cela apparaît. La pensée, étant fragmentaire, a créé cet attachement. Lorsqu'elle s'en rend compte, l'at­tachement cesse. II n'y a pas d'effort du tout. Car sitôt qu'il y a effort - le conflit réapparaît.

   Dans l'amour il n'y a aucun attachement ; s'il y a attachement, l'amour n'est pas. Or, le facteur principal a été supprimé par la négation de ce que l'amour n'est pas, par la négation de l'attachement. Dans ma vie quotidienne cela veut dire qu'il n'y a aucun souvenir de quoique ce soit que ma femme, ma compagne ou ma voisine ait fait pour me blesser, aucun attachement à une image que la pensée a créée d'elle - comment elle m'a malmené, comment elle m'a réconforté, comment je lui dois un plaisir sexuel, toutes les différentes choses au sujet desquelles le mouvement de la pensée a créé des images ; l'attachement à ces images a disparu.

       Il y a encore d'autres facteurs. Dois-je les explorer tous, pas à pas, l'un après l'autre ? Ou est-ce que tout est terminé ? Dois-je investiguer - comme je l'ai fait pour l'attachement - vivre et explorer la crainte, le plaisir et le désir de réconfort ? Je vois que je n'ai pas besoin de reprendre, étape par étape, une enquête sur tous ces divers facteurs. Je le perçois d'un seul coup d'œil ; j'ai saisi.

   Ainsi, par la négation de ce qui n'est pas amour, l'amour est. Je n'ai pas besoin de demander ce qu'est l'amour. Je n'ai pas besoin de lui courir après. Si je le poursuis, ce n'est pas l'amour, c'est une récompense. Alors, dans cette enquête, par la négation, j'ai mis fin, lentement, attentivement, sans déformation, sans illusion, à tout ce qui n'est pas - l'autre est.

 


  J.Krishnamurti.

 

Extrait d'une discussion qui eut lieu lors du Brockwood Gathering le 30 Aout 1977.

Publié en 1982 par l'Association Culturelle Krishnamurti, France.

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